La réception de ces sacrements suppose une transformation. Parce que la Foi est vivante, elle appelle une modification profonde de notre état desprit. La réception dun sacrement, cest aussi une forme dengagement, comme pour celui du mariage ou des ordinations. Elle suppose le vécu, lexpérience, la prise de conscience. Elle nous appelle à porter du fruit.
Lenseignement et les actes de Jésus révèlent limportance du don divin. La guérison des malades, lespérance donnée aux blessés de la vie, la présence du Christ marque pour beaucoup un renouveau, une renaissance. Au gré des rencontres et des circonstances, le « Dieu qui sauve » opère de nombreuses transformations. Cest une forme dinitiation, le passage de lombre à la lumière ; le début dune nouvelle vie pour beaucoup.
Linitiation cest voir autrement, grandir, « naître de nouveau » (Evangile de Jean, discours à Nicodème). « Il y avait un homme, un pharisien nommé Nicodème ; cétait un notable parmi les Juifs. Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit: « Maître, nous le savons, cest de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu nest pas avec lui. Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître den haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » (Jean 3,1-3)
En remerciement de laide apportée, de la « nouvelle naissance », lêtre humain répond au Sauveur par beaucoup de bonne volonté. Cest un des fruits de la reconnaissance, le contraire de lingratitude. « Ta foi tas sauvé » déclare Jésus au samaritain qui vient remercier après avoir été sauvé de la lèpre.
Le christianisme est une initiation à la joie ; celle dêtre sauvé, de sémerveiller de la vie qui nous est donnée. La vie est un miracle, cest aussi un cadeau, un don. Linitiation chrétienne nous fait prendre conscience de cette réalité.
Linitiation, cest encore une découverte. Pour le chrétien il sagit de celle du Christ. La Foi est un regard, posé sur un être qui ne connaît point de limites. Les apôtres sy sont attachés, ils se sont liés à lui : « vers qui irions-nous Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle », déclare Pierre à Jésus dans lEvangile de Jean.
Pierre et ses compagnons ont été marqués profondément par leur rencontre avec Jésus. Vivre à ses côtés, partager de longs moments dintimité avec lui, écouter sa parole, être témoins de ses miracles, sans même quils sen rendent compte ils ont changé. Une partie deux-mêmes a grandi. Leur esprit sest ouvert à dautres réalités, ils ont évolué.
« Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé quun homme a pris et semé dans son champ. Cest la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que toutes les autres plantes potagères et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. » (Mathieu 13,31-32)
Il est impossible de comprendre la transformation des apôtres sans prendre en compte leur relation vivante avec Jésus. En vivant à ses côtés, dans le souffle de son esprit, dans laura de sa personnalité, ils ont changé.
La transmission spirituelle liée à linitiation, cest dabord une influence.
Cela ne sapprend pas dans les livres. Ecouter, voir, être attentif, pour que la semence du royaume puisse germer, grandir et se développer. Les ouvriers qui ont bâti les cathédrales nont pas appris leur métier en sasseyant sur les bancs de lécole. Ils ont dabord regardé leur maître travailler, ils se sont imprégnés de ses gestes. Cest ensuite, seulement, quils ont pu commencer à travailler. Lapprentissage suppose une période découte, dattention, dinitiation. Pour que le métier rentre il faut une maturation, une sorte dappropriation et dintégration des gestes, du « coup de main ». Pour quun savoir-faire devienne un art, il faut du temps et de la patience, cest lécole de la vie.
La veille de sa Passion, Jésus lave les pieds de ses disciples qui discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand. A travers ce geste, il veut leur faire comprendre lhumilité. « Ce que je fais maintenant », déclare Jésus à Pierre, « tu le comprendras plus tard ». Il faut du temps pour éduquer et former quelquun, il faut du temps pour faire un homme, avec des valeurs qui dépassent la médiocrité.
Pierre et ses compagnons ont passé environ trois années à côtoyer Jésus, à partager sa vie. Cette période dapprentissage était nécessaire, mais elle nétait pas encore suffisante. Il faudra lEsprit de la Pentecôte et la maturité qui vient avec le temps pour quils prennent toute la mesure de lenseignement du Christ et lincarnent dans leur façon de penser et dêtre. La parabole du grain de sénevé donnée par Jésus est vraie dans tous les cas. Cest lhistoire du vilain petit canard du conte dAndersen qui mettra longtemps avant de devenir un cygne magnifique.
Le Christ, à limage de tous les parents et éducateurs est patient. Il sait quil faut donner du « temps au temps » pour que la croissance se fasse. « Dieu ne veut pas la mort du pécheur », déclare Jésus, « mais quil se convertisse et quil vive. » Raison pour laquelle lEvangile nous invite à ne pas juger, à ne pas condamner. Il sagit, tout en étant réaliste et lucide sur les erreurs, à donner le préjugé favorable, celui qui fait que la confiance demeure, quil y a du bon à venir. La parabole du bon grain et de livraie nous rappelle cette évidence, lêtre humain porte le meilleur comme le pire en lui. La question est toujours : le bon peut-il lemporter sur le mauvais ?
Dune façon générale Jésus donne le préjugé favorable. Il attend, il espère, il parie en quelque sorte sur lavenir, sur un changement positif. Cest ce quil fait avec ses apôtres et avec la plupart des personnes quil croise sur sa route. Cest un peu ce que nous faisons dans la vie de tous les jours. Lexception vient, comme pour le Christ, lorsque la confiance ny est pas, ou ny est plus. Ainsi il se montre dur avec les pharisiens et les princes des prêtres quil compare à des vipères. Il déclare à propos de Judas quil vaudrait mieux quil ne fut pas né, mais il pardonne à Pierre son reniement. Lorsquil y a du bon, il faut lencourager. Lêtre humain progresse aussi par ses fautes et ses maladresses, à partir du moment ou il assez humble pour le reconnaître et assez courageux pour se relever.
Dans les quatorze stations du chemin de croix, il en est une seule répétée plusieurs fois, trois exactement : la chute du Christ. Epuisé par le poids du fardeau de la croix le Sauveur tombe, mais se relève ensuite pour continuer avec courage. Cest lhistoire de la vie. Nous tombons souvent. Mais le problème nest pas de tomber, ce qui finit toujours par arriver un jour ou lautre. Il sagit en fait de se relever, en ayant compris, appris de nos erreurs, pour quelles ne se reproduisent pas. Même ceux qui se croient très forts finissent par tomber. Cest le cas de Pierre jurant à Jésus quil ne labandonnera jamais. Quelque heures après cette déclaration, pourtant sincère sur le moment, il le reniera avec force. « Lesprit est ardent, mais la chair est faible » déclarera Jésus.
LEvangile transmet des vérités essentielles. Elles sont des forces et des moteurs : la foi, lespérance et lamour par exemple. Ces sentiments permettent de dépasser les clivages et les peurs, ils libèrent lêtre humain et lui permettent daller au-delà de ses limites. Il en existe beaucoup dautres, liées et dépendantes des trois premières : par exemple la tolérance, louverture desprit, le pardon, le refus de condamner, le préjugé favorable, la confiance, la miséricorde.
LEvangile nous initie à lessentiel, pour ne pas se perdre, sur le chemin de la vie.
Selon la théologie, un sacrement est « un signe visible institué par Dieu pour nous communiquer la grâce. » Les chrétiens dOrient, orthodoxes, ont une belle formulation, poétique et riche de sens. Ils associent la grâce venue dEn-Haut aux « énergies incrées ». Ce qui est important, cest de comprendre que cette « influence spirituelle » est bénéfique, bienfaisante pour lêtre humain.
Oublions un instant la théologie, concentrons-nous sur lessentiel. En matière dinitiation chrétienne par exemple, lévêque appelle et confère des ordinations (sacrement de lordre). Elles ne sont pas un but à atteindre, mais un point de départ ; des outils, des talents, des services à accomplir, des devoirs qui obligent, en lien avec la communauté chrétienne. Le « prêtre ne peut célébrer seul la messe », écrivait Mgr Giraud dans la Profession de foi de Gazinet, « les fidèles la célèbrent avec lui. »
Une ordination, pour reprendre le langage des paraboles utilisées par Jésus, cest un « grain de sénevé. » Il est déposé par lévêque qui impose les mains à celui quil ordonne prêtre. Cest toujours une « potentialité mise perpétuellement à la disposition de la foi. » Il faut quelle vive, quelle sincarne à lintérieur de celui qui en reçoit le dépôt. Que va-t-il en faire ?
« Linfluence spirituelle » reçue à travers lordination est quelque chose à partager et à transmettre. Comment annoncer lEvangile sil ne vit pas profondément en celui qui lannonce ? Prononcer une homélie nest pas réciter ou lire une leçon, cest faire vivre et partager la bonne nouvelle reçue de Jésus-Christ. Lordination est une étape, mais que serait-elle sans la vocation, lengagement, la sincérité, la communauté chrétienne ?
Le mariage aussi est un sacrement. Ce qui est important cest : comment le vivons-nous, quen faisons-nous ? Des couples donnent lexemple de lidéal proposé par le Christ : « ils ne sont plus deux, mais une seule chair » dit le Seigneur. Dans loptique chrétienne de lEvangile le mariage est quelque chose de grand. Selon lapôtre Paul lalliance nuptiale est la figure de lunion sacrée du Christ et de lEglise (Ephésiens 5,32); « nos petites Eglises familiales » disait aussi le Père Hyacinthe Loyson. Complémentarité, symbiose, partage, pour que puisse se réaliser lidéal de lunité qui procède de lamour ces qualités doivent exister.
Arrêtons-nous ensuite sur le sacrement de baptême, il est fondamental dans lEglise. Il fait de nous - officiellement, visiblement - des chrétiens. Dans la pensée de lEglise, le baptême nous incorpore au Christ, nous greffe sur son corps mystique. Saisir linfluence spirituelle du baptême, cest plonger dans lEvangile, y puiser les valeurs données par le Christ. Mais il ne suffit pas que leau du baptême nous touche, il faut aussi que lesprit de lEvangile puisse nous pénétrer. Doù limportance de la transmission de la foi dans la famille, ou au catéchisme.
Par exemple si lEglise a toujours baptisé les enfants, sans poser de conditions particulières concernant lâge des petits que lon porte sur les fonts baptismaux - « cest des apôtres quest venue la coutume de baptiser les petits enfants » déclare Origène au IIIème siècle (Romains Comment. V,9) - cest parce que lon considère que lenfant est porté par la Foi de sa famille. Voilà pourquoi lon baptise les bébés et les petits enfants.
Dans lEglise Gallicane, le catéchisme est suivi par les enfants qui se préparent à la première communion, à la communion solennelle et à la confirmation.
Après le baptême vient la communion, aussi appelée sacrement de leucharistie. Elle tire son origine du dernier repas pris par Jésus, au cours duquel le Seigneur célébra la Cène. « Il prit le pain, le bénit, en disant : ceci est mon corps ; puis la coupe de vin en disant : ceci est mon sang. » Dans la pensée de lEglise, le pain et le vin consacrés par le prêtre lors de la messe deviennent le corps et le sang du Christ. Pour que le communiant puisse « saisir cette influence spirituelle » au moment de la réception du sacrement, il est important quil sen approche avec la foi.
Dans linitiation chrétienne des jeunes, la confirmation suit la communion. Ce sacrement est conféré par lévêque dans le but dappeler sur celui qui le reçoit les sept dons de lEsprit-Saint : sagesse, intelligence, conseil, force, science, prière et respect du Très-Haut. Comme pour les autres sacrements, cette « influence spirituelle », ces « énergies incrées » ne peuvent sépanouir que dans un contexte de foi. Les dons reçus sont appelés à vivre en nous, parce que la foi est vivante.
Le sacrement de la réconciliation ne doit pas être oublié. Il est aussi appelé sacrement de labsolution. Dans lEglise Gallicane il est essentiellement conféré par le prêtre lors de la messe. En le recevant nous demandons à Dieu de nous libérer de la « part dombre » qui habite en nous, cest à dire de nous pardonner nos péchés. « Je ne fais pas le bien que je voudrais faire, je fais le mal que je ne voudrais pas faire » écrit lapôtre Paul. Cest une définition assez juste de ce que lon appelle le péché.
Terminons cette rapide présentation des sacrements par celui de lonction des malades. Dans lEglise Gallicane il est habituellement donné à la fin de la messe. En le conférant le prêtre impose les mains et marque le front du récipiendaire avec lhuile prévue à cet effet. Cette huile est appelée à agir sur toute faiblesse physique, psychique, morale de lêtre humain. Parfois le sacrement est donné en particulier aux malades ou aux mourants, lorsque les familles en font la demande, à la maison ou à lhôpital.
De sa « boîte à outils » spirituelle, lEglise retire et confère donc sept sacrements pour alimenter la foi et porter secours à ses membres. Ils ont tous leur mission et leur utilité. Ils font partie de linitiation chrétienne. Ils doivent être reçus avec respect. A travers eux, cest le Christ qui se donne à nous.
Mgr Thierry Teyssot