Bien Chers Frères, Bien Chères Soeurs,

Dans la mythologie grecque, Chronos le dieu maître du temps dévore ses enfants. La parabole est facile à comprendre, même si elle remonte à l'antiquité. Dans ce monde le temps gagne toujours. Le poids des années vient à bout de toutes les créatures vivantes. A une autre échelle, il en va de même ; les montagnes s'usent, l'érosion grignote, petit à petit. A une échelle plus grande encore même notre soleil est condamné à disparaître, et sans doute l'univers lui même. Arrêtons le compte à rebours, l'implacable et lucide décompte du sablier qui laisse filer les grains de sable. Faisons appel à la Foi, avant que le vent ne disperse à la volée ces grains, sur les ailes du temps.

Pour nous chrétiens, célébrer la naissance du Christ c'est ouvrir une fenêtre vers une immense et incroyable espérance. Admettre d'une part la présence d'un Dieu qui se fait homme, prenant sur lui nos limites et nos faiblesses, et d'autre part comprendre qu'il tient dans ses mains les clefs de la vie éternelle. Les mages de l'Epiphanie l'expriment en offrant la myrrhe à la Crèche. C'est un symbole d'éternité. Les égyptiens par exemple utilisaient cette gomme-résine pour embaumer les corps des pharaons défunts pour leur voyage vers d'autres cieux.

Aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire de l'Humanité, l'être humain a toujours eu l'intuition qu'il existait un autre monde, hors les limites de celui-ci. Dans toutes les cultures et religions l'on retrouve cette constante. « L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » écrit avec talent le poète Alphonse de Lamartine. Même avant notre espèce, il est prouvé aujourd'hui que l'homme de Néanderthal enterrait ses morts et organisait des rites funéraires. Cette intuition vient donc de loin. Est-on d'ailleurs la seule espèce à percevoir cette autre réalité parmi tous les autres mammifères ? La question mérite d'être posée.

La venue du Christ voici plus de deux mille ans est un accomplissement. Jésus, mythe ou réalité ? Pour un chrétien il est les deux à la fois ! Mythe, parce que l'attente du messie existait chez les hébreux bien sur, mais le culte de Mithra par exemple, largement répandu en Perse et antérieur de mille ans au moins du christianisme révérait lui aussi un dieu né dans une grotte ! Il y a de fortes chances que les mages de l'Epiphanie aient appartenu à ce courant religieux. Ceci expliquerait leur venue à la Crèche de Bethléem : venus en initiés, ils passent du mythe à la découverte de la réalité.

La réalité d'un Dieu qui se fait homme, prend un visage, devient une personne dans l'espace et dans le temps reste aujourd'hui encore un immense défi pour la raison. Peut-il en être autrement ? Il me semble, de plus en plus aujourd'hui, que certaines vérités ne peuvent être comprises que par la Foi. Ne serait-ce que parce qu'elles dépassent nos limites humaines ou tout simplement parce que l'on doit toujours faire preuve d'humilité. C'est l'école de la vie.

Tout ce que je sais, disait Socrate, c'est que je ne sais rien. La prétention au savoir conduit souvent aux intégrismes, et pas seulement dans le domaine religieux, mais l'ignorance aussi. La découverte de la sagesse, elle, apporte la paix. Elle est forcément humble, à l'image du charpentier de Nazareth « doux et humble de coeur ». Elle exprime du respect, elle témoigne de la compassion. Elle ne cherche ni à juger ni à condamner, elle cherche d'abord à comprendre.

Le nouveau-né de la Crèche nous révèle qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Dans les religions orientales le mot maya signifie illusion, le « voile de l'illusion » ou l'illusion des limites. En étant lucide et réaliste nous comprenons que ces limites sont partout : intelligence, force, santé, durée de vie. En faisant appel à la Foi, nous tentons de repousser ces limites. Avoir la Foi c'est d'abord avoir confiance. Croire en Dieu, croire en ses rêves, croire en la vie, croire dans les autres. Sans ce sentiment on ne peut guère avancer. Le nouveau-né de la Crèche fait triompher la vie par sa naissance. Plus tard ses miracles et sa parole porteront également la vie, une vie s'ouvrant sur la perspective de l'éternité, à la lumière de sa résurrection. Il mérite ainsi toute notre attention.

Avec mon baiser de paix et ma bénédiction

Dans la paix et la lumière du Christ

Mgr Thierry Teyssot ce 19 décembre 2016


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