Quoiqu'on veuille souvent présenter les choses autrement, on allait voir le Curé d'Ars comme on va voir un voyant ou un guérisseur.

Ce n'était pas dans un certain sens l'essentiel de sa mission, mais sans cela il n'aurait pas vu une seule personne étrangère à sa paroisse.

A ces dons de guérisseur et de voyant succédaient, bien sur, d'autres dons dont celui de prédication n'était pas le moindre... Après avoir prié tout bas, car disait-il: "Dieu n'est pas sourd"; pour les malades et les affligés, il élevait le ton jusqu'à des hauteurs prodigieuses pour la conversion de ceux qui "eux sont sourds ou ne veulent pas entendre".

Et le don de conversion se faisait; ce don ayant d'ailleurs pour tremplin la reconnaissance de ceux qui avaient vu guérir un être cher ou qui avaient vu un problème se dénouer par une vision fulgurante sur l'avenir de ces prunelles mauves.

Le Voyant, c'est, nous dit la Bible, l'ancien nom que l'on donnait au Prophète d'Israël. Quand Samuel reçoit Saül, Saül est en train de chercher les ânesses de son père, il est reçu par le Voyant d'Israël qui est le Prophète Samuel (1 Samuel 9,18-20). C'est par centaines que nous pouvons rapporter les témoignages de personnes ayant constaté l'existence de ce don chez Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney.

Mgr Trochu, à lui seul, a consacré une pile de livres à publier une partie de ces témoignages... Je ne vais en citer ici qu'une faible partie.

Pierre Barbin qui vit à Arcinges se rend pour la première fois à Ars. Le Curé d'Ars qui se rend à la sacristie le salue par son nom, lui dit d'où il vient et lui parle de problèmes qu'il n'avait jamais confié à personne.

A Mademoiselle Chrétien, de Bessenay dans le Rhône il déconseille de rentrer dans un couvent... "Dans peu de temps il sera fermé", dit-il. Ceci se passait en juin 1848; en juillet la révolution éclatait à Paris et faisait fermer le couvent.

A Madame Marnas qui veut lui faire une confession complète, il rappelle qu'elle a oublié une statuette de la Vierge cassée en chahutant alors qu'elle était enfant.

A Monsieur Marguerite, voyageur de commerce, il rappelle un larcin de cierge qu'il avait fait durant son enfance.

A une jeune ouvrière amenée de Lyon par Madame Coutte, il révèle qu'elle est enceinte de six mois et que l'enfant qu'elle porte sera prêtre; ce qui arriva.

Une châtelaine, amie du comte des Garets, a décidé de mettre fin à ses jours... Elle se procure une fiole de poison; mais voulant revoir le Curé d'Ars une dernière fois elle se rend à son église. Le saint va vers elle et lui fait retirer le flacon de sa poche: "Que voulez-vous faire de ce que vous portez sur vous; donnez-moi cela!"

A Madame Lefebvre-Vaudon il dit de faire retarder le retour de son mari car, le jour prévu, le train doit dérailler et il y aura des victimes; ce qui arrive exactement.

A Mademoiselle Julien dont le père refuse d'entrer dans l'église d'Ars, il affirme: "Allez prier. Votre père reviendra à onze heures et se confessera à cinq heures"; ce qui se passe aux heures indiquées.

En 1854 il prédit à une anglaise que l'un de ses fils serait évêque. Ce fut plus de vingt ans plus tard Monseigneur Arthur Riddel, évêque de Northampton.

Mgr Trochu rapporte l'histoire de ces deux voisines de Lyon qui dirent un jour: "Allons donc voir cette bête curieuse"; le Curé d'Ars sort de son église à leur arrivée et s'approchant de leur voiture, Il déclare: "Mesdames, je viens vous montrer la bête curieuse que vous désiriez voir."

A Mademoiselle Cournon qui vient le consulter en vue d'un mariage, il prédit que ce mariage ne se fera pas, qu'elle rentrera dans l'ordre de la Conception, que cet ordre religieux l'enverra en Amérique et qu'elle y mourra.

Aux deux fils Gauchet de Namur de passage à Ars, il prédit à l'un qu'il sera un "savant religieux", à l'autre qu'il sera un "apôtre laïc". Le premier Alexis devient Frère des Ecoles Chrétiennes et sera l'auteur de nombreux atlas et ouvrages de géographie. Quant à son frère il ouvre une brasserie de bière en Belgique, brasserie qui devient très importante. C'est un homme d'une grande charité, qui fait entrer un climat social parmi ses ouvriers, à tel point qu'on va le surnommer: "le saint homme de Tamines". Il meurt après avoir fait construire une école et distribuer ses biens aux pauvres.

A Madame Marie Michel qui est venue lui demander si sa soeur qui est bonne dans une maison bourgeoise est dans un bon climat, il annonce qu'elle va s'y marier... Or, six mois plus tard, un neveu de retour d'Espagne voit cette jeune femme nommée Rosalie, Rosalie Michel; il en tombe amoureux, la tante meurt, le neveu devient le propriétaire de la maison et épouse Rosalie.

Un jour deux jeunes filles se présentent au Curé d'Ars, l'une veut se faire religieuse, l'autre voudrait bien se marier... Ce sont deux soeurs. A leur grande stupeur, elles s'entendent dire exactement le contraire de ce qu'elles attendaient. A celle qui veut se marier, le Voyant dit: "tu seras religieuse"; à l'autre il déclare que sa vocation est le mariage. Elles sont tellement surprises que durant un an elles vont se ressasser la prédiction et conclure à une confusion du saint.
L'année suivante elles retournent à l'église d'Ars; depuis l'entrée de la chapelle Saint Jean-Baptiste le prêtre leur fait signe d'approcher et il répète la prédiction... Mais à la seconde il chuchote à l'oreille: "ne fais pas trop attendre Joseph"; parole absolument incompréhensible pour la jeune fille. Ce n'est qu'après l'entrée de sa soeur au couvent qu'elle est demandée en mariage par Joseph Guimet... Ils auront seize enfants, dont le plus jeune qui en a témoigné fut le Révérend Père Guimet, provincial des Oblats de Marie Immaculée.

Madame Carero vient de la part de la Supérieure du Carmel de Pamiers demander si elle peut envoyer des religieuses au Carmel de Sabarrat. Le curé d'Ars lui dit de ne rien faire avant le mois de mars. En mars une épidémie tue toutes les carmélites de Sabarrat et la fondation ferme ses portes.

Madame Rabuel de Perrex est en train d'attendre pour se confesser, elle est venue de Belley. Soudain le curé d'Ars sort du confessionnal: "mon enfant" lui dit-il, "allez-vous en tout de suite, on aura besoin de vous à la maison". Madame Rabuel part en hâte et arrive juste à temps pour recevoir le dernier soupir de sa mère.

En Saône et Loire on connaissait un peu partout la silhouette d'un colporteur du nom de Barthélemy Ingold; il aimait à conter de ferme en ferme qu'il avait été hébergé certain jour par le curé d'Ars qui lui avait servi une bonne salade de "treuffes" (nom bourguignon des pommes de terres).

Au cours du repas le saint prêtre avait parlé de son avenir à Barthélemy, mais surtout il lui avait annoncé qu'il mourrait durant une grande guerre sur laquelle il avait donné quelques détails.

Durant la guerre de 1870, il est certain que Barthélemy ne fut pas rassuré... Mais la guerre passa sans que la prophétie se réalise, les années se succédèrent et notre colporteur ne cessait de parler de la grande guerre prédite par le curé d'Ars.

On haussait les épaules. La guerre! A chaque fois les gens se persuadent toujours que c'est la dernière. En 1870 le colporteur n'avait que cinquante-six ans; il en avait cent que sa grande guerre n'était toujours pas déclarée. En Bourgogne on lui demandait: "mais enfin, le curé d'Ars a du vouloir vous parler de la guerre de 1870". Mais lui tenait bon et disait: "mais non, je ne suis pas mort, donc c'est pas la bonne guerre, c'est l'autre qui va arriver". Et l'année suivante, c'était 1914, et Barthélemy mourut bien avant la fin de cette seconde guerre, à l'âge de 101 ans.

Chapitre 4
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