Mais le dogme de linfaillibilité nest pas apparu par hasard. Il est laboutissement de toute une chaîne de construction de lesprit. Hors dans une chaîne il existe des maillons. Lun deux porte le nom de Fausses Décrétales, un autre celui de Fausse Donation de Constantin.
Au VIIIème siècle après Jésus-Christ, les évêques de Rome justifient la création des "Etats de lEglise" à laide dun faux mythique : - Le pseudo acte de donation de Constantin. Cest sous le pontificat dEtienne II (752-757) que le contenu de cette supercherie est mentionné pour la première fois. Elle sera ensuite intégrée dans le texte des Fausses Décrétales au IXème siècle. Le but de cette entreprise de manipulation historique est de servir les intérêts carolingiens et pontificaux, cest à dire du roi des francs Pépin le Bref et de lévêque de Rome Etienne II.
En janvier 754 Pépin le Bref reçoit Etienne II à Quierzy sur Oise. Un traité est signé entérinant la création des "Etats pontificaux". Ces territoires, qui se limitent aujourdhui aux quarante-quatre hectares du Vatican, et qui vont englober pendant des siècles toute la partie centrale de lItalie actuelle assimilent lévêque de Rome à un véritable souverain.
Mais pour justifier la signature de ce traité, il fallait inventer un prétexte.
Daniel Rops, historien catholique-romain bien connu et membre de lAcadémie Française écrit à ce sujet dans "lEglise des Temps Barbares", Paris, 1950 : "Comme par hasard, un acte avait été découvert au moment où, en 753, Etienne II était parti supplier le roi franc de sauver Rome, un bel acte de dix pages rapportant la fausse donation et tout plein de détails comme les contemporains les aimaient, par exemple que Constantin était un lépreux miraculeusement guéri le jour de sa conversion ."
Le texte de la fausse donation rapporte comment lempereur romain
Constantin se serait converti au christianisme grâce à lévêque
de Rome Sylvestre 1er. Il énumère également les territoires
et privilèges que Constantin aurait donné à Sylvestre, en
335 après Jésus-Christ :
- la primauté sur les Églises
dOrient et sur les sièges patriarcaux (lesquels, signalons-le en
passant, nexistaient pas encore à cette date !!!) ;
- les églises
du Latran, de Saint-Pierre et de Saint-Paul-hors-les-Murs ;
- des biens
dans plusieurs provinces de lEmpire ;
- le palais du Latran ;
- la puissance et la dignité impériale;
- les insignes sénatoriaux
à lentourage de lévêque de Rome ;
- Rome,
lItalie et de manière générale toutes les provinces
de lOccident...
Elle se termine par une déclaration de retrait de lEmpereur en direction de lOrient, laissant ainsi lOccident au seul pouvoir de lévêque de Rome...
Selon lencyclopédie Wikipédia, "lexistence du texte nest pas attestée avant le milieu du IXe siècle. Il est intégré aux Décrétales pseudo-isidoriennes et se répand dabord en Gaule carolingienne. Curieusement à Rome même, sa vogue est plus tardive. La donation est citée pour la première fois dans un acte pontifical en 979. Elle nest pas utilisée comme argument avant 1053, dans un texte du cardinal Humbert de Silva Candida. Il est ensuite intégré au Decretum de Gratien."
En 754, Pépin le Bref reçoit lonction royale du pape Etienne II, lequel devient entre temps chef dEtat par la création des Etats Pontificaux. Ces petits arrangements entre amis permettent à lévêque de Rome dobtenir son indépendance par rapport à lempereur de Constantinople, pourtant légitime successeur des empereurs romains dont le règne occidental avait pris fin en 476.
En 771, Carolus Magnus (futur Charlemagne) devient roi des Francs. Les visées politiques du fils de Pépin sont connues dans lHistoire, son ambition est légendaire. Mais pour devenir empereur dOccident - et si possible - plus grand que lempereur dOrient à Constantinople, il faut que le siège romain dOccident soit au-dessus de celui dOrient à Constantinople...
En 773 Hadrien 1er est évêque de Rome. La forfaiture de la "donation de Constantin" conduit Didier, roi des Lombards, à marcher sur Rome et à occuper plusieurs cités du tout nouvel Etat pontifical. Le pape Hadrien appelle au secours le futur Charlemagne. Des troupes sont envoyées. Didier est défait et en 774 Carolus Magnus ajoute à sa couronne de roi des Francs celle de roi des Lombards. Une cérémonie célèbre sa victoire. Il en profite pour reconnaître et confirmer la "donation de Constantin" à Hadrien 1er.
Le futur empereur qui, soulignons-le, se fera couronner comme tel le 25 décembre de lan 800 par le pape Léon III, expose ses vues sur la société chrétienne dans son "Admonition générale" de 789. Pour que lempire puisse se mettre en place, il faut une unification liturgique sur le modèle romain. A partir de cette époque, sur ordre de Charlemagne, les spécificités de lancienne liturgie des Gaules - la liturgie gallicane - commencent à disparaître.
Lors du concile de Francfort, en 794, il essaye dimposer dans le Symbole de la Foi (Credo) le "filioque" (et du Fils), formulation théologique erronée sur la procession du Saint-Esprit introduite par les Eglises espagnoles en 589. Lévêque de Rome refuse dabord daccepter cette modification du Credo, par respect pour le dogme défini lors du deuxième concile oecuménique de Constantinople en 381. Mais en 809, lors du concile dAix la Chapelle, Charlemagne impose son point de vue et le filioque fait son entrée dans le Credo.
En Orient, les chrétiens byzantins ne peuvent accepter ce pied de nez à lEvangile de Jean (15,26) et aux déclarations dun concile oecuménique, mais la situation politique ne leur est guère avantageuse. Lempereur Michel de Constantinople mène bataille sur dautres fronts et lutte pour sa survie. La création dun nouvel empire en Occident par Charlemagne et la mise en place des Etats pontificaux deviennent momentanément, par la force des choses, des sujets secondaires à Byzance.
Au IXème siècle, pour étayer la nouvelle ecclésiologie dun évêque de Rome supérieur à tout lépiscopat les promoteurs du centralisme romain vont de nouveau avoir recours à des faux : - les fausses Décrétales (ou décrétales isidoriennes, du nom de leur auteur, Isidorus Mercator), forgées de toutes pièces afin de soumettre les évêques au pouvoir de Rome en affirmant mensongèrement que le pontife latin a depuis le début du christianisme une primauté de juridiction sur lEglise tout entière. Les canonistes romains sen serviront ensuite pour justifier la doctrine de la primauté de droit divin du pape et de linfaillibilité de son magistère, doctrine qui sera érigée en dogme lors du concile Vatican 1 en 1870.
Il est évident que cétait faire fi de la tradition patristique et conciliaire ! Le quatrième concile oecuménique (Chalcédoine - 451) avait seulement reconnu à lévêque de Rome le premier rang dhonneur parmi les quatre autres patriarches (Jérusalem, Antioche, Alexandrie et Constantinople), en ajoutant expressément que cette primauté "dhonneur" lui avait été attribuée (canon 28) : "parce que Rome était la ville régnante..." comme ancienne capitale de lEmpire...
Du reste, et nous sommes là au VIIème siècle, lun des plus illustre évêque de Rome, le pape Saint Grégoire le Grand (Lib.V Epist.18 - Lib.VIII Epist.30) nhésitait pas à déclarer au patriarche Jean dAlexandrie que le titre dévêque universel (et alors il ne sagissait encore que dun qualificatif honorifique) est "extravagant, orgueilleux, impie, cause de division dans lEglise". Il ne souffrait pas quon lui décernât un "titre aussi criminel et blasphématoire envers Dieu". Le patriarche Jean layant appelé évêque universel, il lui répondit sur le champ: "Je vous en prie, ne donnez jamais ce nom à personne; mais rendons grâce à Celui qui a fait de tous les hommes un seul troupeau, sous un seul pasteur, qui est Lui-Même".
"Quiconque, disait-il en une autre circonstance, sappelle évêque universel ou désire ce titre est, par son orgueil insensé, le précurseur de lAntéchrist." Queut-il dit sil se fut trouvé au concile Vatican 1 de 1870 ?
Les auteurs modernes ne censurent pas systématiquement ce qui a trait à laffaire des «fausses décrétales». LAcadémicien Daniel Rops lévoque dans "lEglise des Temps Barbares" (Paris, 1950, chapitres sept et huit). Mais dune façon générale la hiérarchie catholique-romaine préfère taire ce qui pourrait heurter la conscience de nombreux fidèles soucieux de la vérité historique.
Les fausses décrétales représentent un ensemble de textes qui contiennent ce quaucun évêque de Rome navait osé écrire jusque là; à savoir que depuis toujours lévêque romain se tenait pour lévêque des évêques et le chef de toute lEglise.
Avant le VIIIème siècle existent des décrétales signées de la main des évêques de Rome. Celles-ci ne traduisent rien dautre que ce que lEglise indivise avait toujours proclamé par la voix des conciles oecuméniques (seule autorité légitime reconnue par tous). Puis des clercs inventent des textes quils datent frauduleusement des temps anciens et apportent ainsi la "preuve" de lautorité exceptionnelle dun évêque de Rome supérieur à tout lépiscopat.
Lefficacité des faux devient telle en Occident que la résistance de lépiscopat est pratiquement nulle, mais vers les Xème-XIème siècles les Eglises occidentales souffrent des effets de la féodalisation et de la simonie. Un parti favorable à la domination romaine na aucun mal à se former et à faire prévaloir ses vues dans les conciles locaux. Seul le concile de Constance (1414-1418) témoigne que la mémoire de lancienne constitution de lEglise subsiste encore dans les thèses gallicanes défendues par Jean Gerson. Cest le principe réaffirmé de la supériorité du concile général sur le pape, définition nourrie par la transmission de la tradition apostolique, alimentée par la connaissance des sept conciles oecuméniques et les Pères de lEglise.
Selon lAbbé Fleury, page 508 du tome neuvième de "lHistoire Ecclésiastique" édité en 1702 (années 679 à 794), "les fausses décrétales ont passé pour vraies pendant 800 ans". Et il ajoute encore: "il est vrai quil ny a plus aujourdhui dhomme médiocrement instruit en ces matières qui nen reconnaisse la fausseté". Et encore page 507 : "La matière de ces lettres en découvre encore la supposition. Elles parlent d archevêques, de primats, de patriarches ; comme si ces titres avaient été reçu dès la naissance de lEglise. Elles défendent de tenir aucun concile, même provincial, sans la permission du pape, et représentent comme ordinaires les appellations à Rome."
Remarquons bien que ces lignes furent écrites en 1702, soit dix-huit années seulement après la "Déclaration des Quatre Article Gallicans" de Bossuet (signés par tous les évêques de France...) où lévêque de Meaux rappelait le bien fondé du concile de Constance, avec la supériorité du concile général sur le pape. La tourmente révolutionnaire, le concordat napoléonien et surtout, le concile romain de 1870 aboutiront à la perte dune partie essentielle de la mémoire religieuse en France. Nous sommes heureux de pouvoir participer au rétablissement de la vérité historique par cet article et la publication des extraits de louvrage encyclopédique de lAbbé Fleury à qui nous rendons un bien sincère hommage.
Monseigneur Thierry Teyssot