A cette époque, deux hommes se rencontrèrent, qui s'imaginèrent
de renverser les traditions.
Le premier est le chanoine Descordes, une des
illustrations scientifiques du Limousin, qui étudiant la vie de Saint
Martial, crut devoir rejeter au IIIème siècle l'époque de
la mission de cet apôtre.
Le second est nommé Launoy, qui eut
le triste privilège de recevoir d'un Pape l'épithète de
impudentissime mentibus. Launoy attaqua lui aussi les traditions; il
affirma que l'origine des principales Eglises de France ne remontait pas au-delà
de la seconde moitié du IIIème siècle.
Cette imposture intellectuelle s'est malheureusement imposée en
milieu historique et religieux et, les touristes ou les citoyens bordelais qui
se procurent la plaquette d'information cultuelle imprimée par l'office
du tourisme et le syndicat d'initiative de Bordeaux, lisent, à la
rubrique Eglise Catholique (informations communiquées par l'archevêché
catholique-romain):
"L'Eglise est née à Bordeaux au
IVème siècle".
De l'Histoire des Archevêques de Bordeaux du Chanoine Lopès nous tirons ces notes: "Saint Martial est, d'après la tradition, l'enfant que le Sauveur bénit et au sujet duquel il dit ces paroles touchantes: "Laissez venir à moi les petits enfants". C'est encore lui qui portait les cinq pains d'orge que Jésus multiplia dans le désert.
Le jeune Martial s'attacha plus tard aux pas de Saint Pierre qu'il suivit à Antioche, puis à Rome. De Rome, Pierre l'envoya prêcher en Gaule. Mgr Cirot de la Ville a tracé la carte de l'itinéraire de Saint Martial. En voici les principales stations: Rome, Ravenne, Gracchianus (Colle en Toscane), Marseille, Bourges, Tours, Limoges, Angoulême, Sainte, Noviomagus (capitale du Médoc).
Le premier oratoire fondé à Bordeaux par
Saint Martial, apôtre de l'Aquitaine, fut dédié à
Saint Etienne. Il se trouvait en dehors des murs, à
l'endroit où s'éleva plus tard l'Eglise Saint Seurin. Martial
ayant fait quelques conversions dans l'enceinte même de la ville y établit
un second sanctuaire. Il se proposait de le dédier à Saint Pierre
dont il avait été le disciple; mais averti soudainement par une
vision miraculeuse que l'apôtre Saint André venait "de
souffrir en croix" pour Jésus-Christ à Patras, en Achaïe,
il érigea cette église sous le vocable de Saint André.
Le
Pape Innocent VIII consacre dans une bulle le fond de cette tradition.
Il reconnaît que l'Eglise de Bordeaux est la première qui ait
été fondée dans tout l'univers sous le vocable de Saint
André."
Le grand historien de Bordeaux, l'érudit Camille Julian a montré combien les vestiges du christianisme existent dans le sol bordelais dès le premier siècle de notre ère: - Graffitis en forme de croix, signes chrétiens sur les tombes.
Encore Camille Julian ne connaissait-il pas le signe secret des premiers chrétiens:
l'Ascia. Ce n'est, en effet, qu'en 1955 que Jérôme
Carcopino publia son étude intitulée: "le mystère
d'un symbole chrétien; l'ascia" - donnant aux archéologues
un moyen de plus pour reconnaître les tombes des premiers disciples de Jésus-Christ.
Précisons donc que Bordeaux vient au second rang des
villes de Gaule quand on fait le recensement des "ascia".
Plus
frappant encore, alors que le saint évêque Irénée
semble ne les avoir fait tracer à Lyon qu'après 178, il s'avère
que plus de la moitié de celles de notre Burdigala sont antérieures
à cette date... La "crux dissimulata", la croix secrète
est donc là pour confirmer que Bordeaux avait son Eglise en même
temps que Lyon, peut-être... Qui sait ? Avant ?
Une question viendra peut-être à l'esprit de nos lecteurs... Pourquoi l'Histoire de l'Eglise parle-t-elle tant des chrétiens de Lyon et si peu de ceux de Bordeaux ? Que le lecteur note que ce n'est que sa persécution qui fit parler de la communauté de Lyon et d'Irénée. "Les peuples heureux n'ont pas d'histoire" dit le proverbe... Pour que la communauté de Bordeaux puisse figurer dans l'Histoire il aurait fallu que Rome la persécute. Mais les Bituriges-Vivisques étaient calmes et diplomates. Que l'on songe qu'ils ne fournirent pas de soldats à Vercingétorix...
A cette neutralité politique se joignait une grande tolérance
religieuse. Sur ce point l'archéologie nous montre une profusion
ahurissante de religions différentes dans le Burdigala
antique.
L'Eglise Saint Etienne, la première qui fut construite à
Bordeaux, s'élevait hors l'enceinte de la ville. Les premiers chrétiens
voulurent reposer après leur mort près du lieu où ils
avaient prié entourés de leur famille, et bientôt cette église
fut entourée de tombeaux. Or, on a trouvé dans quelques-unes de
ces sépultures des médailles du IIème siècle,
et cette découverte seule suffirait pour mettre hors de doute l'antiquité
de l'Eglise de Bordeaux.
Dans un autre cimetière, celui de Terre-Nègre,
les sépultures des chrétiens ont été superposées
à celles des païens, et dans aucune de ces dernières on a
trouvé de médailles postérieures au IIème
siècle.
Malgré la série de faits précités, la critique
moderne ne manque pas de faire remarquer que de Saint Martial à
Orientalis, le premier des évêques connus, on ne trouve la trace
d'aucun prélat qui ait administré l'Eglise de Bordeaux.
(Cf.
la plaquette d'information cultuelle du syndicat d'initiative de Bordeaux: "Son
premier évêque est Orientalis (314)".)
Comment donc, si
l'Eglise de Bordeaux existait au IIème siècle, ne retrouve-t'on la
trace d'aucun de ses évêques ?
Cette objection n'a rien qui
puisse nous effrayer; dans les premiers siècles, les pasteurs des églises
ont très peu écrit. La crainte des barbares, le danger de voir
tomber en leurs mains les livres saints, faisait que tout se
transmettait par traditions.
Au IIIème siècles, Turtullien renvoie les hérétiques
non aux écritures, mais aux traditions conservées par les Eglises.
"Consultez,
leur dit-il, les Eglises où par succession, depuis les Apôtres, les
pasteurs ont professé les vérités, et voyez ce qu'elles
enseignent".
Ces deux exemples établissent le rôle
important de la tradition. Tout se transmettait de
vive voix; comment donc est-il étonnant que les Eglises aient
perdu la mémoire de leurs premiers pasteurs, si, surtout, aucun événement
remarquable n'est venu signaler leur épiscopat ?
Nous écrivions tout à l'heure que le premier évêque
accepté par la critique moderne est Orientalis. Mais le souvenir de ce prélat
ne nous a pas été transmis par la tradition locale; il n'a laissé
aucun souvenir à Bordeaux; et l'on ne sait qu'il a existé que
parce qu'il a figuré en 314, avec son diacre Flavius, parmi les
signataires du Concile d'Arles.
Donc, si le concile n'avait pas eu lieu, si
une maladie avait retenu Orientalis dans sa ville épiscopale, son
existence serait complètement ignorée et la critique moderne
serait en droit de nous dire que de son temps le siège épiscopal
n'était pas occupé.
Après Orientalis, il faut venir jusqu'en 381 pour trouver le nom d'un évêque; mais alors on se trouve en face d'un prélat d'une grande sainteté: Saint Delphin.
L'antique tradition de l'Eglise de Bordeaux est formelle:Si nous en croyons Venance Fortunat, évêque de Poitiers
(530-600), Léonce le jeune aurait été, en 549, le 13ème
évêque de Bordeaux... Treize évêques en 450 ans
environ, cela fait des épiscopats de 34 ans de moyenne... Rien
d'illogique en cela!
Nier l'épiscopat de Fort et sa consécration
par Saint Martial c'est faire un cas bien léger de la tradition de
l'Eglise de Bordeaux.
Oyez plutôt!
"Dans l'antique Burdigala, une femme se désole, des enfants
pleurent; le grand-prêtre d'un culte ésotérique est frappé
de paralysie. Bénédicte, son épouse, apprend que dans la
cité érudite de Noviomagus un initié est venu apporter un
nouveau rite, donnant un sens tout nouveau aux cérémonies
antiques... Voici que des frères et soeurs de son groupe dans le Médoc
se sont convertis. Cet initié a son Martial, il nomme ses disciples les
chrétiens (les oints) du nom de leur fondateur le Christ (l'oint).
Un sillage de récits de miracles suit le nom de Martial...
Bénédicte
décide de se rendre à Noviomagus, jusqu'au haut-lieu où se
tient l'Apôtre. Celui-ci se contente de donner son bâton
à Bénédicte... A peine a-t-elle touché son époux
de ce support de charismes
qu'il se lève guéri.
Fort (Sigebert ou
Gilbert en Austrasien) prend alors la voie romaine qui mène à
Noviomagus. Il devient catéchumène du nouveau
rite.
Il fera la connaissance de Véronique qui
essuya la Sainte Face du Christ lors de sa Passion... Elle s'appelait
primitivement Bérénice, mais le visage du Christ s'étant
fixé sur son voile, l'Eglise la baptisa Véronique (Vera-Iconica),
la Véritable Icône. Elle est établie à
Soulac qu'elle a évangélisé.
Fort,
probablement grand-prêtre d'un culte solaire apprend que Jésus-Christ
est le vrai Soleil Invaincu. Il reçoit le baptême
ainsi que Bénédicte, leurs enfants et d'autres frères et
soeurs... Burdigala aura son Assemblée.
Puis tout naturellement il
devient le prêtre, puis l'évêque.
Mais qu'était ce Fort, avant sa conversion ? La tradition de l'Eglise
de Bordeaux se contente de nous signaler qu'il était le prêtre
des idoles.
Alors de quel culte idolâtre ?
Le culte de Mithra à Burdigala