1. Le Grand Schisme

Un des plus grands hommes de la France, le plus célèbre qu'elle ait eu dans le quinzième siècle, celui qui a fait le plus de bien au monde et lui a été le plus utile, est le Chancelier Gerson:

Car c'est à lui qu'on doit le livre le plus répandu qu'il y ait sur la terre,

qui a été traduit dans toutes les langues, dont il existe quatre-vingts versions différentes dans la seule langue française; le livre, unique ouvrage qui, sans excepter même l'Ecriture Sainte, ait obtenu un si prodigieux succès; le livre qui a répandu sur le genre humain tant de consolations, fait supporter avec courage et résignation tant d'infortunes, qui a séché tant de larmes, ramené de tant de désespoirs; le livre enfin de l'Imitation, qu'un philosophe, Fontenelle, a dit être "le plus beau qui soit sorti de la main des hommes, puisque l'Evangile n'en vient pas".

L'auteur, qui s'appelait Jean Le Charlier, n'est plus connu que sous le nom du village où il naquit, dans le diocèse de Reims. Et, comme si tout devait être extraordinaire dans sa vie, il ne reste aucun vestige du lieu qui le vit naître, et plusieurs siècles ont couvert de doutes et de ténèbres le véritable auteur de l'Imitation.

Mais enfin, après plus de quatre siècles écoulés, deux hommes recommandables par leurs qualités morales et par leur savoir, MM. Gence et Billaudel, ont fixé toutes les incertitudes: le premier, en prouvant que le véritable auteur de l'Imitation est Jean Le Charlier, dit Jean Gerson, chancelier de l'Université de Paris; le second, en retrouvant, sur les bords de l'Aisne, presque à la porte de Rethel, les traces effacées du village de Gerson où naquit l'homme célèbre qui porta ce nom, et le rendit immortel.

Né le 14 décembre 1363, Jean Le Charlier fut envoyé à Paris à l'âge de quatorze ans; il fit ses études au collège de Navarre, passa, dans l'espace de dix années, par tous les grades des facultés, eut pour professeur et pour ami le célèbre Pierre d'Ailly (depuis archevêque de Cambrai et cardinal), auquel il succéda dans les places de chanoine de Notre Dame et de chancelier de l'Université de Paris. Il avait été précédemment curé de Saint-Jean en Grève, et doyen de l'Eglise de Bruges, nommé par Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne et de Brabant (1400).

Les temps étaient alors déplorables. Le schisme troublait et divisait l'Eglise. Le monde chrétien avait deux papes, Benoît XIII et Grégoire XII. Une corruption profonde régnait dans le clergé. Le Roi de France Charles VI était privé de sa raison; la Reine Isabeau de Bavière trahissait l'Etat. Les deux factions des Bourguignons et des Orléanais dits Armagnacs, désolaient le royaume. Les Anglais intervenaient, fatalement appelés dans ces différends, et déjà n'était pas loin la funeste bataille d'Azincourt. Le duc d'Orléans, frère de Charles VI, venait d'être assassiné (1407) dans une rue de Paris par un sicaire du duc de Bourgogne (Jean, dit Sans-Peur): des prédicateurs faisaient dans la chaire évangélique l'apologie du crime et celle du prince qui l'avait fait exécuter. Enfin, Rome redevenue république, après avoir chassé les deux pontifes rivaux, était administrée par un corps sans puissance qui prenait ridiculement le titre de Sénat romain.

C'est à cette époque (1407) qu'une ambassade vraiment extraordinaire fut envoyée par le Roi de France auprès des deux papes, pour les engager, par la persuasion ou par la menace, à cesser de troubler la paix de l'Eglise. Le personnel remarquable de cette ambassade se composait du patriarche d'Alexandrie, de l'archevêque de Tours, des évêques de Cambray, Meaux, Troyes et Evreux, des abbés de Saint-Denis, de Clairveaux et plusieurs autres, de trois seigneurs séculiers, de Gerson, chancelier de l'Université de Paris, et de plus de vingt autres docteurs.

Les ambassadeurs avaient mission d'annoncer aux deux pontifes la soustraction de la France à leur obéissance, s'ils refusaient, par la cession de l'un deux, de dédoubler le suprême pontificat. Savone était le lieu fixé pour les conférences. Grégoire, qui se trouvait en ce moment à Marseille, parut d'abord disposé à céder; mais Benoît montra plus de résistance. La tiare a, comme les autres couronnes, un prestige auquel on renonce difficilement. Grégoire ne tarda à revenir de son premier bon mouvement, et les deux papes ennemis s'accordèrent dans le refus de se rendre à Savone où l'on devait travailler à l'union.

Grégoire envoya des ambassadeurs à la cour de France. Les ambassadeurs français allèrent expliquer leurs vues devant le prétendu sénat romain; ils s'abouchèrent avec les cardinaux de Benoît, avec les cardinaux de Grégoire: car, s'il y avait alors deux papes, il y avait aussi deux sacrés collèges auxquels les ambassadeurs présentèrent des requêtes. Bientôt Benoît lance l'excommunication sur tous ceux qui favorisaient la voie de cession; Grégoire fait de nouveaux cardinaux et est abandonné par les anciens qu'il excommunie. Benoît publie contre la France une bulle foudroyante: elle est lue et déchirée dans le conseil du Roi. La soustraction d'obéissance aux deux papes est proclamée par lettres patentes, avec le consentement des grands et du clergé.

Alors Benoît se retire à Perpignan où il fait aussi sa promotion de cardinaux. Enfin, un concile général est convoqué à Pise (1408) par les cardinaux des deux obédiences. En même temps Benoît convoque un concile dans le Roussillon, tandis qu'un concile national est réuni à Paris. Cependant le schisme s'était étendu: l'évêque de Liège, assiégé dans Maëstricht par ses diocésains, y trouvait une fin tragique. L'archevêque de Reims, se rendant au concile général, était assassiné à Gênes.

C'est dans cette triste situation du monde chrétien que s'ouvrit, en 1409, le concile de Pise. Gerson y parut avec l'éclat de sa renommée, augmentée par le mémoire qu'il venait de publier sous ce titre: de Unitate ecclesiasticâ, dans lequel, en défendant l'unité de l'Eglise, il réfute, avec un plein succès, ceux qui alléguaient qu'un concile ne pouvait être assemblé sans l'autorité du pape.

Gerson démontre que Jésus-Christ étant le chef de l'Eglise, si son vicaire est mort naturellement où civilement, alors l'Eglise peut et doit s'assembler en concile général pour se donner un vicaire unique et indubitable.

Les deux pontifes sont appelés aux portes de l'église où est ouverte la session. Les six notaires du concile demandent "si Pierre de la Lune (Benoît XIII) et Ange Corario (Grégoire XII), se disant papes, sont présents"; aucune voix ne répond: les deux antipapes font défaut. Dans la troisième session, de semblables appels sont faits avec le même résultat. Alors les deux pontifes sont déclarés contumaces; et tandis que leurs partisans prétendent encore qu'avant de les déclarer déchus on doit préalablement leur restituer l'obédience.

Dans son traité fameux de Auferibilitate Papae, GERSON montre que, "selon le droit naturel et divin, on ne doit rien restituer à un injuste détendeur, à des hérétiques, à des schismatiques manifestes, à des furieux, à des hommes intrus". Enfin les deux antipapes sont déposés, et le vieux cardinal de Milan est élu souverain pontife sous le nom d'Alexandre V.

Le chancelier de l'Université de Paris prononça, le jour de l'Ascension, en présence du nouveau pontife et de tout le concile, un discours énergique dans lequel il exhorta le chef de l'Eglise "à ne se dispenser d'aucun de ses devoirs, et à couper sans différer les racines du schisme par la vive poursuite des deux concurrents." Dans son discours, continue l'abbé Fleury, "il s'élève contre le relâchement du clergé et surtout des moines mendiants, il parle des abus dans la provision des bénéfices; enfin, il exhorte le pape et les pères du concile à travailler sérieusement à la réformation de l'Eglise."

En 1413, Gerson poursuivit avec un courage généreux, et qui n'était pas sans danger, la condamnation du cordelier Jean Petit et sa Justification du Duc de Bourgogne, ouvrage dans lequel l'assassinat du duc d'Orléans était déclaré un acte non criminel, attendu qu'il était loisible de tuer un tyran. A cette époque, l'Université s'occupait des affaires de l'Etat, s'entremêlant des troubles qui divisaient le royaume, des vues ambitieuses de l'Angleterre, de la distribution de la justice, même de la fabrication des monnaies et de l'administration des finances.

Gerson fut envoyé, en 1415, au concile de Constance, où il parut sous la triple qualité de député de l'Université de Paris, de député de l'Eglise de France et d'ambassadeur du Roi.

Il était accompagné de trois autres docteurs à la tête desquels il fut reçu, en audience publique, avec des honneurs extraordinaires, par le pape Jean XXIII (successeur d'Alexandre V) et par l'empereur Sigismond, qui élevèrent l'Université de Paris au-dessus de toutes les autres, déclarant qu'aucun pouvoir, dans le monde chrétien, n'avait contribué autant qu'elle à la paix de l'Eglise.

Gerson devint bientôt l'âme du concile.

Il établit, dans un discours célèbre, la supériorité des conciles généraux sur les papes; il maintint que l'Eglise a le droit de s'assembler quand son chef refuse de la convoquer, et qu'elle pouvait se réformer elle-même.

Lorsque l'Empereur Sigismond eut conçu le pieux dessein de faire le voyage du Roussillon pour aller, de concert avec le roi d'Aragon, décider l'antipape Benoît à se démettre du souverain pontificat, Gerson prononça un discours sur l'extinction du schisme et la réformation des moeurs. Il établit de nouveau l'autorité du concile sur le pape et sur la réformation. "Son discours ne fut pas inutile, dit Fleury, car dès le lendemain on assembla une congrégation pour délibérer sur les maximes et sur les règles qu'il avait établies, et trouver les moyens de les pratiquer."

Le Roi de Suède ayant demandé au concile de Constance la canonisation de Brigide ou Brigitte que ses visions avaient rendue célèbre, le chancelier de l'Université de Paris écrivit son traité de l'Examen des Esprits, dans lequel il s'élève contre les fausses révélations. Il cite plusieurs exemples, entre autres celui d'une fille de Bourg-en-Bresse qui feignait des extases, prétendait délivrer les âmes de l'enfer, et qui finit par avouer qu'elle se disait inspirée pour gagner sa vie. La religion du chancelier, pour être éclairée, n'en était que plus solide: "Je me défie extrêmement, disait-il, des visions que l'on croit avoir et de celles dont les autres se vantent." Les pères du concile partagèrent ce sentiment sur la vision béatifique, et la canonisation fut renvoyée; mais elle fut prononcée plus tard par le même concile.

La simonie était la lèpre de l'Eglise: Gerson écrivit un traité pour la combattre et pour engager le concile à l'extirper. Dans un sermon fait devant le concile (1417), Gerson revint encore sur la nécessité de la réformation, sur l'autorité de l'Eglise supérieure à celle du pape, et sur la condamnation solennelle des neuf propositions de Jean Petit, condamnation toujours éloignée par les intrigues du duc de Bourgogne, et il présenta un traité contre les erreurs dont il fait une longue énumération, et qu'il disait avoir été avancées dans le concile sur le précepte du décalogue: "Tu ne tueras point: Non occides".

Peu de jours après, le chancelier Gerson devint encore plus pressant dans un discours, pour que la condamnation, prononcée par le concile des neuf fameuses propositions, mît enfin "la vie et la majesté des souverains à couvert des entreprises de leurs sujets." Et peu de jours après encore, avant que le concile procédât à la déposition de Benoît XIII, à l'élection de son successeur et à la réformation de l'Eglise, il fut donné publiquement lecture, comme un préparatif aux délibérations (dit Fleury), du Traité de Gerson sur l'Autorité du Concile et sur la Puissance de l'Eglise.

Telle était l'influence du chandelier de l'Université de Paris dans le concile de Constance, que les grandes délibérations commençaient par l'invocation à l'Esprit-Saint (Veni Creator), et que le second préliminaire était l'audition d'un discours de Gerson ou la lecture d'un de ses traités.

Cependant les sessions du treizième concile général tenu à Constance s'étaient prolongées de 1414 à 1418. Le concile avait procédé contre les deux antipapes. Grégoire XII s'était enfin soumis; Benoît XIII, qui avait excommunié le concile, était déposé; mais il persistait dans son obstination, et il garda sa tiare et son petit collège de cardinaux jusqu'à sa mort (1424).

Le concile avait poursuivi, déclaré suspect et enfin déposé le pape Jean XXIII, fugitif, et accusé de beaucoup de crimes dont le moins grave était la dissipation du patrimoine de Saint Pierre. Martin V avait été élu; le concile s'était séparé; le schisme de l'Eglise paraissait éteint.

Gerson, si actif et si empressé de prendre la parole ou d'écrire sur les grandes questions qui tenaient aux libertés de l'Eglise Gallicane, garda l'honneur d'avoir été la plus vive lumière du concile de Constance. Mais il ne pouvait plus, sans danger, rentrer en France où le Duc de Bourgogne était alors tout puissant.

Il resta donc en Allemagne, déguisé en pèlerin, exilé volontaire, cherchant un asile dans plusieurs abbayes, séjournant dans celles de Rathemberg et de Moelck où il composa son livre admirable de l'Imitation, d'autres traités, d'autres écrits de spiritualisme, et Pèlerin, c'est ainsi qu'il s'intitulait dans les traverses de sa vie, son âme sembla désormais n'appartenir aux intérêts de la terre que dans leurs rapports avec les choses du ciel.

Gerson écrivit d'abord son Apologie. Errant dans les montagnes de Bavière, il composa son livre De Consolatione Theologioe, qu'il écrivit, à l'exemple de Boëce, en prose mêlée de vers. Il réfuta dans un dialogue les erreurs de Falkenberg qui agitaient alors la Pologne, et qui étaient à peu près celles de Jean Petit. Il posa en principe que le jugement du pape n'était pas infaillible, et que comme on peut en appeler d'un évêque au pape, on peut appeler du pape au concile général. Cette sage opinion n'était pas celle du nouveau pontife Martin V. Il avait refusé de condamner le livre de Falkenberg, et dans une constitution il venait de déclarer qu'en matière de Foi il n'était permis à personne d'appeler du siège apostolique à une autorité. Le chancelier de l'Université de Paris écrivit contre cette constitution pontificale un traité dans lequel il soutient que l'appel d'un jugement du pape, en matière de foi, est permis: il cite, à ce sujet, le décret de la cinquième session du concile de Constance; il établit qu'il n'est sur la terre aucun juge infaillible, et que seule, l'Eglise, réunie en concile général, ne peut errer dans la foi.

Ainsi, même dans sa retraite claustrale, la vie de Gerson était une lutte active en faveur des principes de l'Eglise Gallicane. Il combattait aussi toutes les erreurs du temps.

Un Dominicain de Saxe nommé Mathieu Grabon, soutenait dans son livre De verâ Religione et Perfectionne, qu'il ne pouvait y avoir de perfection chrétienne que dans les ordres monastiques, et qu'il était impossible de bien pratiquer dans le monde les vertus chrétiennes. Martin V invita Gerson et le cardinal d'Ailly à réfuter cette extravagance; le cardinal et le chancelier la combattirent avec un facile avantage, et le moine saxon se rétracta.

Gerson écrivit en Allemagne d'autres ouvrages, parmi lesquels on doit citer les deux traités De Sigillis et De Observatione Dirum contre les rêveries de l'astrologie judiciaire, alors si répandues que le cardinal d'Ailly lui-même semblait leur donner quelque créance avant d'avoir lu un premier livre de son élève, qui avait pour titre De Astrologia reformata. Gerson écrivit aussi contre la magie qui n'était pas moins en crédit que les anneaux constellés, les talismans, et la science divinatoire des jours heureux et malheureux. A cette époque, de tels ouvrages étaient des flambeaux allumés dans les voies encore obscures de la civilisation.

Cependant l'implacable ennemi de Gerson, le duc de Bourgogne, avait été assassiné sur le pont de Montereau (1419); mais Gerson ne songea pas encore à rentrer en France. Détaché des choses de la terre, il continua de séjourner, pendant quelques années, dans les saintes solitudes de la Germanie. Il écrivit plusieurs livres sur la vie contemplative, sur la simplicité du coeur, sur la pauvreté spirituelle, sur les enfants qu'il faut gagner à Jésus-Christ. La piété et l'onction qui règnent dans ces ouvrages avaient porté Bossuet et d'autres écrivains ecclésiastiques (le docteur de Sainte Beuve, Dupin, le jésuite Labbe) à regarder Gerson, quand la question de l'auteur de l'Imitation était encore indécise, comme très digne d'avoir composé ce livre admirable.

Enfin, dans les derniers temps de sa carrière, si laborieuse et si traversée, il voulut revoir la France et s'endormir au sein de sa patrie. Il avait à Lyon un frère, prieur du couvent des célestins, et c'est dans cet obscur asile, qu'après avoir rempli le monde chrétien de son nom, le chancelier de l'université de Paris se fit maître d'école, se plut à réunir dans l'église de Saint Paul les enfants pour les catéchiser, n'exigeant d'eux d'autre rétribution que cette prière qu'il leur faisait dire chaque jour, et que pleurant ils répétèrent le veille de sa mort: "Seigneur, ayez pitié de votre pauvre serviteur Gerson."

Il mourut à l'âge de soixante-six ans, le 12 juillet 1429. On grava sur sa tombe ces paroles qu'il adressait toujours à ceux qui l'écoutaient: "Faites pénitence et croyez à l'Evangile." Il avait fondé par son testament, dans la même église de Saint-Paul, un anniversaire dont le premier fut célébré de son vivant. Par ce même testament, dernier dépositaire de la pureté de sa foi et de sa doctrine, il partagea les manuscrits de sa bibliothèque et ses propres ouvrages manuscrits entre les Célestins de Lyon et les Chartreux de Villeneuve Lès Avignon, avec qui il correspondait habituellement.

Sa vie avait été si pure, si sainte, que Charles VII fit élever, dans la même église de Saint Paul où il fut inhumé, un autel décoré de son image, avec la devise qu'il avait adoptée: Sursum corda ! Hauts les Coeurs !

On voit, par la correspondance de l'évêque de Bâle et du clergé de Lyon, en 1508, qu'à cette époque encore le peuple venait prier à l'autel de Gerson. Du Saussay rapporte, dans son Martyrologium gallicanum, que Gerson, regardé comme un bienheureux, était invoqué principalement à Lyon en cette qualité; mais il ne fut point procédé à sa canonisation; et l'on peut présumer que le courageux défenseur des libertés de l'Eglise Gallicane, quoique profondément estimé à Rome pour ses vertus aussi hautes que ses lumières, eût été difficilement mis par les papes au nombre des saints.

L'autel de Gerson avait été détruit pendant les guerres civiles et religieuse du seizième siècle; son tombeau même était devenu ignoré: il fut découvert en 1643. Le cardinal Alphonse de Richelieu, archevêque de Lyon, s'empressa de le visiter, et de nouveaux et nombreux hommages lui furent rendus.

Les écrits de Gerson n'ont cessé d'être invoqués par les défenseurs des libertés de l'Eglise Gallicane. "Gerson, dit Bossuet, défendit avec un courage invincible la vérité catholique et les intérêts de son Roi et de la famille royale, ce qui lui mérita le nom de Docteur très chrétien". Les docteurs les plus opposés à sa doctrine sur la puissance ecclésiastique, le cardinal Torquemada, le cardinal Bellarmin, et d'autres célèbres ultramontains, ne parlent qu'avec respect et vénération de sa piété et de son zèle. "Sa doctrine sur l'autorité de l'Eglise, professée par l'Université de Paris, devint, dit J.B. Modeste Gence, celle des universités de Cologne, de Vienne, de Cracovie, de Louvain même; elle fut enseignée en Allemagne par le cardinal de Cusa, en Espagne par Alphonse Tostat, en Italie par Nicolas de Catane, en Flandre par Adrien Florent, précepteur de Charles-Quint, et depuis pape sous le nom d'Adrien VI."

Gerson a mérité d'être appelé en même temps par le cardinal Zabarella, le plus excellent Docteur de l'Eglise, par son siècle et par les âges suivants, le Docteur Très Chrétien, et par les théologiens de Flandre et d'Allemagne, le Docteur des Consolations.

La plus grande gloire de Gerson est d'avoir pleinement justifié le titre si remarquable de Docteur des Consolations, en donnant au monde le livre de l'Imitation, source vive et pure où l'âme trouve tout ce qui soutient, tout ce qui console dans l'adversité. L'histoire de cet ouvrage est si merveilleuse, qu'il importe de la tracer rapidement, parce qu'elle n'est pas assez bien connue, même après le concours ouvert pour l'Eloge de Gerson, et après le prix décerné par l'Académie Française.

La Question de l'Imitation


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