Si la personne, les miracles et l’enseignement du Sauveur sont largement connus et commentés depuis deux mille ans, nous savons en revanche peu de choses du contexte local dans lequel a vécu et évolué le Fils de Dieu avant le début de son ministère public. Comment se déroulait la vie à Nazareth et en Galilée à cette époque ?

Un village typique

Dans le premier siècle de notre ère Jésus "grandissait et se fortifiait", selon l’évangéliste Luc, (2,40) à Nazareth. Village situé à une altitude de 400 mètres au sud de la province de Galilée, Nazareth est entouré de collines. La description faite par l’historien juif Flavius Josèphe de la campagne environnante est plaisante : "La terre et les paturages sont partout si riches, les variétés d’arbres si nombreuses que même les plus paresseux […] ont envie de se mettre à l’agriculture. De fait, les habitants cultivent chaque parcelle de terre."

Du sommet de la colline qui surplombe le village on distingue à l’ouest le mont Carmel et à l’est le mont Thabor. La mer Méditerranée se situe à 48 kilomètres, et le lac Tibériade (ou mer de Galilée, lieu de la pêche miraculeuse et de la tempête apaisée) à 24 kilomètres.

Comme la plupart des habitants de la Palestine à cette époque, les nazaréens évoluaient entre la place du marché et une rue bordée d’échoppes (où les artisans fabriquaient et vendaient leur production), et les champs avec les vignobles autour du village. Le forgeron et le charpentier étaient placés côte à côte ou face à face.

Le métier de Charpentier au temps de Jésus

Dans la plupart des villages de la Galilée existaient des artisans : charpentier, forgeron, teinturier, vannier, tanneur, cordonnier, etc. Ces corps de métiers échangeaient leurs services contre de l’huile, du grain, des légumes et autres produits de première nécessité. Le métier de charpentier faisait partie des plus respectés, et chaque village pouvait fournir du travail à au moins un charpentier.

La transmission du métier se faisait de père en fils, les parents veillaient toujours à ce que leurs enfants apprennent des métiers utiles. L’apprentissage débutait par l’observation des aînés, il commençait réellement vers treize ou quatorze ans. Jésus apprit son métier auprès de Joseph.

Selon les données ethnologiques et archéologiques qui sont parvenues jusqu’à nous, le charpentier exerçait son métier devant sa maison, dans une rue au centre du village en compagnie d’autres artisans qui tenaient boutique. Les outils et les matériaux étaient rangés à l’intérieur de l’habitation dans une pièce servant de dépôt et d’atelier. La plupart du temps les outils se transmettaient de père en fils.

Parmi les outils essentiels il fallait une cognée (hache à long manche) pour fendre le gros bois, une petite hache pour le débiter en morceaux, et une herminette : hache au tranchant perpendiculaire au manche qu’un charpentier confirmé peut même utiliser comme rabot. Le maître charpentier utilisait aussi des scies à arc pour découper le bois, des forets pour faire des trous et cheviller le bois, un marteau pour enfoncer les clous, un maillet en bois pour travailler et marteler la matière brute, des burins, ciseaux et autres ébauchoirs pour sculpter et graver à l’aide du maillet. Il fallait évidemment une importante quantité de clous, un rabot, une règle, un compas, de la craie et des crayons pour faire des marques et surtout ne pas se tromper dans les découpes...

La connaissance du bois était nécessaire pour un usage professionnel, construction ou ornementation. Au temps de Joseph et Jésus, à Nazareth, on pouvait utiliser du sycomore (variété de figuier au bois tendre mais résistant), de l’olivier (bois plus dur qui poussait en abondance en Galilée). Les bois d’importation (cèdre, cyprès, chêne) étaient chers, donc plus rares.

Le charpentier galiléen fabriquait principalement du matériel agricole : chariots, roues en bois, planches de battage pour les grains, fléaux pour le vannage des mêmes grains, charrues, manches d’outils, jougs pour les animaux. Il fabriquait encore des matériaux de construction pour les maisons ou les hangars agricoles, des meubles (tables, chaises, coffres de rangement) et des ustensiles de cuisine. C’est à lui que revenait la fabrication des poutres, des portes, des fenêtres et des escaliers.

A Nazareth et ailleurs en Galilée à cette époque les toits sont plats. Il sont faits de branches tressées et posées sur des chevrons. On les recouvre ensuite d’argile, elle forme une surface plâtreuse, lisse et dure. Pas de tuiles ni d’ardoises comme dans le sud ou le nord de la France, ce n’est pas le même pays... Pour empêcher le toit de s’abîmer lors de la période des pluies, on applique de temps en temps une nouvelle couche d’argile avec un rouleau. Il est assez facile de le changer en partie ou en entier.

L’Evangile de Marc nous le confirme : "Jésus revint à Capharnaüm. On apprit qu’il était à la maison, et il s’assembla un si grand nombre de personnes que l’espace devant la porte ne pouvait plus les contenir. Il leur annonçait la parole. Des gens vinrent à lui, amenant un paralytique porté par quatre hommes. Comme ils ne pouvaient l’aborder, à cause de la foule, ils découvrirent le toit de la maison où il était, et ils descendirent par cette ouverture le lit sur lequel le paralytique était couché." (Marc 2,1-4)

Enfin pour sourire, dans la parabole de la paille et de la poutre, Jésus n’avait pas à chercher bien loin son inspiration... Directement dans son métier ! Un charpentier sans poutre à déplacer, cela n’existe pas !

Population et dialecte en Galilée

La plupart des habitants de la province du temps de Jésus étaient juifs, mais l’on trouvait aussi des syriens, des grecs venus après les conquêtes d’Alexandre le Grand et bien sur des romains, puisqu’à l’époque du Christ la Palestine était occupée par les soldats de Rome.

Les galiléens s’exprimaient en araméen. Ce dialecte pouvait paraître rustique aux yeux des étrangers, en particulier vis à vis de la culture grecque, adepte du raffinement. Même à Jérusalem les galiléens étaient regardés par les juifs de la capitale comme des gens frustes, "de la province". Jésus parlait araméen, et sans doute mettait-il un point d’honneur à s’exprimer dans sa langue maternelle ! Cela se retrouve dans son enseignement, lorsqu’il dénonce les hypocrites, ceux qui se croient l’élite et méprisent les autres.

Vie de famille et maison

Elle est au centre de la vie sociale des galiléens, elle est nombreuse, unie, et elle travaille dur à la campagne. Ces caractéristiques se retrouvent dans l’enseignement du Christ : paraboles du semeur, du bon berger, du vignoble et du vigneron, du figuier qui ne porte pas de fruit, des ouvriers de la onzième heure, pour ne citer qu’elles... Jésus puise son inspiration dans le monde qui l’entoure. Pas besoin de phrases compliquées, mais une pédagogie basée sur la simplicité et l’intelligence.

Dans la vie de la famille galiléenne, les relations sont basées sur le respect : celui des parents pour leurs enfants et des enfants vis à vis des parents. La prière accompagne la vie quotidienne : prière au lever, au moment de s’habiller, d’attacher ses sandales ou de se laver les mains.

La maison typique de village est une habitation grossière, faite de brique et de boue, avec une ou deux pièces. Seuls les riches, dans les grandes villes, ont des maisons en pierre et ferment leurs portes à clé. Dans les maisons typiques de la Galilée les portes, faites en bois, sont munies de gonds en cuir... Elles sont donc rarement fermées, seulement par un verrou de bois ou une barre de fer à l’intérieur. De toute façon, sauf chez les riches, les meubles et les lits sont rares et il n’y a donc pas grand chose à voler. Ce que possède une famille peut tenir dans un seul coffre. Lors de la fuite en Egypte, après la naissance de Jésus, Joseph et Marie n’étaient pas encombrés par les bagages !

Dans la cuisine on trouve un four, de la vaisselle en terre cuite, des ustensiles et une réserve de nourriture. On s’éclaire avec une lampe à huile; Jésus l’a utilisée comme symbole dans la parabole des jeunes filles qui doivent aller à la rencontre de l’époux !

Enfin comme la maison est dépourvue de toilettes, on se lave dans la cour où sont les animaux ou dans la rue ; cela permet à l’eau de s’évacuer sans transformer le sol de la maison en mare de boue !

Les femmes travaillent dans la cour où les enfants peuvent jouer, en compagnie des animaux : moutons et chèvres, qui sont élevés pour la viande, le lait et la laine ; on trouve aussi des poulets pour la viande et les oeufs ; l’âne porte des lourds fardeaux.

La famille connaît des moments de détente où elle se retrouve autour du repas, ou même de jeux de sociétés, comme l’ancêtre de notre jeu de dames. Les jouets des enfants attestés par les archéologues sont : sifflets, hochets, animaux à roulettes, cerceaux et toupies.

Vêtements et alimentation

En Galilée les femmes filent la laine, puis la tissent. Les métiers à tisser sont larges dans la province et permettent de réaliser des vêtements d’une seule pièce. Ainsi l’apôtre Jean dans son Evangile nous dit que la tunique de Jésus était : "sans couture, tissée d’une seule pièce de haut en bas" (Jean 19,23).

Sur la tunique, comme la plupart des galiléens de son époque, Jésus porte un vêtement ample. C’est une espèce de cape dotée de franges. La tunique et parfois la cape sont maintenues à la taille par une ceinture de cuir ou de tissu d’environ dix centimètres de large. On peut doubler la ceinture de tissu pour l’utiliser comme bourse.

Si un homme porte une ceinture sous la tunique on la désigne du nom de pagne. Lorsqu’il remonte son vêtement entre ses jambes et le rentre dans sa ceinture, pour obtenir une plus grande liberté de mouvement on dit qu’il se ceint : "Yahvé répondit à Job du sein de la tempête et dit : Ceins tes reins comme un brave je vais t’interroger et tu m’instruiras." (Job 40,6-7)

Enfin pour compléter ce tableau les galiléens étaient chaussés de sandales et portaient sur la tête un linge blanc qui retombait jusqu’au épaules.

Les femmes galiléennes portaient sensiblement la même tunique que les hommes mais la cape était plus grande et les franges allaient jusqu’aux pieds. En travaillant elles remontaient la cape vers la ceinture pour former un tablier ; cela pouvait être pratique pour porter de petits objets. Les femmes se couvraient également la tête avec un voile et portaient comme les hommes des sandales.

Le soin de moudre le grain pour la préparation du pain revenait aux femmes, comme celui de la traite des chèvres pour la fabrication du fromage ou du lait caillé. La farine était obtenue à l’aide d’un pilon, puis on mélangeait cette farine de base avec de l’eau, du sel et un peu de levain. Une fois la pâte à pain réalisée on l’aplatissait légèrement pour la mettre au four en argile dans la cour de la maison. Jésus se sert de cette pratique quotidienne pour comparer, dans une parabole, le royaume de Dieu "au levain qu’une femme enfouit dans trois grandes mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé." (Mathieu 13,33) Il avait dû souvent observer sa mère et d’autres femmes dans ce travail.

Le repas galiléen consistait généralement en deux repas quotidiens : un déjeuner léger à emporter dans les champs ou au travail que l’on prenait au milieu de la matinée ou vers midi, et un dîner beaucoup plus conséquent composé de légumes, oeufs, fromage, pain, beurre, vin, noix et fruits de saison. Parfois il était accompagné d’un poulet ou d’un gibier sauvage. On consommait rarement de la viande rouge, par contre le poisson accompagnait régulièrement les repas. Et lors des fêtes ou grandes occasions on mangeait le veau gras. Jésus ne manque pas de le souligner dans la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15,11-32). Le père décide de festoyer et manger le veau gras pour fêter le retour du fils perdu et retrouvé .

On se lavait toujours les mains avant de prendre le repas. Cela faisait partie des ablutions rituelles avec lesquelles Jésus prend toutefois des libertés, pour ne pas se laisser enfermer dans la lettre de la loi de Moïse (Mathieu 15,20 et Luc 11,37). Mais comme en Galilée la nourriture provenait d’un récipient commun pour être mangée avec les doigts, il était nécessaire de se laver les mains ; car mis à part le pain, le reste de la nourriture mijotait dans une grande marmite assaisonné d’ail, d’oignons et des nombreuses herbes aromatiques présentes en Palestine : menthe, cumin, aneth, coriandre, rue et moutarde.

Sabbat et jours saints

En plus de nombreux rites religieux liés à la vie quotidienne, les juifs avaient obligation de consacrer un jour par semaine au Seigneur : le fameux sabbat, jour de repos institué par Moïse pour rappeler le "septième jour du repos de Dieu" selon le récit de la Création rapporté dans (Genèse 2,3). Selon la loi de Moïse, le sabbat débutait chaque vendredi au coucher du soleil. Il se terminait dans le soleil couchant du lendemain, soit le samedi.

Ce rite revêtait une grande importance dans la vie hebdomadaire. Ainsi le cultivateur n’allait pas à son champ ni le commerçant au marché, l’artisan ne reprenait pas son travail et la femme dans sa maison ne s’occupait plus du linge ni des autres tâches ménagères. On travaillait donc davantage le vendredi pour tout terminer avant le sabbat : artisans, cultivateurs, éleveurs, tous veillaient à bien achever l’ouvrage de la semaine ; de leur côté les femmes nettoyaient leur maison de fond en comble, remplissaient les lampes à huiles et préparaient le repas du lendemain.

Le vendredi soir, à l’apparition de la première étoile, les villageois étaient appelés à la prière par trois sonneries de trompe en corne de bélier. Le souper consistait en des mets spécifiques et l’on bénissait le vin. D’autres prières suivait le samedi matin à la maison ou à la synagogue avec des lectures bibliques, tandis que la fin du sabbat était annoncée par une nouvelle sonnerie de trompe.

Il existait de nombreuses fêtes religieuses dans l’année dont la plus importante était la fête de la Pessah (Pâque juive), commémorant la nuit spéciale de la sortie d’Egypte avec le prophète Moïse. En cette occasion, l’Evangile de Luc nous révèle que Joseph et Marie quittaient chaque année la Galilée pour se rendre en pèlerinage à Jérusalem, la grande capitale de la Judée. Le voyage était long, on cheminait en groupe, en caravane, le pèlerinage mobilisant de nombreux pratiquants. Luc (3,41-50) nous révèle qu’à l’âge de douze ans, Jésus faussa compagnie à ses parents et à la caravane pour aller rencontrer les docteurs de la loi et les interroger.

Un impôt écrasant

La population souffrait de lourds impôts établis par le gouvernement d’Hérode, mais aussi par le Temple et les princes de prêtres. A cela s’ajoutait l’impôt impérial dû à César. Il n’était pas plus important que dans les autres province romaines mais, cumulé avec ceux du Temple, la population pouvait à peine subsister avec ce qui lui restait.

Taxes sur les terres, sur les marchandises, sur les esclaves, l’impôt foncier atteignait 20 à 25% du rendement de la terre. Une partie était prélevée par les collecteurs d’impôts, des publicains, qui à l’instar de celui qui deviendra l’apôtre Mathieu, ou même Zachée avant sa conversion, versaient une somme fixe au pouvoir romain, mais sans être contrôlés de ce qu’ils gardaient pour eux. On comprend la méfiance de la population à leur égard. Les percepteurs d’impôts étaient regardés comme malhonnêtes et voleurs.

A l’impôt impérial s’ajoutait celui dû au Temple et aux princes des prêtres, dix pour cent des récoltes : la fameuse dîme. Ces "dons" obligatoires étaient accablants. Qui plus est les paysans devaient donner au Temple les "premiers fruits" de chaque récolte et le "premier-né" du troupeau pour les sacrifices. Les hommes adultes devaient également payer au temple une redevance. L’Evangile de Mathieu (17,24-27) rapporte une anecdote originale concernant la manière de payer cet impôt: Jésus invite Pierre à pêcher un poisson... L’apôtre lui ouvre la bouche et trouve le statère permettant d’acquitter la taxe !

Dans la mesure ou Jésus et ses voisins à Nazareth payaient tous ces impôts, il leur restait peu pour vivre de leur travail.

Terre nourricière

Les cultivateurs moyens à Nazareth possédaient environ deux à trois hectares, mais la plupart du temps les terres étaient séparées : céréales, vignes, oliviers, amandiers, figuiers, grenadiers, pistachiers, palmiers (datiers), il fallait se déplacer d’un endroit à un autre. Dans le potager on cultivait des concombres, melons, poireaux, oignons, ail, pois et haricots. Ce sont les femmes qui allaient chercher au puits ou à la citerne l’eau nécessaire pour arroser le potager. Les arbres fruitiers étaient assez résistants à la sécheresse et demandaient peu de soins. En Galilée, au temps de Jésus, les paysans étaient majoritairement composés de petits propriétaire. Un nombre restreint de grands propriétaire existait : administrateurs romains, famille d’Hérode et princes des prêtres ; ils utilisaient des métayers et parfois des esclaves.

Jésus, qui durant son enfance et sa jeunesse a participé à la vie des travaux des champs s’est largement inspiré dans son enseignement de cet environnement. Il y a puisé ses plus belles images : paraboles du semeur, du bon berger, du vignoble et du vigneron, du figuier qui ne porte pas de fruit, des ouvriers de la onzième heure, du marchand qui cherche de belles perles, du fils prodigue qui veut revenir travailler comme ouvrier chez son père, du bon grain et de l’ivraie, du royaume des cieux semblable à un grain de sénevé, à une graine de moutarde ou enfoui dans trois mesures de farines, Jésus savait choisir ses comparaisons et y donner un sens compréhensible par tous. Sévère avec les puissants et avec ceux qui profitaient des autres, il souffrait de l’injustice et condamnait ceux qui "lient de pesants fardeaux sur les autres et refusent de les remuer du petit doigt." (Mathieu 23,4)

Les familles possédaient habituellement une chèvre ou deux pour le lait, des moutons pour la laine, un ou deux ânes (ou boeufs) pour servir comme animaux de traits. La vie du paysan dépendait de sa terre et des saisons. Gare aux pluies trop importantes, aux mauvaises herbes qui prolifèrent, aux incendies, au fléau des sauterelles ou encore au vent desséchant qui flétrit les pousses tendres.

La vie, à cette époque comme au temps d’aujourd’hui, a toujours reposé sur un équilibre précaire. Et il est difficile, nous dit Jésus, d’arracher l’ivraie sans déraciner le bon grain (Mathieu 13,24-30).

L’enseignement du Christ repose toujours sur des vérités essentielles, des vérités d’expérience...

Mieux que personne, Jésus savait lire dans le grand livre de la vie, et surtout : en récolter la substantifique moelle !


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