L’immense personnalité du Précurseur, Saint Jean-Baptiste, venu pour préparer la venue du Christ surprend toujours dans l’Evangile. Jésus déclare à son sujet : « Jean est venu ne mangeant pas et ne buvant pas, et on dit: il a un démon ! Le Fils de l’homme est venu, qui mange et boit, et on dit: Voilà un homme glouton et ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs ! Et la sagesse a été justifiée par ses oeuvres » (Mathieu 11,18-19).

Qu’est-ce qui caractérise d’une manière spéciale la mission de Saint Jean-Baptiste sur cette terre ? Pourquoi une façon de se conduire si ascétique et si différente du commun des mortels ?

« Tous les saints ne sont pas saints de la même manière, » disait le Curé d’Ars, « il y a des saints qui n’auraient pu vivre avec d’autres saints... Tous ne prennent pas le même chemin. Cependant tous arrivent au même endroit. »

Chaque saint reçoit de l’intelligence divine son propre « ordre de mission », ce que les Pères grecs nomment sa « politikeïa », sa vocation. En même temps un « ange gardien » particulier lui est attribué pour mener à bien cette oeuvre pour laquelle il est, d’une certaine façon, prédestiné.

En règle générale, l’être humain est surtout appelé à l’imitation de Jésus-Christ, mais certaines âmes comme celle du Curé d’Ars sont choisies, triées, isolées, mises à part pour pratiquer « l’imitation de Jean le Baptiste ».

A près de deux mille ans d’intervalle les deux saints se ressemblent par le dépouillement et la conviction : celui qui se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage (Mathieu 3,4 et Marc 1,6) et celui qui ne mangeait qu’une pomme de terre bouillie et s’en passait les jours de jeûne. Et cette voix incessante appelant les hommes à la conversion, qui serait étonné de la trouver jumelle chez les deux inspirés ?

Comment l’ange ou l’esprit d’Elie peut-il descendre à des époques différentes et animer Jean le Baptiste et puis l’Abbé Vianney et combien d’autres entre ces deux là ?

Un être mis à part

Selon l’Evangile, l’annonce de la naissance du Précurseur procède d’une initiative directe du Ciel. L’ange Gabriel apparaît au prêtre Zacharie. Durant son tour de service au temple l’ange du Seigneur entre en contact avec lui. Il lui révèle qu’avec son épouse Elisabeth ils auront un fils. Ils devront lui donner le nom de Jean.

« Il sera grand aux yeux du Seigneur ; il ne boira ni vin ni liqueur fermentée ; il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère et ramènera de nombreux fils d’Israël au Seigneur, leur Dieu. Lui-même le précédera avec l’esprit et la puissance d’Elie, pour ramener le cœur des pères vers leurs enfants et les rebelles à la sagesse des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé. » (Luc 1,16-18)

Cette prophétie de l’ange s’accomplira en son temps. L’interdit mis sur le vin et les boissons fermentées renvoie au naziréat. Dans la Bible, le nazir est une personne qui fait vœu d’ascétisme (Nombres 6. 1-21). Ce mot signifie « consacré » ou « séparé ». Samson et Samuel dans l’Ancien Testament étaient nazirs à vie.

Luc 1,80 nous dit que « l’enfant croissait et son esprit se fortifiait. Et il demeura au désert, jusqu’au jour où il devait être manifesté à Israël. » Il existe une forme de « marginalité » chez Jean le Baptiste. Il semble à l’écart de la vie sociale ordinaire. Cela ajoute du mystère à son parcours.

Parallèle avec le Curé d’Ars

Comment présenter aux chrétiens de notre époque un prêtre qui déjà heurtait profondément la sienne ? Et pourtant comment ne pas en parler avec enthousiasme ?

Pour accéder à la sainteté faut-il faire de sa vie une endura cathare ? Faut-il dormir deux heures par nuit ? Faut-il ne manger qu’une pomme de terre bouillie et s’en passer les jours de jeûne ? Faut-il porter sur le corps un cilice clouté ? Faut-il se frapper au lever avec une chaîne ? Faut-il en plein hiver dans la froidure du village d’Ars refuser toute chaleur ? Faut-il remplacer la paille de sa rustique couche par un fagot de sarment ? Faut-il s’arracher les dents pour les vendre ? Le Curé d’Ars a fait tout cela.

En contemplant cette vie de prêtre il faut nous garder de deux choses : le fait de penser que cette route vers le Ciel est unique, et qu’il n’y en a pas d’autre ; le fait de penser qu’elle est démente.

Jésus qui changea l’eau en vin à Cana, qui multiplia les pains et les poissons sur la montagne, qui fit cuire des poissons pour ses Apôtres ne les incita pas à suivre la même voie que celle de Saint Jean le Baptiste qui se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage tout au long de l’année.

- « Jean est venu ne mangeant pas et ne buvant pas - le fils de l’homme est venu mangeant et buvant » (Mathieu 11,18-19).

Quel appel spécial reçurent Jean le Baptiste et Jean-Marie-Baptiste Vianney pour adhérer à une telle ascèse ? C’est un secret, pour reprendre l’expression de Jésus, c’est un secret entre Dieu et eux.

Il y a tout de même plus à dire sur l’ascèse du curé d’Ars. D’abord qu’elle se situe sur un territoire de combat personnel. Le grappin, ce démon intime qui tourmente le saint prêtre, combien il guette la moindre erreur. La vie du curé d’Ars, durant des années, va être troublée par cette présence jamais exorcisée, cette présence gigantesque qui secoue les murs, qui renverse les choses, que des centaines de témoins ont pu constater et à laquelle il donne le nom de grappin.

Les historiens du Curé d’Ars signalent que comme Jean le Baptiste, il fut dès l’enfance élevé d’une façon particulière sur le plan spirituel. L’on ignore pourquoi sa mère Marie Béluse, épouse Vianney le distingua de ses frères en lui disant que son chagrin serait plus intense s’il commettait le moindre péché que si cela arrivait à l’un d’eux, mais il est probable que le Ciel Lui-même inspira ce « naziréat », à l’image de Samson, du prophète Samuel et de Saint Jean-Baptiste.

Un être dans un autre

Si nous pensons avec Origène et plusieurs autres Pères de l’Eglise que chaque être humain possède au fur et à mesure de sa progression spirituelle, un ange gardien et un démon personnel de plus en plus puissant, de plus en plus important, de plus en plus sensible dans la hiérarchie céleste, nous devons deviner que le grappin du curé d’Ars devait être une force maligne particulièrement extraordinaire.

D’un côté de la balance il nous faut mettre le grappin (le mot n’est pas du curé d’Ars, il était utilisé autrefois dans toute la Bourgogne, car les aïeules enseignaient aux enfants qu’il était dangereux de prononcer le nom du diable, on lui donnait donc un tas de surnoms), de l’autre côté de la balance un être gigantesque va faire pendant au grappin: c’est le Précurseur, c’est Saint Jean-Baptiste.

Il est un mot de vieux français qui n’est guère utilisé que dans la vie des saints; c’est le mot adombrer. Il signifiait d’abord couvrir d’ombre, et on le retrouve dans les vieux textes pour dire que : « l’Esprit-Saint adombra la Vierge Marie » (Luc 1,35). Il s’agit à travers la Communion des saints d’une véritable présence intérieure, d’un être dans un autre le soutenant et le guidant. Qui peut nier que l’esprit de Jean le Baptiste fut sur le curé d’Ars, durant tout son sacerdoce, comme l’esprit d’Elie était sur Jean le Baptiste lui-même ?

Dés sa confirmation cet esprit le soutient et le guide, l’adombre, l’irradie de sa présence au point que l’enfant fait ajouter le prénom de Baptiste à son état civil.

Jeune prêtre le curé d’Ars a une apparition de Saint Jean-Baptiste dans son église d’Ars... Le saint lui parle, ouvrant un dialogue qui ne va pas finir; il lui donne l’ordre de faire bâtir une chapelle dans l’église. Et c’est de cette chapelle Saint Jean-Baptiste que vont rayonner la majeure partie des actions miraculeuses. C’est là qu’il fait installer son confessionnal.

L’on peut ressentir un certain malaise en voyant combien les livres consacrés au Curé d’Ars escamotent ou, en tout cas, ramènent à un second plan l’apparition que fit Saint Jean-Baptiste en l’église d’Ars, durant la messe célébrée par l’Abbé Vianney.

De telles manifestations ne sont pas si isolées dans les vies de Saints. Il arrive parfois, plus souvent qu’on ne le pense, que durant la célébration du Saint Mystère de la messe quelque chose se déchire dans le mur de l’espace et du temps pour laisser entrevoir quelque habitant d’une autre dimension.

Mais cette venue va marquer profondément la vie du Curé d’Ars. Alors que s’élève sa prière fervente, une forme se précise du côté Evangile, c’est à dire à la gauche de celui qui est en train d’invoquer l’Eternel, face à l’Orient.

Celui qui se montre ainsi est d’une stature que le pinceau d’un Michel-Ange eut aimé fixer : le torse nu, le visage et le corps noircis par le soleil, la peau d’un bouc autour des reins, le Précurseur vient de se rendre auprès de celui qui s’était mis jadis sous sa protection.

Cela remonte à 1806... Le jeune Vianney que ses parents avaient nommé Jean-Marie a voulu ajouter comme prénom de confirmation celui de Baptiste... Au moment de recevoir le sceau de l’Esprit-Saint à travers le sacrement, c’est ce saint qui fut invoqué.

- « L’esprit d’Elie était sur Jean le Baptiste » nous disent les Saintes Ecritures (Luc 1,17). A partir de la confirmation de celui qui fut désormais Jean-Baptiste-Marie, c’est ce même esprit qui ne va cesser de se manifester.

Ouvrons le livre de l’Abbé Alfred Monnin consacré au curé d’Ars (édition de 1864) :

- « Un jour » - dit la chronique - « il vit le saint précurseur debout au coin de l’autel, du côté de l’Evangile, lui faisant entendre qu’il voulait être particulièrement honoré dans l’église d’Ars et que par son intercession beaucoup de pécheurs reviendraient à Dieu » (Vie du Curé d’Ars - page 104).

En effet, quelques jours après la bénédiction de l’autel de Saint Jean-Baptiste, il tient à ses fidèles assemblés ces propos étonnants : « Si vous saviez ce qui s’est passé dans cette chapelle, vous n’oseriez pas y mettre les pieds. »

L’Esprit d’Elie était sur Jean le Baptiste, nous disent les Saintes Ecritures. Quel souffle charismatique est donc passé du mont Carmel au fleuve Jourdain, du Jourdain à Ars ?

Quand nous regardons le visage émacié du très saint prêtre, que notre regard ne se fasse pas trop naïf, ce mystique n’est pas - comme certains auront parfois le tort de le représenter - un être de mentalité infantile dans lequel il se produit par instant des phénomènes qui le dépassent. Il nous faut bien réaliser que nous avons affaire à un personnage très fin, très perspicace, qui a dédaigné l’instruction de ce monde pour en recevoir une autre, totalement tournée vers les sciences célestes. La pointe acérée de l’esprit, le Curé d’Ars la possède au plus haut point. A cet ultramontain qui lui demande ironiquement de le laisser s’accrocher à sa soutane pour entrer au Paradis, il répond en contemplant sa bedaine fournie : « non! non! La porte du Ciel est étroite, nous resterions tous deux sans pouvoir entrer... »

Ce qu’il faudrait pour bien cerner Saint Jean-Baptiste-Marie Vianney c’est pouvoir reconstituer tout ce que lui a enseigné oralement durant des années son guide et son initiateur l’Abbé Balley. Bien imprudent celui qui réduirait son ascèse à des histoires de pommes de terres bouillies ou de cilices... L’Ascèse, c’est une façon de se découvrir et de se maîtriser pour pousser cet « autre corps » dont parle l’Apôtre Paul vers des dimensions inconnues de la multitude des hommes.

Dans son livre: « Le Curé d’Ars » paru en 1981 aux éditions « Le Centurion » André Ravier affirme que Dieu s’est servi comme instrument de ses desseins et de sa grâce d’un prêtre admirable : Monsieur Balley. Et il ajoute: « Monsieur Balley joua auprès de Jean-Marie Vianney le rôle que Saint Augustin attribue au « Maître parfait » dans la formation d’un disciple. »

Adombrement

Au bout de l’expérience ascétique, il y a des rencontres telles que celle qui eut lieu entre Jean-Baptiste-Marie, Curé d’Ars et Jean-Baptiste, Précurseur de Jésus. La chose est-elle possible ? Le dialogue entre Jésus, Moïse et Elie lors de l’épisode du Thabor est-il possible ? Serions-nous chrétiens si nous ne croyions pas à la « Communion des Saints » (pour reprendre cette expression du Symbole des Apôtres). La chose a-t-elle réellement eut lieu ? Le nier ce serait réduire la personnalité du curé d’Ars à des dimensions où il ne serait plus guère intéressant de vous parler de lui.

Prenons encore le témoignage de l’Abbé Alfred Monnin :

- « Que s’était-il donc passé ? Qu’avait vu le Curé d’Ars ? C’est là une de ces demi-révélations comme il lui en échappait par mégarde. Son humilité se hâtait ensuite d’en réparer l’imprudence et d’en atténuer les effets sur l’opinion. Ce que nous savons c’est que la chapelle de Saint Jean-Baptiste lui fut toujours chère et vénérable, c’est là que s’accomplirent les plus grands mystères de miséricorde et de réparation. C’est là que le saint prêtre accueillit les pécheurs, pendant cette longue période que l’on peut appeler la période triomphale du pèlerinage. C’est là que s’écoulèrent dans les obscurs travaux du confessionnal, les dernières et les plus belles années de sa vie. C’est là enfin qu’il a consommé son glorieux martyre. »

Pourquoi n’a-t-on pas mis en exergue cet aspect de sa prêtrise ? Il a vu Jean ! Il a reçu de lui une mission et des directives. Dans une certaine mesure nous pourrions dire que dans l’esprit du Curé d’Ars, en 1822, « il vint un homme dont le nom était Jean ». Il l’imprégna, il l’adombra - pour reprendre ce terme de vieux français qui signifiait « couvrir d’ombre », une ombre tutélaire, une expression plus guère utilisée que dans la vie des saints pour marquer l’irradiation mystique, la présence d’un être dans un autre pour le soutenir et le guider : « l’Esprit-Saint adombra la Vierge Marie » (Luc 1,25) - il agit à travers lui, faisant couler dans son église d’Ars un Jourdain purificateur.

L’esprit de Jean le Baptiste était sur lui.

Après avoir osé écrire une telle phrase avec toute la prudence qui s’impose et sans prétendre préciser le mode de tutelle du Baptiste, nous pouvons en constater les effets à travers une prodigieuse floraison de miracles dépassant l’humain.

D’ailleurs rien d’étonnant à ce qu’une âme de cette trempe ait réussi à prier son saint patron jusqu’à ce qu’il s’établisse entre les deux êtres une unité d’action, l’un devenant le guide de l’autre.

Ne craignons pas de dire que si l’apôtre Paul a pu dire : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2,20) ; le saint curé aurait pu dire : « ce n’est pas moi qui agis, c’est Saint Jean-Baptiste qui agit en moi. »

Et cette vision de la vie du Curé d’Ars explique deux choses :

D’abord cette ascèse surhumaine et la façon dont il la supporte ; il est possible qu’un saint accepte de vivre moins bien qu’un déporté de Buchenwald, mais il n’est guère possible qu’il vive vieux tout en gardant sa tête solide...

Et surtout qu’il ait cette présence de chaque seconde... Le premier miracle du Curé d’Ars c’est que n’ayant pratiquement ni dormi, ni mangé il ait quitté son église à vingt-trois heures et y revienne pour une messe matinale à une heure du matin... Puis, après diverses occupations, il s’enferme durant des heures et des heures dans son confessionnal pour écouter, conseiller, prédire, orienter des vies.

Pourquoi la tête ne vacille-t-elle pas ? Quelle énergie lui permet de continuer ainsi pendant quarante et un ans, puisque devenu Curé d’Ars en 1818, il est rappelé à Dieu en 1859 ?

Si quelque chose de la vitalité de Saint Jean-Baptiste ne prend pas le relais, l’ascèse est inexplicable.

Cela c’est la première chose, la seconde c’est la profusion des prodiges. Ils sont si nombreux que l’Eglise moderne n’ose plus en parler.

Floraison de Prodiges

Citons le Chanoine Trochu page 24 de son troisième livre de faits miraculeux du Curé d’Ars... C’est une future religieuse qui vient le consulter :

- « Le Curé d’Ars venait de joindre les mains, il priait. Soudain Louise le vit s’élever à peu près à un pied de hauteur. Il garda cette attitude une quinzaine de minutes. Enfin, quand sorti de son extase il eut touché terre...»

Je vous fais grâce du reste de la citation. Ce que je veux illustrer c’est que des faits prodigieux s’accomplissaient à travers lui.

Alors il est difficile de ne pas voir une force angélique ou surhumaine aux côtés du saint, sorte de Jourdain spirituel où il puise sans fin.

Tel jour à l’Abbé Platz qu’il n’a jamais vu il dit : - « Vous venez de la part de Madame Krinner, votre paroissienne, pour me demander ce que son mari est devenu dans l’autre monde.»

L’Abbé Platz qui a bien été envoyé dans ce but parce que Monsieur Krinner s’est suicidé est suffoqué; il répond oui, alors le Curé d’Ars explique que le suicide a été précédé d’une période de repentir et que Dieu a pardonné. Mais, dit le Saint : « il a un long purgatoire à faire. »

Ce cas n’est pas, du tout, un cas isolé... Le Curé d’Ars parle comme s’il avait un regard permanent sur les registres du Ciel...

Quel rôle joua le Curé d’Ars dans la vie religieuse de son temps ? Sans fin nous le voyons diriger des vocations, conseiller, intervenir tant auprès des puissances du Ciel qu’auprès des puissances de ce monde.

- « Allez à Saint Sulpice », dit-il à l’Abbé Boin ; « il fera un bon petit frère des Ecoles », dit-il à la tante Viannay de son petit neveu; « faites-vous franciscain », conseille-t-il à Monsieur Delor.

A Primaël Joseph, il conseille les Frères des Ecoles Chrétiennes, mais au jeune Gaben il indique l’Ordre des Lazaristes, au Frère Polycarpe il prescrit l’Ordre de Saint François, à Jean-Marie Corbet il déconseille l’Ordre des Chartreux où d’ailleurs il ne restera pas.

Il conseille à celle qui va devenir la Soeur Théodora de rejoindre les Soeurs de Grand fontaine dans le Doubs; à la Soeur Regipas que l’on ne veut pas recevoir au couvent de la Charité de Lyon pour raison de santé, il ordonne de retourner faire une demande et elle est prise.

Quoiqu’on veuille souvent présenter les choses autrement, on allait voir le Curé d’Ars comme on va voir un voyant ou un guérisseur.

Ce n’était pas dans un certain sens l’essentiel de sa mission, mais sans cela il n’aurait pas vu une seule personne étrangère à sa paroisse.

A ces dons de guérisseur et de voyant succédaient, bien sur, d’autres dons dont celui de prédication n’était pas le moindre... Après avoir prié tout bas, car disait-il : « Dieu n’est pas sourd » ; pour les malades et les affligés, il élevait le ton jusqu’à des hauteurs prodigieuses pour la conversion de ceux qui « eux sont sourds ou ne veulent pas entendre ».

Et le don de conversion se faisait; ce don ayant d’ailleurs pour tremplin la reconnaissance de ceux qui avaient vu guérir un être cher ou qui avaient vu un problème se dénouer par une vision fulgurante sur l’avenir de ces prunelles mauves.

Le Voyant, c’est, nous dit la Bible, l’ancien nom que l’on donnait au Prophète d’Israël. Quand Samuel reçoit Saül, Saül est en train de chercher les ânesses de son père, il est reçu par le Voyant d’Israël qui est le Prophète Samuel (1 Samuel 9,18-20). C’est par centaines que nous pouvons rapporter les témoignages de personnes ayant constaté l’existence de ce don chez Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney.

Mgr Trochu, à lui seul, a consacré une pile de livres à publier une partie de ces témoignages... Je ne vais en citer ici qu’une faible partie.

Pierre Barbin qui vit à Arcinges se rend pour la première fois à Ars. Le Curé d’Ars qui se rend à la sacristie le salue par son nom, lui dit d’où il vient et lui parle de problèmes qu’il n’avait jamais confié à personne.

A Mademoiselle Chrétien, de Bessenay dans le Rhône il déconseille de rentrer dans un couvent... « Dans peu de temps il sera fermé », dit-il. Ceci se passait en juin 1848; en juillet la révolution éclatait à Paris et faisait fermer le couvent.

A une jeune ouvrière amenée de Lyon par Madame Coutte, il révèle qu’elle est enceinte de six mois et que l’enfant qu’elle porte sera prêtre; ce qui arriva.

Une châtelaine, amie du comte des Garets, a décidé de mettre fin à ses jours... Elle se procure une fiole de poison; mais voulant revoir le Curé d’Ars une dernière fois elle se rend à son église. Le saint va vers elle et lui fait retirer le flacon de sa poche : « Que voulez-vous faire de ce que vous portez sur vous; donnez-moi cela ! »

En 1854 il prédit à une anglaise que l’un de ses fils serait évêque. Ce fut plus de vingt ans plus tard Monseigneur Arthur Riddel, évêque de Northampton.

Mgr Trochu rapporte l’histoire de ces deux voisines de Lyon qui dirent un jour : « Allons donc voir cette bête curieuse » ; le Curé d’Ars sort de son église à leur arrivée et s’approchant de leur voiture, Il déclare : « Mesdames, je viens vous montrer la bête curieuse que vous désiriez voir ».

Aux deux fils Gauchet de Namur de passage à Ars, il prédit à l’un qu’il sera un « savant religieux », à l’autre qu’il sera un « apôtre laïc ». Le premier Alexis devient Frère des Ecoles Chrétiennes et sera l’auteur de nombreux atlas et ouvrages de géographie. Quant à son frère il ouvre une brasserie de bière en Belgique, brasserie qui devient très importante. C’est un homme d’une grande charité, qui fait entrer un climat social parmi ses ouvriers, à tel point qu’on va le surnommer : « le saint homme de Tamines ». Il meurt après avoir fait construire une école et distribuer ses biens aux pauvres.

Un jour deux jeunes filles se présentent au Curé d’Ars, l’une veut se faire religieuse, l’autre voudrait bien se marier... Ce sont deux soeurs. A leur grande stupeur, elles s’entendent dire exactement le contraire de ce qu’elles attendaient. A celle qui veut se marier, le Voyant dit : « tu seras religieuse » ; à l’autre il déclare que sa vocation est le mariage. Elles sont tellement surprises que durant un an elles vont se ressasser la prédiction et conclure à une confusion du saint.

L’année suivante elles retournent à l’église d’Ars; depuis l’entrée de la chapelle Saint Jean-Baptiste le prêtre leur fait signe d’approcher et il répète la prédiction... Mais à la seconde il chuchote à l’oreille : « ne fais pas trop attendre Joseph » ; parole absolument incompréhensible pour la jeune fille. Ce n’est qu’après l’entrée de sa soeur au couvent qu’elle est demandée en mariage par Joseph Guimet... Ils auront seize enfants, dont le plus jeune qui en a témoigné fut le Révérend Père Guimet, provincial des Oblats de Marie Immaculée.

Madame Rabuel de Perrex est en train d’attendre pour se confesser, elle est venue de Belley. Soudain le curé d’Ars sort du confessionnal : « mon enfant » lui dit-il, « allez-vous en tout de suite, on aura besoin de vous à la maison ». Madame Rabuel part en hâte et arrive juste à temps pour recevoir le dernier soupir de sa mère.

La Dame de Beauté

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul », dit la Genèse, « faisons-lui une compagne semblable à lui » (Genèse 2,18).

Quand on se trouve face à l’un de ces eunuques spirituels dont le Christ a dit : « c’est un secret entre Dieu et eux » (Mathieu 19,11-12) ; il serait peut-être téméraire de - selon l’expression consacrée : « chercher la femme ».

Pourtant, dans l’aridité de la vie érémitique, parfois un rayon de féminité se profile qui est comme une réponse de celui qui a créé le couple. Cela peut prendre des formes extrêmement différentes... Chez le Curé d’Ars, ce fut un visage venu du fond des siècles qui s’implanta et prit vraiment la forme d’un mariage mystique.

Si j’étais cathare, je vous parlerai après l’endura du Curé d’Ars de son pur amour pour sa Dame de beauté. A partir du jour où le Curé d’Ars connut Sainte Philomène, un nimbe de douceur s’installa dans sa vie...

C’est le 24 mai 1802 que furent découverts des ossements dans la catacombe Sainte Priscille... Un simple loculus creusé dans la paroi de terre glaise et clos de trois briques. Sur cette paroi une inscription : « Pax tecum Philomena ». Les ossements étaient ceux d’une fillette de quatorze ans ; près de la tête on trouva la petite fiole de cristal où les premiers chrétiens mettaient un peu du sang de leurs martyrs. C’est le Supérieur des Frères de Saint Jean de Dieu, le Père de Mongallon qui passant par Lyon fut reçu dans la famille Jaricot et offrit à la jeune Pauline (17 ans) un os de la relique. Pauline fit don d’une partie de cet os au Curé d’Ars qui installa cette nouvelle relique dans son Eglise.

Quel contact télépathique s’établit entre les deux êtres ?

Monseigneur Trochu écrit, page 312 de son livre « Le Curé d’Ars ».

- « Non seulement elle serait aux regards de la foule, la céleste thaumaturge dont la prière obtiendrait tout miracle; entre elle et le saint prêtre se lierait une chaste et mystérieuse dilection: elle serait sa Béatrice » - ici Mgr Trochu cite le Chanoine Poulain dans « Les Parfums d’Ars ».

- « Elle serait sa Béatrice, son idéal, sa douce étoile, son guide, sa consolatrice, sa pure lumière ». Après Mgr Trochu et le chanoine Poulain c’est l’Abbé Monnin qui surenchérit en ces termes : - « Dès le début, la chère sainte répondit aux attraits de son serviteur; mais leurs coeurs allèrent s’unissant de plus en plus, au point qu’il y avait entre eux, dans les dernières années, non plus une relation à distance, mais un commerce immédiat et direct; et dés lors le saint vivant eut avec la bienheureuse la familiarité la plus douce et la plus intime. C’est d’une part la perpétuelle invocation, de l’autre une assistance sensible, une sorte de présence réelle ».

Les yeux d’améthyste du saint Curé avaient enfin trouvé un miroir mauve...

Mgr Thierry Teyssot


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