Doit-on ou non donner la mort pour éviter la souffrance et garder l'intégrité de l'être humain ? Une première précision... Il s'agit là d'une question sur laquelle aucune Eglise ne peut apporter une réponse absolue.

En effet, si le Décalogue donné sur le Mont Sinaï confirme l'interdiction du meurtre (Deutéronome 5,17) déjà donnée dans la Genèse (Gen. 4,15), le même texte affirme le droit et même le devoir à la communauté de donner la mort en certains cas.

Il est certain qu'en ce qui concerne le droit de ne pas tuer, ce droit ne saurait reposer sur l'Ancien Testament qui dit - par exemple - "Tu dois absolument le tuer" (Deutéronome 13,10).

Seul le message d'amour du Nouveau testament nous libère de cette obligation de mettre à mort celui qui a contrevenu aux lois divines...

Il ne saurait donc y avoir - au début d'une étude sur le droit ou le devoir de mettre à mort un être humain - de référence valable à (Deutéronome 5,17).

A ce sujet, il est peut-être bon de souligner que si la Bible de Jérusalem traduit: "Tu ne tueras pas", la version oecuménique de l'Ancien Testament traduite sur le texte massoretique, c'est à dire le texte hébraïque de la tradition juive (TOB - Editions du Cerf) indique:
"Tu ne commettras pas de meurtre".

Aux yeux de l'Ancien Testament, tous ceux qui tuaient n'étaient pas considérés comme des meurtriers. Le récit biblique est émaillé de nombreux cas où la vie d'autrui est ôtée soit pour obéir à un commandement direct de l'Eternel, soit pour accomplir une bonne action.

Aux yeux de l'Ancien Testament le juge, le soldat ne se sentent pas meurtriers... Après le massacre des prêtres de Baal - par exemple - Jehu s'entend dire: "Tu as bien agi" (2 Rois 30).

Seul Jésus-Christ par son enseignement amène donc une prise de conscience du respect de la vie, et c'est à partir de son message que la question se pose:
Existe-t'il un droit ou un devoir d'ôter la vie à autrui ? Ou à soi-même ?

Très tôt les avis diffèrent...

Dans la sainte liberté des enfants de Dieu les premiers chrétiens prennent des routes très différentes...
Il y aura des non-violents absolus,
d'autres qui croiront à la guerre sainte.

Et l'Eglise béatifiera des saints qui auront vécu dans l'une ou dans l'autre de ces observances.

En l'an 203 Sainte Perpétue se trouve dans les arènes face à un bourreau maladroit qui la pique entre les côtes sans trouver le coeur. Elle saisit alors le glaive et le guide vers sa gorge afin de hâter sa mort... Cas d'auto-euthanasie pour parler selon le vocabulaire moderne.

Saint Augustin commente cet acte: "Peut-être cette femme sublime ne pouvait-elle pas mourir autrement, et le démon qui la tourmentait n'aurait-il pas osé attenter à sa vie si elle-même n'y eut consenti."

Que Sainte Perpétue ait guidé sa mort, abrégé ses souffrances, rendu plus digne ses derniers moments ne semble donc pas un péché au docteur de la Grâce, non plus à l'Eglise Catholique qui la met sur ses autels.

Alors on peut se poser la question:
Si Perpétue avait été au tout dernier degré d'un cancer dans cette autre arène où le bourreau met si longtemps à tuer et si elle avait hâté sa mort... Qu'aurait écrit Saint Augustin ?

Pour autant l'attitude de Sainte Perpétue ne saurait être considérée comme une règle générale dans l'Eglise et l'on pourrait citer d'autres martyres qui ont, au contraire, vécu leur agonie jusqu'à la dernière seconde.

Ce que nul ne peut nier c'est que l'hagiographie catholique fourmille d'exemples de saints ayant estimé avoir le droit de ne pas laisser se prolonger le cours de leur existence terrestre, soit pour échapper à une souffrance ou à une honte, soit pour ne pas risquer céder à la torture et d'apostasier.

Quelques exemples:
Celui de Saint Benoît-Joseph Labre... Malade, épuisé, il tombe en 1783 sur les marches de l'Eglise Notre-Dame des Monts. L'on vient le secourir, le mener à l'hôpital... On va le soigner et d'abord le suralimenter; le saint est allé trop loin dans le refus de son corps. Mais Saint Benoît-Joseph ne l'entend pas ainsi. Il n'est que trop resté dans cette vallée de larmes. Il refuse l'hôpital et ses soins. Il finira de se laisser mourir dans le réduit prêté par un boucher.

Un autre exemple assez frappant est celui de Saint Théodule. C'était un des prêtres qui entouraient l'évêque de Rome Alexandre. Instruit, élevé par lui, il lui portait un attachement profond. En 119 l'évêque est arrêté et torturé, finalement il est jeté dans un brasier. Théodule est témoin de la scène. Il ne peut supporter de survivre à celui dont il est le disciple, le fils spirituel. Il se jette dans les flammes où il meurt.
Suicide que l'Eglise ne condamnera pas.

Sainte Pélagie elle aussi va se suicider. Elle est à peine adolescente quand les envoyés de Dioclétien viennent à sa maison d'Antioche pour l'arrêter... Au bout de cette arrestation Pélagie entrevoit le viol et la torture, sort habituel des vierges chrétiennes... Prétextant le besoin de prendre un habit elle monte jusqu'à l'étage supérieur de sa maison et se jette par la fenêtre. C'est Saint Jean Chrysostome qui nous conte le suicide de Sainte Pélagie...
Non seulement ni lui, ni l'Eglise n'ont jamais condamné cet acte, mais c'est comme martyre que Pélagie fut mise sur les autels. Il est certain que pour Sainte Pélagie comme pour Saint Jean Chrysostome, docteur de l'Eglise, l'intégrité de l'être humain était une raison bien suffisante pour autoriser ce suicide.

Les actes des martyrs nous donnent de trop nombreux exemples d'abréviations volontaires des souffrances pour que nous les citions tous:
Germanicus irrite le fauve pour le faire bondir sur lui ; "il avait hâte d'en finir" - nous dit l'auteur des actes du martyr de Polycrate, "avec ce monde d'injustice et de cruauté".
Citons aussi Sainte Luce transformée en torche vivante, dont la gorge est tranchée par "un glaive de miséricorde"...
Saint Ignace d'Antioche, lui aussi, veut hâter le moment de sa mort s'il est placé dans les arènes: "Je les flatterai pour qu'elles me dévorent sur-le-champ... Si elles n'ont pas envie de moi je les forcerai".

Les motifs d'abréger la vie ont donc été très divers chez les chrétiens des premiers siècles:
préserver de trop grandes souffrances soi-même ou un frère, ne pas scandaliser la foule d'un spectacle indécent, chez de nombreuses vierges éviter le viol... Il faut aussi mettre en compte la hâte d'être auprès de Dieu.

Plus difficile semble l'attitude de certains saints envers leur entourage;
le poignard est levé sur les petits-fils de Sainte Clotilde avec une alternative historique: "Morts ou tondus"; la sainte n'a qu'un cri: "je préfère les voir morts..." Les fils de Clodomir seront donc sacrifiés à un principe.
Sainte Rita de Cascia voulant empêcher ses fils de participer à une vendetta demande à Dieu leur mort immédiate et elle l'obtient.

Hâtons-nous de dire qu'aucun de ces cas ne saurait être exemplaire. Simplement ils nous mettent en présence de la diversité du comportement des saints...

Dans le dialogue intérieur entre leur conscience et Dieu certains ont entendu ou cru entendre un commandement ou une permission... D'autres ont entendu ou cru entendre le contraire. Alors comment une Eglise jugerait-elle l'euthanasie dans le légalisme d'un code tout fait ?

"Dans les choses certaines la Vérité," dit Saint Augustin, et il ajoute: "dans les choses douteuses la Liberté !"

Chose certaine ou chose douteuse que de trancher sur le "coup de grâce" que l'on donnait traditionnellement au blessé agonisant sur le champ de bataille. S'il s'agit d'un chien ou d'un cheval nul n'hésite... Achever la souffrance c'est faire appel au coeur, laisser vivre c'est la sensiblerie. Mais s'il s'agit d'un être humain ?

Il y a des théologiens de la certitude, solidement appuyés sur la traduction "Tu ne tueras pas", et l'interprétant comme un ordre de Dieu de ne jamais trancher le cours de la vie humaine quelles que soient les circonstances.

S'ils avaient été à la place des saints que nous venons de citer, pour eux aucun problème:
Benoît Labre, ils seraient allés à l'hôpital, Théodule, ils auraient contemplé stoïques la mort de l'évêque, Pélagie, ils auraient accepté le viol et la torture, Perpétue, ils auraient laissé le glaive jouer longuement dans leurs chairs, Augustin, ils auraient condamné Perpétue... Et toujours stoïques, sûrs de leur doctrine, ils auraient laissé griller Luce tout le temps nécessaire.

Ils ne se sont même pas inquiétés que d'autres chrétiens aient pensé autrement.
Un Saint Thomas More - par exemple - qui écrit que "c'est Charité que d'abréger une agonie certaine".

Ils sont certains que la volonté de Dieu préfère la vie terrestre dans n'importe quelle condition.

Ouvrons le deuxième livre de Samuel:
Nous y lisons qu'Ahitopel, honteux d'avoir donné un mauvais conseil se pendit et mourut. Il ne fut pas condamné par Israël en sa mémoire, sinon on eut - comme pour un meurtrier - jeté son cadavre hors de la cité. La Bible précise bien qu'il fut mis au tombeau comme un juste: "On l'ensevelit dans le tombeau de son père".

Alors comment l'Eglise se montrerait-elle plus dure que la Synagogue ?

De même l'on peut observer dans le premier livre de Samuel que Saül et son écuyer s'étant suicidés, l'armée d'Israël risque sa vie pour récupérer leurs cadavres tombés aux mains des philistins et, après les avoir pieusement incinérés, ils conservèrent fidèlement leurs ossements aux tamaris de Yabesh et observèrent même un jeûne de sept jours.

Dans le livre des Juges, nous voyons qu'Abimelek agonisant est achevé sur sa demande par son écuyer. Zimri, roi d'Israël, se suicide également (1 Rois 18). Enfin le second livre des Maccabées ne laisse aucun doute sur l'approbation d'un suicide par l'écrivain sacré en rapportant la mort de Razis: "Razis, cerné de toute part, dirigea son épée contre lui-même. Il choisit noblement de mourir plutôt que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa noblesse." (2 Mach. 14,42)

Revenons à la question posée. Eviter la souffrance !

Ce n'est pas toujours évident pour un chrétien... S'il veut accepter cette souffrance et l'offrir à Dieu en sacrifice, qui pourrait le lui contester ?

Alors que pour le non-croyant la souffrance ne sert à rien et donc que l'euthanasie paraît une évidence, pour le chrétien il peut en être autrement.

Si nous avons cité des saints qui ont abrégé leur vie, nous aurions pu en citer d'autres qui ont tenu à prolonger leur souffrance.

Garder l'intégrité de l'être humain !

Là aussi il y a une vision chrétienne qui n'est pas celle de l'incroyant. Ce qui se passe pour le chrétien c'est qu'il a la certitude d'être un jour né dans le Christ et, depuis ce jour, il souhaite garder vivant pour l'Eternité le corps de lumière qui est en lui.

Le corps physique, la vie terrestre ont donc pour lui une importance toute relative... Eviter sa souffrance, garder son intégrité: ce sont certainement là des questions très importantes pour d'autres... Mais pour celui ou celle qui se sait éternellement vivant dans le Christ ce ne saurait être le même problème.

Relisons l'Apôtre Paul:

- " On est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel " (1 Cor. 15,44).
Visiblement et pour celui qui n'est pas né ou ne s'est pas maintenu dans le Christ, tout se résume à ce corps animé qui n'a nulle participation à la vie éternelle... "Le premier homme, issu du sol, est terrestre " (1 Cor. 15,47).
Pour ce premier homme, pour ce corps psychique, pour tous ceux qui lui ressemblent encore, tout est rattaché à la logique de l'Ancien Testament, à cet existentialisme de l'Ecclésiaste: - "Naître c'est venir au monde, mourir c'est quitter ce monde".
"Le second homme, lui, vient du Ciel " (1 Cor. 15,47). Pour ce second homme tout est différent: "Le premier homme, Adam, a été fait âme vivante"; c'est à dire un être doué de vie par sa psyché, mais d'une vie purement naturelle. "Le dernier Adam, esprit vivifiant" (1 Cor. 15,46).

Pour ce second homme, pour cet esprit vivifiant, pour tous ceux qui lui ressemblent déjà, tout est rattaché à la logique du Nouveau Testament, à l'essentialisme de Saint Paul:
naître c'est s'être plongé dans le courant christique, mourir c'est sortir de ce courant.

Notre réponse à la question posée ne saurait donc résider en un oui ou en un non.

Devant chaque cas qui se pose à lui, le chrétien, imprégné des Saintes Ecritures, fortifié par la Grâce, alimenté par les Sacrements, informé autant qu'il le peut sur la question prie et demande à l'Esprit-Saint Sa Sagesse.

Après avoir dit:
"Dans les choses douteuses la Liberté..."
Saint Augustin ajoute:
"Mais en toute chose la Charité."
Si cette Charité est en l'Etre Humain, le mal n'est plus possible.

Bien entendu cette étude est trop courte pour prétendre avoir fait le tour du problème. Ce que nous avons écrit n'est donc proposé que comme une opinion probable qui puisse aider chacun. Notre Eglise ne considère comme article de Foi que ce qui est contenu dans le Credo... Explicité par les Conciles Oecuméniques.


Sommaire