Dans toutes les cultures, l’initiation marque un début, un rite de passage, une transformation. Ainsi le baptême est-il le premier rite de l’initiation chrétienne. On entre dans l’Eglise par le baptême, on devient chrétien par la réception de ce sacrement. Il en existe d’autres ensuite, pour nous permettre d’aller plus loin, dans la vie de la Foi.

La réception de ces sacrements suppose une transformation. Parce que la Foi est vivante, elle appelle une modification profonde de notre état d’esprit. La réception d’un sacrement, c’est aussi une forme d’engagement, comme pour celui du mariage ou des ordinations. Elle suppose le vécu, l’expérience, la prise de conscience. Elle nous appelle à porter du fruit.

Le Témoignage des Evangiles

L’enseignement et les actes de Jésus révèlent l’importance du don divin. La guérison des malades, l’espérance donnée aux blessés de la vie, la présence du Christ marque pour beaucoup un renouveau, une renaissance. Au gré des rencontres et des circonstances, le « Dieu qui sauve » opère de nombreuses transformations. C’est une forme d’initiation, le passage de l’ombre à la lumière ; le début d’une nouvelle vie pour beaucoup.

L’initiation c’est voir autrement, grandir, « naître de nouveau » (Evangile de Jean, discours à Nicodème). « Il y avait un homme, un pharisien nommé Nicodème ; c’était un notable parmi les Juifs. Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit: « Maître, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » (Jean 3,1-3)

En remerciement de l’aide apportée, de la « nouvelle naissance », l’être humain répond au Sauveur par beaucoup de bonne volonté. C’est un des fruits de la reconnaissance, le contraire de l’ingratitude. « Ta foi t’as sauvé » déclare Jésus au samaritain qui vient remercier après avoir été sauvé de la lèpre.

Le christianisme est une initiation à la joie ; celle d’être sauvé, de s’émerveiller de la vie qui nous est donnée. La vie est un miracle, c’est aussi un cadeau, un don. L’initiation chrétienne nous fait prendre conscience de cette réalité.

L’initiation, c’est encore une découverte. Pour le chrétien il s’agit de celle du Christ. La Foi est un regard, posé sur un être qui ne connaît point de limites. Les apôtres s’y sont attachés, ils se sont liés à lui : « vers qui irions-nous Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle », déclare Pierre à Jésus dans l’Evangile de Jean.

Pierre et ses compagnons ont été marqués profondément par leur rencontre avec Jésus. Vivre à ses côtés, partager de longs moments d’intimité avec lui, écouter sa parole, être témoins de ses miracles, sans même qu’ils s’en rendent compte ils ont changé. Une partie d’eux-mêmes a grandi. Leur esprit s’est ouvert à d’autres réalités, ils ont évolué.

« Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que toutes les autres plantes potagères et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. » (Mathieu 13,31-32)

Il est impossible de comprendre la transformation des apôtres sans prendre en compte leur relation vivante avec Jésus. En vivant à ses côtés, dans le souffle de son esprit, dans l’aura de sa personnalité, ils ont changé.

La transmission spirituelle liée à l’initiation, c’est d’abord une influence.

Cela ne s’apprend pas dans les livres. Ecouter, voir, être attentif, pour que la semence du royaume puisse germer, grandir et se développer. Les ouvriers qui ont bâti les cathédrales n’ont pas appris leur métier en s’asseyant sur les bancs de l’école. Ils ont d’abord regardé leur maître travailler, ils se sont imprégnés de ses gestes. C’est ensuite, seulement, qu’ils ont pu commencer à travailler. L’apprentissage suppose une période d’écoute, d’attention, d’initiation. Pour que le métier rentre il faut une maturation, une sorte d’appropriation et d’intégration des gestes, du « coup de main ». Pour qu’un savoir-faire devienne un art, il faut du temps et de la patience, c’est l’école de la vie.

La veille de sa Passion, Jésus lave les pieds de ses disciples qui discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand. A travers ce geste, il veut leur faire comprendre l’humilité. « Ce que je fais maintenant », déclare Jésus à Pierre, « tu le comprendras plus tard ». Il faut du temps pour éduquer et former quelqu’un, il faut du temps pour faire un homme, avec des valeurs qui dépassent la médiocrité.

Pierre et ses compagnons ont passé environ trois années à côtoyer Jésus, à partager sa vie. Cette période d’apprentissage était nécessaire, mais elle n’était pas encore suffisante. Il faudra l’Esprit de la Pentecôte et la maturité qui vient avec le temps pour qu’ils prennent toute la mesure de l’enseignement du Christ et l’incarnent dans leur façon de penser et d’être. La parabole du grain de sénevé donnée par Jésus est vraie dans tous les cas. C’est l’histoire du vilain petit canard du conte d’Andersen qui mettra longtemps avant de devenir un cygne magnifique.

Le Christ, à l’image de tous les parents et éducateurs est patient. Il sait qu’il faut donner du « temps au temps » pour que la croissance se fasse. « Dieu ne veut pas la mort du pécheur », déclare Jésus, « mais qu’il se convertisse et qu’il vive. » Raison pour laquelle l’Evangile nous invite à ne pas juger, à ne pas condamner. Il s’agit, tout en étant réaliste et lucide sur les erreurs, à donner le préjugé favorable, celui qui fait que la confiance demeure, qu’il y a du bon à venir. La parabole du bon grain et de l’ivraie nous rappelle cette évidence, l’être humain porte le meilleur comme le pire en lui. La question est toujours : le bon peut-il l’emporter sur le mauvais ?

D’une façon générale Jésus donne le préjugé favorable. Il attend, il espère, il parie en quelque sorte sur l’avenir, sur un changement positif. C’est ce qu’il fait avec ses apôtres et avec la plupart des personnes qu’il croise sur sa route. C’est un peu ce que nous faisons dans la vie de tous les jours. L’exception vient, comme pour le Christ, lorsque la confiance n’y est pas, ou n’y est plus. Ainsi il se montre dur avec les pharisiens et les princes des prêtres qu’il compare à des vipères. Il déclare à propos de Judas qu’il vaudrait mieux qu’il ne fut pas né, mais il pardonne à Pierre son reniement. Lorsqu’il y a du bon, il faut l’encourager. L’être humain progresse aussi par ses fautes et ses maladresses, à partir du moment ou il assez humble pour le reconnaître et assez courageux pour se relever.

Dans les quatorze stations du chemin de croix, il en est une seule répétée plusieurs fois, trois exactement : la chute du Christ. Epuisé par le poids du fardeau de la croix le Sauveur tombe, mais se relève ensuite pour continuer avec courage. C’est l’histoire de la vie. Nous tombons souvent. Mais le problème n’est pas de tomber, ce qui finit toujours par arriver un jour ou l’autre. Il s’agit en fait de se relever, en ayant compris, appris de nos erreurs, pour qu’elles ne se reproduisent pas. Même ceux qui se croient très forts finissent par tomber. C’est le cas de Pierre jurant à Jésus qu’il ne l’abandonnera jamais. Quelque heures après cette déclaration, pourtant sincère sur le moment, il le reniera avec force. « L’esprit est ardent, mais la chair est faible » déclarera Jésus.

L’Evangile transmet des vérités essentielles. Elles sont des forces et des moteurs : la foi, l’espérance et l’amour par exemple. Ces sentiments permettent de dépasser les clivages et les peurs, ils libèrent l’être humain et lui permettent d’aller au-delà de ses limites. Il en existe beaucoup d’autres, liées et dépendantes des trois premières : par exemple la tolérance, l’ouverture d’esprit, le pardon, le refus de condamner, le préjugé favorable, la confiance, la miséricorde.

L’Evangile nous initie à l’essentiel, pour ne pas se perdre, sur le chemin de la vie.

Sacrements et Influence Spirituelle

Selon la théologie, un sacrement est « un signe visible institué par Dieu pour nous communiquer la grâce. » Les chrétiens d’Orient, orthodoxes, ont une belle formulation, poétique et riche de sens. Ils associent la grâce venue d’En-Haut aux « énergies incrées ». Ce qui est important, c’est de comprendre que cette « influence spirituelle » est bénéfique, bienfaisante pour l’être humain.

Oublions un instant la théologie, concentrons-nous sur l’essentiel. En matière d’initiation chrétienne par exemple, l’évêque appelle et confère des ordinations (sacrement de l’ordre). Elles ne sont pas un but à atteindre, mais un point de départ ; des outils, des talents, des services à accomplir, des devoirs qui obligent, en lien avec la communauté chrétienne. Le « prêtre ne peut célébrer seul la messe », écrivait Mgr Giraud dans la Profession de foi de Gazinet, « les fidèles la célèbrent avec lui. »

Une ordination, pour reprendre le langage des paraboles utilisées par Jésus, c’est un « grain de sénevé. » Il est déposé par l’évêque qui impose les mains à celui qu’il ordonne prêtre. C’est toujours une « potentialité mise perpétuellement à la disposition de la foi. » Il faut qu’elle vive, qu’elle s’incarne à l’intérieur de celui qui en reçoit le dépôt. Que va-t-il en faire ?

« L’influence spirituelle » reçue à travers l’ordination est quelque chose à partager et à transmettre. Comment annoncer l’Evangile s’il ne vit pas profondément en celui qui l’annonce ? Prononcer une homélie n’est pas réciter ou lire une leçon, c’est faire vivre et partager la bonne nouvelle reçue de Jésus-Christ. L’ordination est une étape, mais que serait-elle sans la vocation, l’engagement, la sincérité, la communauté chrétienne ?

Le mariage aussi est un sacrement. Ce qui est important c’est : comment le vivons-nous, qu’en faisons-nous ? Des couples donnent l’exemple de l’idéal proposé par le Christ : « ils ne sont plus deux, mais une seule chair » dit le Seigneur. Dans l’optique chrétienne de l’Evangile le mariage est quelque chose de grand. Selon l’apôtre Paul l’alliance nuptiale est la figure de l’union sacrée du Christ et de l’Eglise (Ephésiens 5,32); « nos petites Eglises familiales » disait aussi le Père Hyacinthe Loyson. Complémentarité, symbiose, partage, pour que puisse se réaliser l’idéal de l’unité qui procède de l’amour ces qualités doivent exister.

Arrêtons-nous ensuite sur le sacrement de baptême, il est fondamental dans l’Eglise. Il fait de nous - officiellement, visiblement - des chrétiens. Dans la pensée de l’Eglise, le baptême nous incorpore au Christ, nous greffe sur son corps mystique. Saisir l’influence spirituelle du baptême, c’est plonger dans l’Evangile, y puiser les valeurs données par le Christ. Mais il ne suffit pas que l’eau du baptême nous touche, il faut aussi que l’esprit de l’Evangile puisse nous pénétrer. D’où l’importance de la transmission de la foi dans la famille, ou au catéchisme.

Par exemple si l’Eglise a toujours baptisé les enfants, sans poser de conditions particulières concernant l’âge des petits que l’on porte sur les fonts baptismaux - « c’est des apôtres qu’est venue la coutume de baptiser les petits enfants » déclare Origène au IIIème siècle (Romains Comment. V,9) - c’est parce que l’on considère que l’enfant est porté par la Foi de sa famille. Voilà pourquoi l’on baptise les bébés et les petits enfants.

Dans l’Eglise Gallicane, le catéchisme est suivi par les enfants qui se préparent à la première communion, à la communion solennelle et à la confirmation.

Après le baptême vient la communion, aussi appelée sacrement de l’eucharistie. Elle tire son origine du dernier repas pris par Jésus, au cours duquel le Seigneur célébra la Cène. « Il prit le pain, le bénit, en disant : ceci est mon corps ; puis la coupe de vin en disant : ceci est mon sang. » Dans la pensée de l’Eglise, le pain et le vin consacrés par le prêtre lors de la messe deviennent le corps et le sang du Christ. Pour que le communiant puisse « saisir cette influence spirituelle » au moment de la réception du sacrement, il est important qu’il s’en approche avec la foi.

Dans l’initiation chrétienne des jeunes, la confirmation suit la communion. Ce sacrement est conféré par l’évêque dans le but d’appeler sur celui qui le reçoit les sept dons de l’Esprit-Saint : sagesse, intelligence, conseil, force, science, prière et respect du Très-Haut. Comme pour les autres sacrements, cette « influence spirituelle », ces « énergies incrées » ne peuvent s’épanouir que dans un contexte de foi. Les dons reçus sont appelés à vivre en nous, parce que la foi est vivante.

Le sacrement de la réconciliation ne doit pas être oublié. Il est aussi appelé sacrement de l’absolution. Dans l’Eglise Gallicane il est essentiellement conféré par le prêtre lors de la messe. En le recevant nous demandons à Dieu de nous libérer de la « part d’ombre » qui habite en nous, c’est à dire de nous pardonner nos péchés. « Je ne fais pas le bien que je voudrais faire, je fais le mal que je ne voudrais pas faire » écrit l’apôtre Paul. C’est une définition assez juste de ce que l’on appelle le péché.

Terminons cette rapide présentation des sacrements par celui de l’onction des malades. Dans l’Eglise Gallicane il est habituellement donné à la fin de la messe. En le conférant le prêtre impose les mains et marque le front du récipiendaire avec l’huile prévue à cet effet. Cette huile est appelée à agir sur toute faiblesse physique, psychique, morale de l’être humain. Parfois le sacrement est donné en particulier aux malades ou aux mourants, lorsque les familles en font la demande, à la maison ou à l’hôpital.

De sa « boîte à outils » spirituelle, l’Eglise retire et confère donc sept sacrements pour alimenter la foi et porter secours à ses membres. Ils ont tous leur mission et leur utilité. Ils font partie de l’initiation chrétienne. Ils doivent être reçus avec respect. A travers eux, c’est le Christ qui se donne à nous.

Mgr Thierry Teyssot


Sommaire