En prononçant le nom de l'Abbé Baptiste-Henri Grégoire on évoque une figure qui témoigna toute sa vie pour les valeurs de l'Evangile. Victor Hugo lui rend hommage dans Les Misérables en le parant de l'aura énigmatique du vieux conventionnel G. La France républicaine de 1989 l'a célébré en transférant ses cendres au Panthéon.

Un être exceptionnel

Né dans une famille pauvre - le 4 décembre 1750 - profondément croyant, il entre au séminaire pour y être ordonné prêtre. Professeur au collège de Pont à Mousson il se fait remarquer comme poète et publie un "éloge de la poésie", couronné en 1779 par l'académie de Nancy. Il a le goût des études et des voyages, c'est aussi un philanthrope. Sa voix s'élève contre les juifs qu'on persécute en Alsace: "en tant que ministre d'une religion qui considère tous les hommes comme frères". Il réclame pour eux l'égalité civile. Estimé par le clergé lorrain il est élu député aux états généraux de 1789 où il lutte de toutes ses forces contre les privilèges de l'ancien régime.

Gallican convaincu, il adhère sans réserve à la Constitution Civile du clergé édictée en 1790 (rappelons que les membres de l'Eglise Constitutionnelle étaient élus par le peuple - curés et évêques - et prêtaient serment à la République - non au Pape), mais marque ses distances avec une partie de ce même clergé constitutionnel. Il s'élève ainsi contre la persécution des prêtres réfractaires (qui refusent de prêter serment) et sauve la vie à plusieurs.

Elu par le peuple comme évêque de Blois il n'en fait pas moins l'éloge de son prédécesseur, le "réfractaire" Monseigneur de Thémines, et nous avons là deux grandes figures qui se retrouvent divisées sur l'attitude à adopter face à l'Eglise Constitutionnelle, mais qui vont - quelques années plus tard - avoir un même refus de l'Eglise Concordataire. L'Eglise Constitutionnelle sera abolie par le Concordat signé entre Napoléon et le Saint Siège en 1801; c'est donc encore une "autre Eglise" qui naîtra au début du XIXème siècle en France.

Chrétien convaincu, Grégoire est aussi un précurseur dans de nombreux domaines. Il obtient de la Convention l'abolition complète de l'esclavage (qui plus tard sera rétabli par Napoléon). Il se prononce formellement à la tribune pour l'abolition de la peine de mort. Il vote la fin de la royauté mais refuse de voter la mort du roi, souhaitant que Louis XVI soit appelé le premier à profiter du bienfait de l'abolition de la peine capitale. Il se bat aussi pour la culture, sauve des monuments, multiplie des bibliothèques, fait établir des jardins botaniques. Admirons son ouverture d'esprit: - "Ma profession de catholicité n'est pas problématique et c'est en partant de ces principes même que j'admets la tolérance civile dans toute son étendue. Assurément je crois le juif, le protestant, le théophilantrope dans la route de l'erreur, mais comme membres de la société civile ils ont autant de droit que moi à bâtir un temple et à le fréquenter publiquement."

Il se fait des ennemis tant dans le camp des inconditionnels de Rome que dans celui des artisans de la Terreur. Après le coup d'état du 18 brumaire il siège au Sénat (1801) mais refuse le Concordat et donne sa démission d'évêque. On le voit ensuite voter contre l'établissement du pouvoir impérial puis - seul - contre la restauration des titres nobiliaires. Après 1814 il se retire de la vie publique et voit passer la première Restauration, les Cent-Jours et le retour définitif des Bourbons. Il continue néanmoins d'écrire, on lui doit un "Essai sur les Libertés de l'Eglise Gallicane", il dénonce les ultraroyalistes et les ultramontains (parti papiste opposé au courant gallican).

En 1819 il est élu à la chambre des députés par le département de l'Isère, mais cette élection déchaîne de vives passions contre-révolutionnaires. Grégoire est outragé, calomnié, on continue de l'accuser d'avoir voté la mort de Louis XVI, ses réponses dans les journaux sont censurées, ses lettres décachetées à la Poste. Il demeure inébranlable dans la tourmente: - "Je suis comme le granit, on peut me briser mais on ne me plie pas". Son élection est annulée en haut lieu, il est rejeté comme "indigne". Dans les années qui suivent il se retire en vivant isolé - ses amis - par crainte de déplaire aux puissants, se font de plus en plus rares. Néanmoins, jusqu'à ses derniers instants il reste absorbé par l'étude, la contemplation, sa correspondance et le progrès humain.

En ouvrant Les Misérables au chapitre intitulé "l'évêque en présence d'une lumière inconnue" nous pouvons lire ceci: - "Il y avait près de Digne, dans la campagne, un homme qui vivait solitaire. Cet homme, disons tout de suite le gros mot était un ancien conventionnel. Il se nommait G. On parlait du conventionnel G. dans le petit monde de Digne avec une sorte d'horreur. Un conventionnel, vous figurez-vous cela ? Cela existait du temps qu'on se tutoyait et qu'on disait: citoyen. Cet homme était à peu près un monstre. Il n'avait pas voté la mort du roi, mais presque: c'était un quasi-régicide. Il avait été terrible. Comment, au retour des princes légitimes, n'avait-on pas traduit cet homme là devant une cour prévôtale ? On ne lui eût pas coupé la tête, si vous voulez, il faut de la clémence, soit; mais un bon bannissement à vie. Un exemple enfin ! etc., etc. C'était un athée d'ailleurs, comme tous ces gens-là - Commérages des oies sur le vautour" écrit Victor Hugo.

Lorsqu'il sentit venir sa fin prochaine, il demanda les derniers sacrements. L'archevêque de Paris - Monseigneur de Quelen - s'y opposa, il exigeait de Grégoire sa renonciation au serment de la Constitution Civile du clergé. Le vieil évêque refusa tout net. C'est alors qu'un Abbé Guillon, malgré les ordres de sa hiérarchie, accepta d'accéder sans condition aux désirs du mourant. L'autorité romaine ferma l'église à sa dépouille, mais rassemblés autour de La Fayette, deux mille personnes accompagnèrent le corps de l'évêque gallican au cimetière Montparnasse. Lors du récent transfert des cendres de Grégoire au Panthéon, le 12 décembre 1989, les ressentiments de Rome n'étaient pas éteints.


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