Ce titre va faire froncer les sourcils à beaucoup. Que veut-il exprimer ? Existe-t-il un état dans la prière où la personnalité, l'ego de l'Etre Humain peut se fondre en d'autres identités, plus hautes et plus proches du Royaume Céleste ? "Ce n'est plus moi qui vis, affirme l'Apôtre Paul, c'est Christ qui vit en moi" (Galates 2,20).

Que Paul soit "possédé" par le Christ durant certains moments - évoqués ensuite par les mystiques sous le terme technique d'Oraison Infuse - qu'à ces instants ce ne soit plus la pensée de Paul qui s'exprime par la bouche de Paul, mais celle de Jésus-Christ, cela a toujours paru à la majorité des commentateurs de l'Eglise une évidence.

De même à plusieurs reprises dans les Ecritures, nous trouvons des expressions comme: "ils furent remplis de l'Esprit-Saint", " l'Esprit descendit sur eux" etc. Ce relais de la conscience, cet effacement du moi en faveur de Dieu, de l'Esprit-Saint, du Christ, de nombreux Saints de l'Eglise ont affirmé qu'il s'était produit en eux en de multiples occasions.

Mais il ne s'agit là que de "possession" divine, de pénétration du Moi Divin dans un être. Déjà dans l'Ancien Testament nous avons pu voir le Prophète Balaam, fils de Beor, prononcer des Oracles contraires à ceux qu'il était venu prononcer... Requis de maudire l'Armée d'Israël, il ne peut sortir de la bouche de ce devin que des paroles de bénédiction en faveur de cette armée (Nombres 22 et 23).

Mais si la volonté divine peut ainsi dépasser la volonté de l'homme en certaines occasions, ne peut-il en être ainsi de certaines volontés angéliques ou désincarnées ? Sur le plan du mal les Evangiles révèlent de nombreux cas de possession où les anges déchus parlent par la bouche de possédés, ceci soit au cours des "crises", soit au cours des exorcismes. Ce que peut faire un ange déchu, un ange resté fidèle à la Divinité ne peut-il le faire afin de transmettre un message ? Certains l'ont fortement pensé et même - se basant sur l'exemple biblique du Prophète Samuel (1 Samuel 28,3-19) - estimé que les habitants du Schéol pouvaient, eux aussi, communiquer avec les vivants.

- "Que deux bouches de ton souffle soient donc en moi" demande Elisée à son maître Elie avant qu'il ne quitte cette terre (2 Rois 2,9). Le même chapitre biblique en apporte la confirmation. Les frères prophètes constatent que: "le souffle d'Elie repose sur Elisée" (2 Rois 2,15).

Si cette communication est possible dans ce que l'Eglise appelle la Communion des Saints entre un être humain en prière et un être humain ayant quitté notre monde visible, l'on comprend mieux le témoignage apostolique sur le "parler en langues" dans l'Assemblée (Actes 10,46 - 1 Cor. 14,39). Les chrétiens charismatiques constatent le phénomène de glossolalie, mais qui parle par leur bouche quand ils se mettent à s'exprimer dans un langage inconnu ? L'Esprit Saint, répondent-ils, mais pourquoi Celui qui est Toute Sagesse éprouverait-il le besoin d'employer un langage incompréhensible ?

Au sommet de cette réflexion restera toujours l'exemple de Moïse et d'Elie conversant avec Jésus lors de la Transfiguration (Mathieu 17,1-8). Ce seul fait dément de façon absolue l'idée d'une coupure entre le monde où nous sommes et celui de ceux qui ont passé les portes de la mort.

Aussi bien nous pouvons trouver de quoi étayer largement notre thèse en feuilletant les pages millénaires de la vie des Saints. Saint Germain, évêque de Paris ne croit pas mal faire en passant dans la ville de Tonnerre en se faisant ouvrir un sépulcre afin de poser quelques questions à l'un de ses anciens disciples. Après une conversation fort instructive, le défunt - qui n'a pas les protestations de Samuel: "déposa sa tête et se rendormit à nouveau dans le Seigneur".

C'est le moine Hericus d'Auxerre qui nous rapporte la chose dans sa "Vie de Saint Germain" et il n'y voit pas de malice. Le Saint Evêque de Paris est d'ailleurs coutumier du fait et, à Autun, il interpelle Saint Cassien - ancien évêque de cette ville - pour lui demander comment il se trouve, et le défunt répond depuis son tombeau à très haute voix pour que la conversation soit suivie de tous.

Légendes ? Superstitions ? Récits mirobolants ? Supercheries ? Certains ont tôt fait de balayer tout cela d'un revers de manche. Mais après reste-t-il encore une place pour une manifestation de la Foi, pour une expérience de la prière ?

Vous qui me dites qu'il est impossible que Saint Germain ait conversé avec des morts, qui niez en bloc les mille récits semblables contenus dans les actes des Saints, pourquoi voudriez-vous - si je vous suis dans votre raisonnement - que je n'en vienne pas aussi à nier tous les faits prodigieux contenus dans la Bible ?

Ouvrons le Bréviaire romain à la vie de Saint Donat, ce simple diacre voyant un brave homme fort gêné parce que sa femme était morte sans lui dire où elle avait caché les économies du ménage, et même une somme d'argent appartenant au Trésor Public, il ne craignit pas d'aller au cimetière, et après avoir récité les prières nécessaires de demander :

- "Euphrosine, je t'adjure par le Saint Esprit de nous dire où tu as déposé cette somme d'argent."

Tous les assistants entendirent la voix de la défunte répondre:

- "A l'entrée de ma maison, c'est là que je l'ai enterrée."

Ceci étant écrit, il n'en est pas moins de notre devoir de souligner que si la vie des Saints évoque ces cas de nécromancie religieuse, aucun ne semble s'être écarté d'une ligne d'or qu'il est important de retracer. Chaque cas avait une utilité pour le bien d'un être, et jamais les défunts n'étaient dérangés pour une vaine curiosité, pour une expérience sans but, pour la satisfaction d'une vanité.

Un autre aspect de la ligne d'or à laquelle nous venons de faire allusion - c'est que la vie des Saints citée en exemple - forme un tout cohérent axé sur les trois vertus théologales: Foi, Espérance, Charité... Ce n'est que dans le triangle de lumière de ces trois vertus qu'ont pu s'accomplir valablement ces faits extraordinaires dans lesquels l'ego personnel s'efface devant l'ego ecclésial.

Phénomène spirituel que certains appellent transe, le mot se trouve dans Saint Jean de la Croix:

- "Pour qu'atteindre ainsi je puisse
Jusqu'à ce transport divin,
Tant voler il me fallut
Que me perdisse de vue
Et pourtant en cette transe
Mon vol demeura trop court
Mais l'amour si haut vola
Que j'atteignis ce que je chassais."

La "transe", comment l'expliquer ? L'Evangile veut-il en parler quand il parle du "frémissement en Esprit" précédant le miracle ? (résurrection de Lazare par Jésus - Jean 11,38)

Trouvé dans les sables du désert, mais souvent cité par les Pères de l'Eglise, l'Evangile de Saint Thomas semble s'ouvrir sur ce problème:

-" Le chercheur continue de chercher jusqu'à ce qu'il trouve
Quand il a trouvé il devient admirateur (contemplatif)
Et l'Univers, (le cosmos) est son domaine
Alors quelle agitation de l'âme (transe, émotion) est la sienne."
(Logia 1)

C'est à ce moment que se produit le contact que l'auteur des Poèmes Mystiques nous décrit en initié:

- "Tandis que l'esprit reçut en don
De pouvoir entendre sans entendre
Transcendant toute science."

L'expérience d'un Saint Jean de la Croix rejoint celle de nombreux mystiques... Son génie poétique - d'où n'est pas absente l'inspiration divine - nous permet de mieux appréhender ces états qui ne sont plus ceux que connaissent d'ordinaire les êtres humains, même au cours de ce qu'ils considèrent comme des moments de prière intense.

Comment dire, comment faire entendre à la masse des croyants que l'on peut aller beaucoup plus loin dans cette expérience. Jésus semble avoir voulu mettre en garde ses disciples contre toute divulgation intempestive de ces états de "déconnexion" dont le vécu est incommunicable au grand nombre: "Ne jetez pas vos perles aux pourceaux" (Mathieu 7,6).

En effet, l'ensemble des hommes quand il assiste de l'extérieur à une expérience mystique n'y voit que désordre, excitation, folie ou possession maligne... En ce domaine l'ivraie et le bon grain sont plus qu'ailleurs étroitement liés, et de très bonne foi, certainement, de très bonnes gens ont ri de choses très respectables...

- "Ils sont ivres !" (Actes 2,13). C'est ce que dirent les habitants de Jérusalem le jour de la Pentecôte quand ils virent les Apôtres sortir dans la rue "emplis de l'Esprit Saint"; quel spectacle ne devaient-ils pas donner au sortir de la secousse célèbre ? Sans doute le même que celui que nous contemplons en regardant des groupes ou des individus dont les attitudes incohérentes nous semblent bien loin de ce que nous jugeons devoir être la bonne tenue cultuelle d'un chrétien. Et le fait est que parmi les personnes ainsi secouées dans leur corps et dans leur langage il y a des victimes du démon, des malades psychiques et des surdoués du monde spirituel... Difficile, pour ne pas dire impossible de distinguer le Curé d'Ars, Saint François, Bernadette, etc, de la foule des exaltés de toutes sortes.

Je sais que de tels propos feront sourciller plus d'un. Chacun peut croire que de bonne foi il eût compris du premier coup que Bernadette avait un comportement "normal" en marchant à quatre pattes, en mangeant de l'herbe, en buvant de l'eau boueuse, que le curé d'Ars se colletait le plus sagement du monde avec son "Grappin" personnel ou que le Poverello d'Assise en se mettant tout nu sur la grande place ne faisait qu'obéir à "ses voix"... Qu'il se méfie ! Dieu agit avec ses Saints de telle façon qu'il les amène à être souvent pour le monde qui les entoure un "objet de scandale"... A nous de ne jamais juger trop vite, ni dans un sens, ni dans l'autre.

Car pour une Bernadette combien de simulatrices, pour un Curé d'Ars, combien de malades mentaux, pour un Saint François, combien de charlatans de toutes espèces possibles.

Y-a-t-il une protection contre l'erreur en ce domaine ? La vie des grands Saints nous montre que la plupart du temps ils ont été incompris chaque fois qu'ils ont voulu faire part de leurs extases ou de leurs révélations.

Tout ce que nous pouvons dire, c'est que le choc est moins grave là où il existe des Communautés paroissiales plus éveillées dans la Foi, là où l'on trouve de bons directeurs de conscience imprégnés des Saintes Ecritures.

N'oublions pas non plus que si nous devons la Vérité au faux mystique, nous lui devons aussi la Charité qui est tolérante et compréhensive.


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