Selon l'exégèse actuelle de la Bible, la rédaction de l'histoire de la Genèse ne serait effective qu'aux Xème et VIème siècles avant Jésus-Christ. Ce récit fut-il inventé à partir de ces dates ? S'agit-il au contraire de la transcription écrite d'une révélation primordiale - transmise oralement - de génération et génération, depuis l'Eden ?

La Bible cite dix patriarches d'Adam à Noé: - Adam, Seth, Enoch, Quenân, Mahalalel, Yéred, Hénoch, Mathusalem et Lamech, le père de Noé. Le Livre des livres indique ensuite dix patriarches, de Noé à Abraham: - Sem, Arpakcad, Chélah, Eber, Péleg, Réou, Séroug, Nahor et Térah, le père d'Abraham.

Si révélation primordiale il y a eu, on peut imaginer qu'elle reposait sur la connaissance de Dieu, de ses oeuvres et de son génie créateur, enfin sur une prophétie annonçant la venue de son Fils et de son oeuvre rédemptrice. Nous allons voir pourquoi.

Le Contenu

La connaissance d'un Dieu à la fois personnel et créateur est certainement la première réalité qui transparaît du livre de la Genèse. L'Etre Suprême porte un nom et désigne l'être humain par son nom, ce qui suppose des relations de personne à personne engendrant le respect, l'affection, l'attachement.

Le Mystère de l'Incarnation en Jésus-Christ où, à travers son Fils, Dieu prendra un visage, deviendra une personne au sein de l'histoire humaine, se dessine déjà, en filigrane. Dés la Genèse l'être humain a de l'importance pour Dieu, il compte à ses yeux. L'homme est ainsi institué roi de la création et, dans la description du paradis, il est question d'un fleuve se séparant en quatre bras. Comment ne pas y voir annoncé symboliquement les quatre bras de la croix?

Le thème des sept jours de la Création va révéler à la fois le plan de construction du monde et son plan de gouvernement. Tout s'y déroule selon sept impulsions divines originelles qui se répercutent à l'infini de notre espace-temps. On y associera les sept couleurs de l'arc en ciel, les sept notes de la gamme, les sept jours de la semaine, les sept dons de l'Esprit-Saint et les sept sacrements.

Ce sont là des signes de cette réalité.

Dans la Bible, et plus particulièrement dans le récit de la Genèse, le chiffre sept revêt une importance fondamentale, jusque dans les moindres détails de la composition du texte. Ainsi le nom de Dieu revient sept fois cinq = trente-cinq fois dans le récit de la Création. Le mot terre revient sept fois trois = vingt et une fois. Le mot ciel revient lui aussi sept fois trois = vingt et une fois; le mot bien sept fois. Le septième paragraphe du texte hébreu correspond au septième jour. Le récit de l'Eden est rempli des mêmes harmoniques (Genèse 2,4 et 3,24). Les noms de l'homme sont répétés sept fois quatre = vingt-huit fois, ceux de la femme sept fois trois = vingt et une fois; le texte compte aussi, en hébreu, sept paragraphes.

Après l'épisode du péché originel, la prophétie de "la postérité de la femme qui écrasera la tête du serpent" (Genèse 3,15) va demeurer sans conteste l'élément le plus important de la tradition primordiale, puisque porteur d'une gigantesque espérance. La prédiction s'accomplira lors de la naissance du Fils de Dieu par Marie et, consommera la victoire de la résurrection sur le père du mensonge et de la mort.

Des Présents d'Abel au Christ-Jésus

Si nous remontons le cours des âges bibliques, nous pouvons lire que la promesse de l'envoi d'un Sauveur venant restaurer la nature humaine dans la grâce et l'amitié divine, suite à l'épisode du péché originel, est implicitement contenue dans:

1) Les présents d'Abel
2) Le sacrifice d'Abraham
3) Celui de Melchisédek.

Et comme il n'y a pas de hasard dans la liturgie - remarquons que le rituel de la messe gallicane de Gazinet, au début de la préface consécratoire du pain et du vin en Corps et en Sang du Christ évoque: "les présents d'Abel, le sacrifice d'Abraham et celui de Melchisédek".

Il est évident qu'il y a ici la volonté de bien insister, de faire le lien entre ces trois personnages de l'antiquité biblique et Jésus, le Fils de Dieu. L'on pourrait ainsi parler d'un héritage spirituel, d'une filiation symbolique et prophétique, d'Abel le juste au Seigneur Jésus-Christ. Essayons de comprendre.

1) Les Présents d'Abel: - "Abel fut berger, tandis que Caïn cultivait le sol. Or, au bout d'un certain temps, Caïn présenta les fruits du sol en oblation à Yavhé; Abel, de son côté, présenta les premiers nés de son troupeau, ainsi que de leur graisse. Yavhé porta ses regards vers Abel et vers son oblation, mais vers Caïn et vers son oblation il ne les porta pas" (Genèse 4,2-5).

Seule une lecture simpliste pourrait laisser supposer la préférence de l'Eternel pour le sang et les sacrifices d'animaux, en place de l'offrande "végétarienne et diététique" de Caïn. Non ! Le choix divin de l'offrande d'Abel ne peut se comprendre que dans la perspective d'une vue prophétique sur la valeur des religions.

Ainsi Abel symbolise le courant de la grâce et de la révélation, celui de la libre élection divine et de l'annonce du Fils de Dieu "le bon berger" (Jean 10,14), "le sacrificateur éternel qui a répandu son sang pour obtenir notre rédemption" (préface consécratoire de la messe gallicane du rite de Gazinet).

Caïn représente la religion naturelle, c'est à dire le courant religieux à travers lequel l'être humain tente de parvenir à Dieu, par ses propres forces. Les fruits du sol symbolisent le paganisme, issu de l'observation attentive de la nature et de ses mystères.

Si l'on devait tenter d'établir une comparaison entre les deux grandes religions bibliques (judaïsme et christianisme) et d'autres formes religieuses issues de diverses sources (par exemple le bouddhisme, le chamanisme et tous les paganismes), l'on pourrait dire que la Bible nous présente un Dieu personnel qui va vers les hommes (il se révèle, prend l'initiative de, parle, se montre, intervient parfois pour redresser la barre), tandis qu'ailleurs, c'est au contraire l'être humain qui cherche à prendre conscience d'une réalité spirituelle et mystique, puis en tire ensuite un fond de doctrine.

2) Le Sacrifice d'Abraham: - Lire Genèse (22,1-13). En résumé l'Eternel dit à Abraham de sacrifier son fils, puis il substitue un agneau à la place d'Isaac. Il est alors facile d'établir un parallèle avec le Nouveau Testament où, l'Eternel envoie son propre fils - "l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde" (Jean 1,29) - à la place de l'Humanité condamnée. Puis la Cène substitue sans fin les espèces du pain et du vin à Jésus qui est présent par elles; ce qui nous amène au personnage de Melchisédek, le mystérieux roi de Salem.

3) "Et Melchisédek, roi de Salem, apporta du pain et du vin; il était prêtre du Dieu Très-Haut" (Genèse 14,18).

Remarquons tout d'abord que Jésus n'a rien inventé en instituant la Cène, mais, Fils du Très-Haut, il a mis sa présence dans le pain et le vin: - "ceci est mon Corps, ceci est mon Sang". Le sacerdoce chrétien était fondé, à la fois puissance de vie et de grâce et, en vérité, la plus haute potentialité donnée à l'être humain de manifester la puissance bienfaisante et salvatrice du Dieu Très-Haut.

Sur Melchisédek, nous pouvons simplement ajouter qu'il symbolise la figure du Christ. Abraham, le grand prophète du Dieu Très-Haut lui fait l'offrande d'une dîme fort généreuse, signe de grand respect de la part du patriarche pour ce mystérieux personnage, dont l'existence n'est évoquée qu'à travers ce court passage de la Genèse.

La portée symbolique et prophétique de ces textes et personnages de l'Ancien Testament est ainsi facile à souligner. En fait tout tourne autour de l'annonce de Jésus-Christ, Fils de Dieu. C'est, à notre avis, la grande promesse véhiculée par la tradition primordiale.


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