Chaque 28 décembre, l'Eglise nous invite à nous remémorer le martyre des petits enfants victimes du glaive des soldats du cruel roi Hérode.

Le Contexte

Dans les temps de la naissance du Christ à Bethléem, des mages venus d'orient (Mathieu 2,1-2) se rendirent à Jérusalem à la cour du roi Hérode pour lui demander où se trouvait le "roi des juifs" qui venait de naître. Après un échange de paroles relaté par l'Evangile de Mathieu les mystérieux voyageurs partirent seuls poursuivre leur pèlerinage en suivant l'étoile de Bethléem.

A la crèche, ils contemplèrent l'Enfant-Jésus, puis un songe fort étrange leur enjoignit de regagner leur pays par un autre chemin. Ce chemin modifié ne devait pas passer par le palais d'Hérode, la Providence savait que le cruel monarque avait déjà fait assassiner deux de ses fils pour les écarter du trône; il en serait de même avec l'Enfant-Dieu.

Les mages n'ayant pas indiqué l'endroit où se trouvait le bébé, Hérode envoya ses soldats mettre à mort tous les petits enfants de Bethléem et de sa région, à partir de deux ans et en dessous. On imagine sans peine le drame de tels instants.

Réflexion de l'Eglise

Elle a toujours enseigné que ces victimes innocentes entraient directement dans le royaume de Dieu sans passer par la multiplicité des épreuves terrestres. C'est une réponse vraie dans l'absolu, mais qui pèche terriblement sur le plan humain. Face à l'insoutenable, l'être humain cherche des réponses, elles ne peuvent être qu'approximatives.

J'ai souvenir il y a quelques années d'un ami prêtre m'informant qu'en Amérique du Sud une catastrophe naturelle avait enseveli dans une église les soixante enfants d'une paroisse qui préparaient leur communion solennelle. "Je n'aimerais pas être à la place du prêtre qui célébrera les obsèques" m'avait dit mon ami. Que dire aux familles dans de tels moments ? La liturgie des Saints Innocents rejoint ce qui touche à l'injustice suprême, là où nos raisonnements humains sont impuissants à traduire une vérité spirituelle satisfaisante. Le prêtre qui présida les funérailles put-il soutenir le regard des parents anéantis par la douleur ? "Les Saints Innocents entrent directement dans le royaume de Dieu sans passer par la multiplicité des épreuves terrestres" répète l'Eglise; belle réponse académique, théologique, froide comme un théorème mathématique. On mesure le décalage pouvant exister entre la morsure de la douleur et les rouages de la raison.

L'Omniprésence de la Croix

Elle éclate dans la naissance du Christ. Elle se profile même avant. Ainsi la visite de l'ange Gabriel à Nazareth contient l'annonce de la maternité miraculeuse de Marie, mais ce que l'Evangile ne dit pas, c'est que Marie dut fuir dans les montagnes pour échapper à la peine de mort prévue par la loi de Moïse pour punir la femme adultère. Elle se réfugie alors chez sa cousine Elisabeth (Visitation), puis un songe est envoyé à Joseph pour lui révéler l'origine divine de la grossesse de sa fiancée. Il y croit; ce n'était peut-être pourtant pas si facile... Marie retourne ensuite à Nazareth mais la rumeur, implacable, féroce et venimeuse continuera longtemps de la suivre; on le devine sans peine. La Sainte Famille devra vivre avec.

Est-ce elle qui motive le silence du Christ lorsque trente ans plus tard on lui présente une femme adultère en lui demandant s'il faut la punir de mort ? Sans doute mû par l'émotion Jésus ne répond d'abord rien, puis il y eut la célèbre réplique: "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. Ils s'en allèrent tous à commencer par les plus âgés" (Jean 8,4-11).

Le merveilleux entoure la naissance du Christ. Il y côtoie également le terrible comme pour annoncer la parabole du bon grain et de l'ivraie.

D'un côté le courant miraculeux, l'ange Gabriel, les songes inspirés, la crèche, l'étoile, la visite des mages avec leurs présents, bénédiction providentielle pour la fuite et l'installation en terre égyptienne en attendant la mort d'Hérode.

De l'autre la menace de mort sur Marie, les angoisses et les doutes de Joseph dans un premier temps, le voyage difficile à Bethléem, la précarité matérielle de la Sainte Famille et le refus des habitants de prêter ne serait-ce qu'une chambre pour l'accouchement de la future maman; enfin comme si cela ne suffisait pas l'existence et la férocité d'Hérode, sanguinaire et cruel monarque qui n'hésite pas à attenter à la vie même des petits enfants de son territoire.

L'Apôtre Paul parle du mal comme d'un "mystère d'iniquité" (2 Th.2,7), réalité qui dépasse donc notre faculté habituelle d'entendement.

L'actualité de ce mois de janvier 1998 révèle des massacres effroyables en Algérie où sont visés en premier les femmes et les enfants. Le martyre des Saints Innocents est de toutes les époques et de tous les temps; dans les camps de la mort du régime nazi, dans les tranchées de 1914-1918, dans les famines, les guerres, l'explosion des mines, le terrorisme, les épidémies, les accidents de la route, la course au profit, le chômage.

Il nous rappelle que nous avons des devoirs: de justice, de protection du plus faible par le plus fort, de respect de la nature et de la vie.

Face au "mystère d'iniquité" Dieu oppose une main percée, puis une autre, puis les deux pieds, puis un coeur, l'image du Christ crucifié nous introduit là aussi dans une réalité qui dépasse notre faculté habituelle d'entendement: "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique" (Jean 3,16).

La raison comme la science doivent se contenter d'approximations. Seuls demeurent "la foi, l'espérance et l'amour, mais la plus grande vertu c'est l'amour" (1Cor. 13,13).

Questions d'éthique

L'actualité de ce mois de janvier 1998 c'est aussi ce médecin américain qui envisage en clinique le clonage d'êtres humains pour résoudre le problème de l'infertilité de certains couples. A l'heure où tant d'enfants sont à adopter il est vraiment surprenant d'entendre de tels propos.

A l'heure où le trafic d'organes s'organise des pays pauvres vers les pays riches l'on peut aussi frémir en songeant aux enfants assassinés pour alimenter ce commerce. Plus que jamais le martyre des Saints Innocents est d'aujourd'hui et de demain.

Plus que jamais nos sociétés dites évoluées doivent faire preuve de discernement en matière d'éthique et prendre des mesures énergiques pour éviter que - selon l'expression évangélique - "l'abomination de la désolation ne s'installe à l'intérieur du temple" (Mathieu 24,15), c'est à dire l'être humain: "Vous êtes le temple de l'Esprit-Saint" (1Cor. 3,16).

Le microscope électronique et la technologie permettent des prouesses et des merveilles dans le domaine de la génétique. L'on peut applaudir pour le traitement de certaines maladies où l'on va sauver des vies et enlever la souffrance, mais attention: - l'Homme n'est pas le créateur de la vie, il ne sait que manipuler des paramètres, appuyer sur des boutons. Il faut penser aux excès de ceux dont les intentions ne sont ni pures ni droites. La course au profit, les visées militaires, le concept de "purification ethnique" sont des dangers toujours présents qui menacent l'avenir de l'Humanité.

C'est le rôle des Eglises de dire attention, c'est au législateur à ériger des barrières qui préservent du danger.


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