S'il a ou non le masque de Voltaire, je ne sais, l'on peut en discuter sans fin; ce qu'il a du philosophe de Ferney c'est un type d'humour que l'on est parfois surpris de trouver chez le Curé d'Ars.

Quand, malade, il s'écrie: "j'ai quatre médecins pour me soigner maintenant, s'il en arrive un cinquième, je suis perdu"; est-ce que la phrase eut détonné dans la bouche de Monsieur Arouet ?

L'humour devient plus noir et friserait la méchanceté chez un autre quant à cet homme qui a fait demander conseil sur son avenir; il fait répondre de "faire vite clouer des planches pour en faire un cercueil !"

A cet ultramontain qui brocarde son gallicanisme et qui lui demande ironiquement de le laisser s'accrocher à sa soutane pour entrer au Paradis, il répond en contemplant sa bedaine fournie: "non! non! La porte du Ciel est étroite, nous resterions tous deux sans pouvoir entrer..." Voltaire n'eut pas fait plus ironique.

Et cette anecdote rapportée par Marie Truchemotte, qui était Supérieure des dames Catéchistes Missionnaire des Dames de Saint Joseph de Bourg en Bresse, mais qui se retrouve dans les archives des Soeurs de la charité de la même ville:

Les époux Janody-Badoux, concierges à la Préfecture, décidèrent de mener au Curé d'Ars leur petite Joséphine... Elle avait quatre ans, ne savait pas marcher, bavait sans cesse, n'entendait rien et ne parlait pas.

Le Curé d'Ars prend cette loque humaine, lui signe le front, la caresse jusqu'au moment où l'enfant lui échappe des bras, se met à rire et à courir "comme un petit furet" dira plus tard la maman.

Elle est guérie ou presque... Elle court, elle comprend, elle joue, elle entend tout ce qu'on lui dit...

Mais elle ne parle pas.

Et la mère de remercier pour la guérison de Joséphine, mais de demander aussi:
- "... Et la parole, n'allez-vous pas aussi lui rendre la parole ?"

Réponse du Curé d'Ars:
- "Il vaut mieux pour son âme qu'elle reste muette."

Des lèvres de Voltaire un tel mot aurait fait parler de cynisme; dans la pensée du saint, que sous-entendait-il ?

Influence d'une éducation braquée contre le bavardage féminin ? Vision sur un avenir possible qu'il pouvait ainsi bloquer ? Boutade pour excuser ce qu'il n'avait pu obtenir ?

Je ne saurais répondre. Evidemment c'est encore un épisode censuré et ceux qui aiment la perfection chez les saints m'en voudront peut-être de l'évoquer. Mais en taisant ce passage de la vie du Curé d'Ars, ne risquons-nous pas de passer à côté de quelque chose de très important, quelque chose qui nous permette de saisir le pourquoi de certains handicaps chez tel ou tel être humain ?

"Marie Truchemotte m'avait beaucoup parlé de Joséphine", affirmera plus tard Monseigneur Truchemotte, elle devint très vieille, elle travailla dans un hospice de Bourg depuis 1895 jusqu'à sa mort et eut la charge d'un dortoir de vingt-deux lits. Elle était très gaie, solidement musclée, aimait beaucoup lire et avait, paraît-il, un don pour imposer les mains aux brûlés et faire passer leurs souffrances.

Mais elle était toujours muette.

Chapitre 8
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