Dans lEvangile, lêtre humain nest pas un coupable, cest une personne qui se libère de ses peurs et découvre la foi. Un enfant à qui lon répète sans cesse quil est un « bon à rien » finit par le croire. Il navance plus. Mais celui que lon encourage oublie ses peurs et ses doutes, il développe la confiance, il avance dans lespérance.
Il est important de répéter que la peur ne produit rien de bon. Elle condamne lêtre humain à la nuit. La foi est de nature solaire, cest la confiance qui nous fait avancer et croire : croire que demain il fera jour, croire que lon ira au bout de ses rêves, croire en un monde meilleur et se battre pour le construire. Le véritable ennemi de la foi nest pas le doute. Il est normal de se remettre en question, dévoluer, de se transformer. On ne voit pas la vie de la même façon à vingt ans, trente, quarante ou cinquante ans. Cest normal, cest dans lordre des choses. Mais la peur, elle, paralyse. Elle empêche davancer, enfouit les talents, éteint la créativité. Elle fabrique des coupables qui saccusent de tous les maux. La vocation des Eglises est dengendrer des hommes et des femmes libres.
Le récit de la Chute (ou péché originel rapporté par la Bible dans le troisième chapitre de la Genèse) fait de lhomme un coupable. Chassé du paradis, lêtre humain semble banni et condamné à la nuit. Pourtant, en parcourant les textes liturgiques de la veillée pascale, notamment celui de lExultet nous lisons ceci : « Ô péché dAdam, vraiment nécessaire, que la mort du Christ a effacé ! Ô heureuse faute, qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur ».
Oui lespérance demeure, car lamour sauve. Cest le sens donné par la venue et lenseignement de Jésus, avec cette parole qui nous affranchit : « la vérité vous rendra libres... ».
Le mythe de la boîte de Pandore dit la même chose. Dans la mythologie grecque, Pandore reçoit une boîte mystérieuse que le grand Zeus lui interdit douvrir, car celle-ci contient tous les maux de lhumanité. Pandore cède à la curiosité. La jeune femme ouvre la boîte, tous les maux se répandent sur la terre. Lorsquelle referme le coffret, il ne reste au fond que lespérance. Elle ne pouvait disparaître.
Sur la notion de « péché vraiment nécessaire », « dheureuse faute », il est utile de relire ce passage de la Genèse pour mieux comprendre : « La femme vit que larbre était bon à manger et agréable à la vue, et quil était précieux pour ouvrir lintelligence. » (Genèse 3,6)
Saluons lintelligence de la femme. Elle est la première à avoir compris quil y avait un cap à passer : « larbre était précieux pour ouvrir lintelligence... » Une partie de lêtre humain est condamnée, celle qui ne grandissait pas. Lautre partie, curieuse, ouvre la porte de linconnu. Elle va grandir, mais ce quelle va découvrir très vite, cest quil y a un prix à payer.
Goûter le fruit de la connaissance du bien et du mal, cest lhistoire de la vie. A la naissance, lêtre humain est un innocent qui a tout à apprendre, mais cet apprentissage suppose pour lui de faire la différence entre le bien et le mal, pour découvrir la sagesse. Et nous savons que ce nest pas facile. Trop près du feu je me brûle, trop loin je me gèle. Pour le découvrir, il faut en faire lexpérience.
Lêtre humain nest pas un coupable, cest un apprenti en perpétuel devenir. Bousculer le champ des possibles, cest ce que nous essayons de faire dans nos vies, pour améliorer, créer, grandir, perfectionner.
Pendant des siècles, une seule interprétation a prévalu concernant le récit de la chute ou péché originel. Lhomme était un coupable, et les religieux le condamnaient à la nuit : peur de lenfer, peur de la vie, des interdits partout. Malheur à celui qui pensait autrement. Le bûcher nétait pas loin. Des générations de religieux fanatiques et à lesprit fermé se sont ainsi employées à lier les consciences.
Mais la peur ne produit rien de bon. Elle favorise le repli sur soi, la méfiance et le rejet de lautre, lagressivité et la violence, la menace, lincompréhension. Elle fait le lit des ténèbres, elle ouvre la porte à la haine.
« LAbbé Julio » (Mgr Houssaye) écrit à propos de lenfer (page 503 de son livre consacré aux exorcismes) : « Lenfer nest pas un lieu, cest un état dêtre, la descente indéfinie et vertigineuse, surtout volontaire, à travers toutes les existences, dans la sombre nuit de la haine, plus épouvantablement douloureuse que tous les insensés récits de lenfer, imaginés par des moines tortionnaires, dans le but de dominer et de pressurer les foules ignorantes. Un seul rayon despérance, un seul acte damour : Et lêtre, dun seul bond, peut remonter au jour. »
Cest donc à juste titre que lEglise, inspirée par la sagesse de lEsprit-Saint, désigne la foi, lespérance et lamour comme les trois vertus essentielles du chrétien. Elles ont le pouvoir de conjurer la haine.
La Bonne Nouvelle de lEvangile change beaucoup de choses. Avec le Christ lêtre humain retrouve lespérance. Il nest pas jugé, il est pardonné. Même avant de mourir sur la croix, Jésus a su exprimer le pardon à ses bourreaux. Respect pour le témoignage. Dans la pensée de Jésus, lêtre humain nest pas un coupable, cest un enfant de Dieu qui doit comprendre sa vraie nature. Aux blessés de la vie quil rencontre, le Christ noppose pas un regard de mépris et de dureté, il ne les chasse pas, il tend la main et il sauve. Sa miséricorde lemporte toujours. Il ne promène un regard de colère que sur les superbes pharisiens, ceux qui « lient de pesants fardeaux sur les épaules des autres », et ne supportent jamais le poids des charges dont ils accablent le prochain.
LEglise associe traditionnellement la personne du Christ au soleil. Lors de la veillée pascale il est comparé à juste titre avec « lastre du jour ». Jai toujours aimé cette comparaison. Ce nest pas pour rien si les anciennes religions dEgypte associaient le soleil à un dieu. Sans soleil, sans lumière, il ny a pas de vie possible. Lhostie que le prêtre élève pendant la messe au moment de la consécration représente cette montée du soleil qui va illuminer nos âmes. Le choix du 25 décembre pour célébrer Noël ne dit pas autre chose. Même si cest lhiver à cette période, nous savons que le soleil va reprendre son ascension dans le ciel pour nous conduire jusquau zénith, à lété.
La Foi est de nature solaire, cest un moteur qui nous fait avancer. Sans confiance dans la vie on seffondre vite, on ne croit pas en ses chances, on ne fait pas le poids. Il faut croire pour aller de lavant.
Quelle est la différence entre la foi des intégristes, des fanatiques et celle des croyants de bonne volonté ? Lune est impitoyable, sectaire, caractérielle, intransigeante, veut simposer à tout prix, ne recherche pas la vérité mais la possède, pense que la fin justifie les moyens. Lautre est tolérance, ouverture, bonté, compassion, miséricorde. Elle revendique le droit de se tromper et ne cherche pas à écraser les autres du poids dune vérité oppressante et tyrannique. Lorsque Jésus a déclaré « la vérité vous rendra libres », il na pas donné de détails. Il a juste indiqué une direction, et le chemin passe par les valeurs de tolérance et de bonté de lEvangile. Il nous revient de le parcourir pour essayer de comprendre, un peu plus chaque jour.
« Je suis le chemin, la vérité, la vie » déclare encore Jésus dans lEvangile de Jean. Comprendre cette parole cest faire lexpérience du Christ, cest à dire de ses valeurs. Au gouverneur Pilate qui interroge Jésus lors de son procès en lui demandant : « quest-ce que la vérité ? » Jésus oppose le silence. Il ne répond pas. Dans labsolu la réponse ne peut tenir dans des mots. Elle réside dans une façon dêtre, un comportement.
Vous vous souvenez du mythe grec de la boîte de Pandore cité plus haut. Lorsque tous les maux du monde (guerre, misère, famine, vice, passion, tromperie, malhonnêteté, vieillesse, maladie) séchappèrent de la boîte, et se répandirent sur terre, il resta au fond lespérance. Cest une belle parabole. Innocente et naïve comme notre mère Eve au jardin dEden, la jeune Pandore ne sattendait pas à un tel résultat. Eternelle histoire des humains. La curiosité amène la violation dun interdit, qui nest pas là sans raison, soulignons-le. Cest plus facile à comprendre lorsque lon a des enfants. Heureusement lespérance demeure, et elle sauve !
Comment vivre sans espérance, ce serait comme vivre sans lumière. Notre intelligence nous est donnée pour trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Avec de lespoir, cest plus facile. Sans les sentiments qui la pousse, la raison ne se suffit pas à elle-même. Et certains sentiments, dont lespérance, ont la propriété de dilater tout notre être, cest à dire notre âme. Elle nous grandit, elle libère des forces, elle éteint le mal, elle chasse la haine. Là où il y a des ténèbres elle met de la lumière, là où il y a de la peur elle fait naître la confiance.
Depuis la nuit des temps lhomme repousse ses limites. Cest une nécessité liée à la survie de notre espèce depuis des centaines de milliers dannées. Dans la course à la domination du monde, lhomme a besoin despérance, pour donner un sens à sa vie et à celle des autres. Labsurdité dun monde lié à ses bas instincts est une évidence, cest la porte ouverte aux conflits permanents et à la peur.
Le bonheur du Père céleste, cest lhomme qui prend conscience de sa nature denfant de Dieu. Lavé de ses fautes, cest à dire débarrassé dune culpabilité qui le tient prisonnier de ses erreurs et de ses maladresses, ligoté, enfermé, courbé, lhomme est fait pour retrouver lespérance. Il doit sen donner les moyens, et les Eglises ont vocation à laccompagner sur ce chemin. Pour le Christ, le chrétien est un homme libre qui redresse la tête, pas un coupable.
Mgr Thierry Teyssot