Ce sont ses livres de prières qui lont rendu célèbre. Réédités en permanence depuis sa mort, ils sont utilisés dans de nombreuses familles qui les apprécient pour leur simplicité et leur bon sens. Cest sans doute la première chose à souligner pour rendre hommage à la personnalité de lAbbé Julio : le succès de ses livres. Pasteur authentique, il avait compris quil fallait donner aux chrétiens des livres de prières leur permettant dexprimer leur foi simplement et directement. Il sut avec une grande justesse aborder les vrais problèmes de la foi populaire. Sans cette qualité, ses livres nauraient eu aucun succès.
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Mais il y a plus à dire sur le personnage. Dabord cétait un homme courageux. Dans sa jeunesse il fut un aumônier héroïque lors de la guerre de 1870 opposant la France à lAllemagne. Il a sauvé de nombreuses vies. Plus tard cette nature combative lui a permis de se battre contre les injustices et les pharisiens de son époque, dénonçant des scandales qui salissaient linstitution religieuse. Il a aussi été journaliste, précepteur, comptable, écrivain. Mais il fut par-dessus tout pasteur et homme de prière. Le mystique nest jamais loin chez lui. Cest cette qualité visionnaire qui la conduit à écrire les livres qui ont fait son succès. Cest encore cette qualité qui a fait de lui le premier évêque de lEglise catholique libre de France en 1904, la première Eglise Gallicane moderne en quelque sorte, juste après la paroisse parisienne du Père Hyacinthe Loyson. Ce caractère épiscopal allait changer bien des choses au sein du courant gallican. En effet, cest Mgr Julien-Ernest Houssaye, « lAbbé Julio », qui conférait lépiscopat en 1911 à Mgr Giraud. Devenu évêque, Mgr Giraud allait établir cinq ans plus tard lEglise Gallicane à Gazinet, en Gironde. Soutenu et aidé par de nombreuses familles, il créait lassociation cultuelle Saint Louis le 15 février 1916. Six ans plus tard il fondait le journal « Le Gallican ». Pour toutes ces raisons, il est normal de rendre hommage à « lAbbé Julio ». Notre Eglise lui doit beaucoup. Cest un grand ancêtre.
Né le 3 mars 1844 à Cossé le Vivien, en Mayenne, fils dun ouvrier du bâtiment, il eut pour devenir prêtre les difficultés que lon rencontrait à cette époque quand on appartenait au milieu populaire.
En 1870 nous le retrouvons vicaire du Grand Oisseau, mais quand la guerre éclate il se porte volontaire et devient aumônier des Volontaires de lOuest du Général Cathelineau. Et lAbbé Julio devient un héros national, non par des succès militaires, mais par un dévouement merveilleux auprès des blessés: en un seul jour il ramène dix blessés sous les balles ennemies; dans la nuit qui suit il conduit dans la forêt vingt soldats égarés. Dans ses mémoires le Général Cathelineau ne marchande pas ses éloges sur le « brave Abbé Houssaye ».
Après la guerre lAbbé Julio est nommé au vicariat de Juvigné, puis de Javron; mais sa santé est gravement altérée par les fatigues de cette dure campagne et il devra être admis en hôpital militaire. Il en sort pour se voir confier un vicariat en léglise Saint Joseph de Paris. Là, ses idées sociales et son bon sens religieux sont plus appréciées des fidèles qui le chérissent que de son évêque le Cardinal Richard qui fait régner la terreur ultramontaine sur son clergé. Le 28 février 1885, il est alors nommé par disgrâce à la paroisse Sainte Marguerite, ayant eu le front de poursuivre en justice, pour escroquerie, deux protégés laïques de lévêché.
LAbbé Julio fonde alors un journal à tendance gallicane « La Tribune du Clergé » et publie plusieurs livres de combat qui finissent de le perdre auprès du pouvoir ecclésiastique romain. En 1888, nous le trouvons collaborant au journal « LAmi de lHumanité ». De 1888 à 1889, il crée et anime une petite feuille périodique : « La Tribune Populaire », organe de la démocratie religieuse et de la défense du clergé. Ses ressources financières et matérielles sont plus que limitées. Il survit en donnant des leçons, puis, un jour, fait la connaissance dun guérisseur mystique extraordinaire opérant par la seule prière : Jean Sempé. Celui-ci lui démontre que le Christ a donné à ses disciples le pouvoir dimposer les mains aux malades, et à lEglise, des charismes de guérison quelle délaisse.
A partir de ce moment le mérite de lAbbé Julio sera de passer une partie importante de son temps à fouiller les anciens rituels de lEglise pour y chercher les textes antiques de réconfort et dintercession. Surtout, il dégage une doctrine de la guérison quil expose autour de lui: il prie, il impose les mains et fait constater à tous le pouvoir gigantesque de la prière de Foi. A partir du très classique Bénédictional Romain, il écrit le « Livre des Secrets Merveilleux » qui connaît un succès sans précédent.
Vers 1901, alors quil résidait à Fontenay sous Bois, lAbbé Julio reçoit la visite de Monseigneur René Vilatte dont il deviendra par la suite un des successeurs dans lépiscopat.
Le 4 décembre 1904 il est consacré évêque comme chef de lEglise catholique libre de France par Mgr Paolo Miraglia, lui-même évêque de lEglise catholique indépendante dItalie et consacré le 6 mai 1900 par Mgr Vilatte.
Il fonde encore une revue: « LEtincelle Religieuse, Libérale et Sociale », organe de lunion des Eglises. Elle sera publiée régulièrement durant plus de dix années. Parmi les collaborateurs de cette revue qui signent des articles on trouve les noms de F. Appy, lAbbé Michon (le fondateur de la graphologie), le RP Tyrrel (cité à plusieurs reprises dans le troisième livre dAlbert Houtin consacré au Père Hyacinthe Loyson), Gaston Bourgeat, lAbbé Poulain ou encore lAbbé Thers, qui participe au mouvement des cultuelles en 1908 avec le futur Mgr Giraud.
Dans le numéro de juin 1907 lAbbé Julio (Mgr Houssaye) publie le programme dune nouvelle Eglise Catholique Française dirigée par Mgr Vilatte, qui tente de sorganiser indépendamment du Vatican, avec une profession de foi où figure le nom du journaliste Henri des Houx. Mais dans celui de janvier 1908 il se désole de voir que le mouvement des cultuelles, torpillé de partout, est en perte de vitesse.
Son rêve dune Eglise catholique vraiment libre, affranchie des servitudes que lui imposent depuis des siècles une caste et une oligarchie ultra-réactionnaire ne séteindra pas après sa mort, survenue en 1912. Il est poursuivi par Monseigneur Giraud, son successeur direct dans lépiscopat quil consacre providentiellement le 21 juin 1911.
Au sein de lEglise Gallicane « lAbbé Julio » (Mgr Houssaye), Mgr Giraud, Mgr Lescouzères, le Père Jean Brouillet ou encore Mgr Truchemotte ont fait des merveilles. Leur secret, cétait dabord de posséder la Foi. Sans elle, et lAbbé Julio lexplique bien dans la préface de ses ouvrages, la prière est peu efficace. Mais la Foi ne fait pas tout, même si elle peut parfois « soulever les montagnes » nous dit Jésus. Elle a besoin de la charité, ce que lApôtre Paul nous explique dans le texte inspiré de lépître aux Corinthiens :
- « Même si je parle toutes les langues des hommes et des anges... si je nai pas lamour, je ne suis plus quun cuivre qui résonne ou une cymbale qui retentit... Même si jai le don de prophétie et si je connais tous les mystères et toutes les sciences... même si jai la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes... si je nai pas lamour, je ne suis rien... Même si je distribue tous mes biens en aumône et si je livre mon corps aux flammes... si je nai pas lamour, celà ne me sert à rien... Lamour sait prendre patience... lamour est serviable... il nest pas envieux... il ne se gonfle pas... ne fanfaronne pas... ne fait rien de malhonnête... ne cherche pas son intérêt... ne sirrite pas... ne tient pas compte du mal... il ne se réjouit pas de linjustice, mais met sa joie dans la Vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout... supporte tout ! Lamour ne passe jamais. » (1 Corinthiens 13)
Le secret de lAbbé Julio et de ses successeurs tient dans ce quexprime ici lApôtre Paul. Si un prêtre ou un fidèle a ses qualités, il est leur successeur. Cest aussi simple que cela. Sil est humble, il recevra les mêmes charismes, et ceux-ci agiront sur le prochain. La voie de sainteté, cest en quelque sorte le chemin décrit par Saint Paul pour favoriser léclosion des charismes : avoir la foi qui soulève les montagnes, mais surtout déborder de charité pour tous ceux et celles qui ont besoin daide. Enfin il est légitime de croire que la foi, lespérance et lamour sont les trois facettes dun seul et même sentiment, car selon Saint Paul, la foi engendre lespérance qui elle-même engendre lamour.
Dans son « Histoire de lEglise Gallicane » publiée vers 1730, le Père Jacques Longueval écrit page 53 de son premier tome : « Ceux qui sont véritablement les disciples de Jésus-Christ opèrent des miracles pour lutilité des hommes selon le don que chacun deux a reçu de lui. Les uns chassent si efficacement les démons que très souvent ceux qui en ont été délivrés embrassent la foi et demeurent dans lEglise. Les autres prédisent lavenir et guérissent les malades par limposition des mains. Il y a même des morts qui sont ressuscités comme nous lavons dit et qui ont encore vécu plusieurs années parmi nous ». Cette citation provient du deuxième livre de Saint Irénée de Lyon, un des Pères de lEglise du deuxième siècle, grand théologien vénéré autant par les catholiques que par les orthodoxes (Contre les Hérésies - Livre 2 - Chapitre 56).
Ce témoignage de Saint Irénée - repris par le Père de Longueval - révèle que lEglise Gallicane de la fin du deuxième siècle était riche de nombreux charismes, signe de la vitalité de sa foi. Pour le comprendre, il faut se souvenir que la primitive Eglise, celle née de la Pentecôte à Jérusalem vécut dès lorigine dans lesprit denthousiasme qui suscitait le miracle. La transmission de cette influence spirituelle sest ensuite perpétuée au sein des Eglises nouvelles. Seules quelques générations séparaient Saint Irénée de ceux qui avaient connu le Christ. Poussées sur le rameau originel de la Pentecôte, les Eglises nouvelles prospéraient autour de la Méditerranée. Elles se développaient dans lenthousiasme et le souvenir des grands ancêtres. Saint Irénée à la fin du deuxième siècle par exemple est un disciple de Saint Polycarpe de Smyrne, lui même formé par lApôtre Jean qui avait connu le Christ.
Cette éclosion des charismes, promis à lEglise par Jésus, dans la puissance et la force de lEsprit-Saint, est lexpression de la force mystique des Eglises. Elle est liée au rayonnement de la bonté et de la sagesse, car il faut une force déquilibre et de maturité pour que naissent et grandissent les charismes spéciaux de lEsprit-Saint.
Une Eglise qui ne croirait plus aux charismes de lEsprit-Saint, dont les prêtres ne voudraient plus bénir et imposer les mains aux affligés, une Eglise qui nierait la possibilité du secours divin ne serait quune caricature de la véritable Eglise du Christ.
Cest ce quavait compris « lAbbé Julio » (Mgr Houssaye), ce quil a tenté dexprimer dans ses livres de prières. Ceux qui lont critiqué nont jamais compris que la prière est une force immense et de nature vitale pour le croyant. « Ils ont des yeux mais ils ne voient point » déclarait Jésus à son époque. Il faut voir avec les yeux de la foi et du cur, cest la le grand secret de le prière.
LApôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens (12,1-11) va définir pour la jeune Eglise de Corinthe, ce quil appelle si justement les dons spirituels : « A chacun la manifestation de lEsprit est donnée en vue du bien commun » - et dénumérer par la suite cette multiplicité des charismes : « A lun cest un discours de sagesse, à tel autre, un discours de science, un autre la foi, un autre encore, le don de guérison. A tel autre la puissance dopérer des miracles, à tel autre la prophétie, à tel autre le discernement des esprits, à tel autre la diversité des langues, à tel autre le don de les interpréter, etc ». Et pour bien faire connaître la voie qui conduit à ces dons spirituels, lapôtre nous fait comprendre dans la suite de lépître aux Corinthiens, que lexercice de ces charismes ne peut sexercer sans la charité.
Sur cette notion de charité qui ouvre la porte des charismes je tiens à apporter une précision qui me semble très importante. Jeune prêtre, formé et ordonné par Mgr Truchemotte que je respectais pour de multiples raisons, je linterrogeais parfois sur le prêtre qui lavait lui même formé dans sa jeunesse, et dont il avait été le vicaire, le Père Jean Brouillet. Ce qui me frappait le plus dans son témoignage était le trait de caractère suivant : « nul ne la jamais entendu critiquer quelquun !» Avec le recul des années je me dis que ce Père Brouillet a certainement eu, comme tout être humain, des avis très éclairés sur telle ou telle personne. Comme pasteur des âmes, il connaissait la nature humaine, « ce quil y a dans lhomme » nous dit Jésus. Et si le Christ nous demande ne pas juger dans lEvangile, il ne nous interdit pas davoir un avis. Par contre, du témoignage de Mgr Truchemotte, jai reçu que ce Père Brouillet ne colportait pas des ragots, ne disait pas du mal des uns ou des autres. Cet état desprit lui était étranger, comme lenvie ou la jalousie. Il avait certainement ce « supplément dâme » qui fait la différence, celui qui conduit au chemin des charismes et de la sainteté. Il laissa derrière lui un souvenir merveilleux de bonté, de sagesse et de force mystique. Avec Mgr Truchemotte, il faisait partie de ces êtres dexception auxquels on sattache, parce quil y a beaucoup de bon en eux.
On peut supposer que « lAbbé Julio » (Mgr Houssaye) sétait lui aussi attaché à Jean Sempé, ce thaumaturge mystique qui agissait par la seule prière. De cette rencontre nous lavons vu était née la vocation décrivain mystique de lAbbé Julio, son désir décrire des livres de prières pour guider les croyants sur le chemin de la foi.
Oui les secours divins existent, mais il faut y croire. Et il est difficile dy arriver tout seul ! La rencontre de Jean Sempé et de lAbbé Julio avait permis la transmission de cette influence spirituelle, elle avait permis que Dieu fasse souvrir la limite fixée par lui au possible. Dune certaine façon, on peut parler de la transmission dun don.
Monseigneur Thierry Teyssot