Il y a dans ce roman une atmosphère que l'on pourrait qualifier d'initiatique et d'évangélique tout à la fois. L'histoire, les personnages renvoient toujours à autre chose, au drame des Evangiles, au sens de la vie, à Dieu !
"Ainsi se débattait sous l'angoisse cette malheureuse âme. Dix-huit cents ans avant cet homme infortuné, l'être mystérieux, en qui se résument toutes les saintetés et toutes les souffrances de l'humanité, avait aussi lui, pendant que les oliviers frémissaient au vent farouche de l'infini, longtemps écarté de la main l'effrayant calice qui lui apparaissait ruisselant d'ombre et débordant de ténèbres dans les profondeurs pleines d'étoiles" (livre 7, chap.4).
Voici comment le génie littéraire d'Hugo dépeint la souffrance de Jean Valjean en lutte avec sa conscience pour venir à bout d'un cruel dilemme: continuer paisiblement sa nouvelle vie de maire à Montreuil sur Mer ou se dénoncer pour sauver Champmathieu. Nous allons tenter d'entrer dans ce récit avec l'esprit des Evangiles. Nous essayerons d'en faire ressortir l'âme, l'esprit, la lumière et la force.
Principal héros du roman d'Hugo "Jean Valjean est la fourmi que la loi sociale écrase", révèle une note de 1845, cependant qu'une autre de 1860 indique que "si l'auteur avait réussi à faire sortir de lui ce qui était en lui et à mettre dans ce livre ce qu'il avait dans sa pensée, Jean Valjean serait une espèce de Job du monde moderne, ayant pour fumier toute la quantité de mal contenu dans la société actuelle. Et ce Job aurait pour ulcères l'irréparable, l'irrévocable, les flétrissures infinies, la damnation sociale inscrite encore à l'heure dans la loi."
Aujourd'hui encore - soit 139 ans plus tard - ces lignes sont d'une redoutable actualité. La damnation sociale des temps modernes s'appelle chômage, elle fait naître son cortège de désolation et de misère.
Qui est Jean Valjean ? Il surgit au début du livre deuxième. Il a faim, il a manqué du strict nécessaire: "Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien" disons-nous dans le Notre Père. Jean Valjean est un homme en qui la Grâce a momentanément fait défaut. Il connaît la tentation, il vole un pain, il est sévèrement condamné à des années de bagne. Incroyable ? Hugo s'est appuyé sur des faits pour construire son personnage. L'original de Jean Valjean a existé, il s'appelait Pierre Maurin et fut condamné en 1801 à cinq années de bagne pour vol d'un pain, et ce pain il l'avait volé pour nourrir les sept enfants affamés de sa soeur... "Puis, tout en sanglotant, il élevait sa main droite et l'abaissait graduellement sept fois, et par ce geste on devinait que la chose quelconque qu'il avait faite, il l'avait faite pour vêtir et nourrir sept petits enfants" (Livre 2, chap. 6). Jean Valjean ne fera pas cinq ans mais dix-neuf ! ans de bagne, par le jeu infernal des différentes prolongations de peine pour tentatives d'évasion.
A sa libération l'homme est une sorte de vraie bête fauve. Son passeport jaune d'ancien forçat en fait un réprouvé à vie aux yeux de la société: "il vit bien vite ce que c'était qu'une liberté à laquelle on donne un passeport jaune" - "libération n'est pas délivrance. On sort du bagne, mais non de la condamnation" (livre 2, chap.9).
Mais la Providence se manifeste en la personne de Monseigneur Bienvenu qui opère une sorte de métanoïa dans l'âme du réprouvé, c'est à dire un retournement complet de l'être en direction de la lumière. C'est l'épisode fameux des chandeliers volés à l'évêque, chandeliers porteurs de lumière - tout un symbole - que l'homme de Dieu offre à Jean Valjean repris par les gendarmes, pour le sauver: "Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au mal, mais au bien. C'est votre âme que je vous achète; je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition et je la donne à Dieu" (livre 2, chap. 12).
Jean Valjean n'est pourtant pas totalement libéré, quelque chose le pousse à voler la pièce de quarante sous du petit savoyard, puis il s'effondre, terrassé par sa conscience, tel Saint Paul sur le chemin de Damas, prêt à "revêtir l'homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté véritable" (Eph 4,24).
"Ceci fut donc comme une vision. Il vit véritablement ce Jean Valjean, cette face sinistre, devant lui. Il fut presque au moment de se demander qui était cet homme, et il en eut horreur. Il se contempla donc, pour ainsi dire, face à face, et en même temps, à travers cette hallucination, il voyait dans une profondeur mystérieuse une sorte de lumière qu'il prit d'abord pour un flambeau. En regardant avec plus d'attention cette lumière qui apparaissait à sa conscience, il reconnut qu'elle avait la forme humaine, et que ce flambeau était l'évêque. Sa conscience considéra tour à tour ces deux hommes ainsi placés devant elle, l'évêque et Jean Valjean. Il n'avait pas fallu moins que le premier pour détremper le second par un de ces effets singuliers qui sont propres à ces sortes d'extases, à mesure que sa rêverie se prolongeait, l'évêque grandissait et resplendissait à ses yeux, Jean Valjean s'amoindrissait et s'effaçait. A un certain moment il ne fut plus qu'une ombre. Tout à coup il disparut. L'évêque seul était resté" (livre 2, chap. 13).
Après cette expérience de nature mystique Jean Valjean peut sauver à son tour Fantine et Cosette, la première dans l'éternité et la seconde ici-bas, s'oubliant dans une sorte d'apostolat idéal entièrement dédié au prochain.
Tout au long du roman nous le voyons plonger dans de sombres abîmes qui renvoient toujours à autre chose. Il en resurgit chaque fois ayant fait un pas de plus sur le chemin mystérieux de la rédemption: forçat traversant le feu pour devenir le père Madeleine (du nom de la pécheresse de l'Evangile sauvée par le Christ), maire de Montreuil sur Mer terrassé par l'idée de se livrer pour sauver Champmathieu, sombrant dans l'inconscience, à la lutte avec un songe, mais se réveillant raffermi, délivré du doute; plongeant dans la mer après avoir sauvé la vie d'un marin, se laissant volontairement couler puis réapparaissant à l'improviste dans le bois de Montfermeil, soulevant le seau bien trop lourd de la petite Cosette, la délivrant des Thénardier; plongeant dans un nouvel océan (la ville de Paris), vivant un temps caché dans la maison Gorbeau, puis retrouvé par Javert, s'enfuyant dans le dédale de la cité-labyrinthe, acculé dans une situation sans issue mais s'enfuyant par "en-haut", hissant avec lui Cosette et reprenant pied dans le jardin d'un couvent, c'est à dire au cur de la maison de Dieu ! Puis nouvelle plongée ; enterré vivant, perdant connaissance et sauvé au dernier moment, devenant ensuite M. Ultime Fauchelevent. Enfin, pourchassé une dernière fois derrière la barricade, s'échappant par "le bas", dans "l'intestin de Leviathan" (titre du chapitre - allusion au monstre biblique - Isaïe 27,1 - Ps. 104,24 - Job 3,8), portant Marius sur ses épaules tel Atlas soulevant le monde ou Jésus portant sa croix chargée de la misère humaine s'enfonçant plus bas encore, presque à perdre pied dans une fondrière, y rencontrant l'ignoble Thénardier (figure du diable), l'esquivant miraculeusement puis ressortant de l'égout pour tomber sur Javert, mais cette fois l'ébranlant, le convertissant, le forçant à lâcher prise.
Abandonné par tous après le mariage de Marius et Cosette, oublié par ces deux enfants dont il a permis, protégé et sauvé le bonheur, Jean Valjean s'enfonce dans un sombre et morne hiver, solitaire et glacé, buvant "la dernière gorgée du calice" (titre du livre septième dont le premier chapitre s'intitule: "le septième cercle et le huitième ciel"; traduisons par Marius au huitième ciel et Jean Valjean au septième cercle, de l'enfer).
L'auguste vieillard entre alors en agonie, mais le voici retrouvé au tout dernier moment par Marius et Cosette que les lumières de la Providence ont éclairé ; là il révèle enfin à Cosette son origine misérable et divine (à la fois fille de prostituée et enfant de l'amour): "Cosette, voici le moment de te dire le nom de ta mère. Elle s'appelait Fantine. Retiens ce nom là: Fantine. Mets-toi à genoux toutes les fois que tu le prononceras. Elle a bien souffert. Et t'a bien aimée. Elle a eu en malheur ce que tu as eu en bonheur. Ce sont les partages de Dieu. Il est là-haut, il nous voit tous, et il sait ce qu'il fait au milieu de ses grandes étoiles" (livre 9 - chap. 5). Ces confidences achevées l'esprit du vieillard peut s'en aller en paix. Hugo ajoute encore: "la nuit était sans étoiles et profondément obscure. Sans doute, dans l'ombre, quelque ange immense était debout, les ailes déployées, attendant l'âme."
Héros exceptionnel, personnage de mythe, Jean Valjean a revêtu cette "pleine stature du Christ à laquelle nous sommes tous appelés" (Eph. 4,13). Du reste - clin d'oeil d'Hugo - la nuit même où son héros va disparaître, lorsque Marius entrevoit enfin la vertu immense de celui à qui il doit la vie, il est encore écrit: "Marius était éperdu. Il commençait à entrevoir dans ce Jean Valjean on ne sait quelle haute et sombre figure. Une vertu inouïe lui apparaissait, suprême et douce, humble dans son immensité. Le forçat se transfigurait en Christ. Marius avait l'éblouissement de ce prodige. Il ne savait pas au juste ce qu'il voyait, mais c'était grand" (livre 9 - chap. 4).
Face à Jean Valjean Javert est aussi un personnage atypique. Né dans une prison d'une tireuse de carte dont le mari était aux galères il choisit de défendre la société, mais comme la société est injuste il sert le mal autant que le bien.
"Cet homme était composé de deux sentiments très simples et relativement très bons, mais qu'il faisait presque mauvais à force de les exagérer, le respect de l'autorité, la haine de la rébellion; et à ses yeux le vol, le meurtre, tous les crimes n'étaient que des formes de la rébellion. Il enveloppait tout dans une sorte de foi aveugle et profonde tout ce qui a une fonction dans l'état, depuis le premier ministre jusqu'au garde champêtre. Il couvrait de mépris, d'aversion et de dégoût tout ce qui avait franchi une fois le seuil légal du mal. Il était absolu et n'admettait pas d'exception. C'était le devoir implacable, la police comprise comme les spartiates comprenaient Sparte, un guet impitoyable, une honnêteté farouche, un mouchard marmoréen, Brutus dans Vidocq. Il n'avait aucun vice. Quand il était content de lui, il s'accordait une prise de tabac. Il tenait à l'humanité par là." (livre 5 - chap.4)
Javert semble invulnérable, apparaissant toujours en embuscade, comme doté du don d'ubiquité: "tu es l'empereur des diables" lui dit un complice de Thénardier. Lorsqu'il s'éveille enfin à des vérités plus généreuses il préfère se jeter dans la Seine, son esprit n'étant pas capable de gérer cette contradiction avec sa nature profonde.
Et voici Monseigneur Bienvenu Myriel, évêque de Digne, l'alpha et l'oméga des Misérables, présent tout au long du livre, sinon physiquement, du moins par cette vérité de justice et de charité qu'il a transmise à Jean Valjean. Il apparaît au début du roman (livre premier - un juste) et disparaît vers la fin du livre deuxième pour réapparaître - depuis la lumière de l'éternité - à travers l'agonie de Jean Valjean (avant-dernier chapitre du roman):
"- Voulez-vous un prêtre ? - J'en ai un, répondit Jean Valjean. Et du doigt, il sembla désigner un point au-dessus de sa tête où l'on eut dit qu'il voyait quelqu'un. Il est probable que l'évêque en effet assistait à cette agonie."
Fils d'un conseiller au parlement d'Aix, marié de bonne heure, la première partie de vie du futur évêque de Digne est réservée au monde et aux "galanteries". Puis vient la Révolution, les familles parlementaires décimées, chassées, traquées se dispersent. Charles Myriel émigre en Italie. Sa femme y meurt semble-t'il de la tuberculose. Ils n'ont point d'enfants. Lorsqu'il revient d'Italie il est prêtre: curé de Brignolles en 1804, il est déjà d'un certain âge.
Une petite affaire de sa cure l'amène à Paris où il croise par le plus grand des hasards l'empereur dans l'antichambre du bureau du cardinal Fesch: "Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter. L'empereur, le soir même, demanda au cardinal le nom de ce curé, et quelque temps après M. Myriel fut tout surpris d'apprendre qu'il était nommé évêque de Digne" (livre 1 - chap. 1).
M. Myriel devient alors Monseigneur Bienvenu... "J'aime ce nom là, disait-il, Bienvenu corrige Monseigneur." Arrivé à Digne il quitte le palais épiscopal pour loger à l'hôpital, maison étroite et basse avec un jardin qu'il aimera cultiver: "Tenez, monsieur le directeur de l'hôpital, je vais vous dire. Il y a évidemment une erreur. Vous êtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a une erreur, je vous dis. Vous avez mon logis, et j'ai le vôtre. rendez-moi ma maison. C'est ici chez vous. Le lendemain, les vingt-six malades étaient installés dans le palais de l'évêque, et l'évêque était à l'hôpital" (livre 1 - chap. 2). En tant qu'évêque M. Myriel reçoit de l'état (régime concordataire) un traitement de quinze mille francs par an, somme importante pour l'époque permettant de mener grand train de vie. Une fois pour toutes il détermine l'emploi de cette somme de la façon suivante: un dixième pour lui, le reste pour les oeuvres de l'Eglise, les pauvres et les prisonniers. "Je paye ma dîme" disait-il ! "Quant au casuel épiscopal, rachat de bans, dispenses, baptêmes, prédications, bénédictions d'églises ou de chapelles, mariages, etc., l'évêque le percevait sur les riches avec d'autant plus d'âpreté qu'il le donnait aux pauvres" - et Hugo ajoute - "les pauvres gens du pays avaient choisi, avec une sorte d'instinct affectueux, dans les noms et prénoms de l'évêque, celui qui leur présentait un sens, et ils ne l'appelaient que Monseigneur Bienvenu" (livre 1 - chap. 2).
On l'aura compris, la vie de l'évêque était celle d'un juste animé par l'idéal de miséricorde et de charité de l'Evangile. Une seule fois, "et pour la première fois de sa vie peut-être" - nous dit Hugo - il eut une attitude dure et tranchante. Au chapitre intitulé "l'évêque en présence d'une lumière inconnue", Mgr Bienvenu prend sur lui d'administrer les derniers sacrements à un vieillard solitaire banni par la société. La démarche lui est difficile; député à la Convention sous la Révolution française, le conventionnel G. (nom donné par Hugo - allusion possible à l'abbé Grégoire) inspire une sorte d'horreur au petit monde de Digne. L'évêque lui-même, issu l'on se souvient de la petite aristocratie d'Aix et victime de la Révolution partage malgré tout l'impression générale. Mais les devoirs du ministère l'emportent dans son coeur sur la force des préjugés, et voici Monseigneur Bienvenu au chevet du vieillard.
De l'extrême froideur il passe, par degrés successifs, à l'émotion extrême. La rencontre donne lieu à un extraordinaire dialogue où le vieillard, qui n'a pas voté la mort du roi mais qui a voté "la fin du tyran", qui a "secouru les opprimés", "soulagé les souffrants", "sauvé un couvent de religieuses", "soutenu la marche du genre humain vers la lumière", emporte, l'un après l'autre, tous les retranchements intérieurs de l'évêque. Comme touché par la grâce Monseigneur Bienvenu s'agenouille et demande sa bénédiction au vieillard plein de lumière, cette lumière qui rayonne toujours d'un homme de justice. Il rentre ensuite chez lui "profondément absorbé dans on ne sait quelles pensées" et passe la nuit "en prières". Hugo ajoute: "Personne ne pouvait dire que le passage de cet esprit devant le sien et le reflet de cette grande conscience sur la sienne ne fut pas pour quelque chose dans son approche de la perfection". Toujours est-il "qu'à partir de ce moment là, il redoubla de tendresse et de fraternité pour les petits et les souffrants", autrement dit il mit la charité et l'amour au-dessus de la foi et du dogme.
A sa sortie le roman d'Hugo soulève évidemment des tempêtes, le chapitre où l'évêque s'agenouille pour demander la bénédiction d'un "terroriste" y est bien sur pour quelque chose... A tel point que le livre sera mis à l'Index durant cent ans ! L'archevêque de Paris, Monseigneur de Ségur, scandalisé par Les Misérables qualifie l'ouvrage "d'infâme livre".
Ce à quoi Hugo répondit: "Il y a dans les Misérables
un évêque bon, sincère, humble, fraternel, qui a de l'esprit
en même temps que de la douceur, et qui mêle à sa bénédiction
toutes les vertus; c'est pourquoi Les Misérables sont un livre infâme.
"D'où
il faut conclure que Les Misérables seraient un livre admirable si l'évêque
était un homme d'imposture et de haine, un insulteur, un plat et grossier
écrivain, un idiot vénéneux, un vil scribe de la plus basse
espèce, un colporteur de calomnies de police, un menteur crossé et
mitré.
"Ce second évêque serait-il plus vrai que le
premier ? Cette question vous regarde, monsieur. Vous vous connaissez en évêques
mieux que moi" (Lettre du 17 décembre 1872).
Ajoutons enfin en forme de conclusion qu'il existe dans ce roman un côté initiatique, nous prenons le terme dans le sens où une vérité est révélée à quelqu'un qui la transmet à quelqu'un d'autre. Cette vérité de justice et de charité, cette influence spirituelle ("l'évêque en présence d'une lumière inconnue" - livre 1 - chap. 10) Monseigneur Bienvenu la reçoit du vieux conventionnel G., il la transmet à son tour à Jean Valjean qui passe le flambeau à d'autres: Fantine tout d'abord, sauvée de la prostitution comme la pécheresse de l'Evangile pour laquelle le Seigneur manifesta tendresse et indulgence; Javert ensuite (livre 4 - chap. 1 - "Javert déraillé"), et sans doute Marius et Cosette, à la fin du roman: "Approchez encore. Je meurs heureux. Donnez-moi vos chères têtes bien aimées, que je mette mes mains dessus."
Il est impossible, en plongeant dans l'univers de ce roman, d'ignorer les convictions spiritualistes de l'auteur. "La mort - écrit Victor Hugo, après que Jean Valjean ait fermé les yeux de Fantine - c'est l'entrée dans la grande lueur". Tel le Christ, Jean Valjean parvient à se faire entendre des morts: "Il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse. Que lui dit-il ? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé à cette femme qui était morte ? Qu'était-ce que ces paroles ? Personne sur la terre ne les a entendues. Ce qui est hors de doute, c'est que la Soeur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu'au moment où Jean Valjean parla à l'oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l'étonnement du tombeau."
En résumé et de deux traits encore pour définir cet extraordinaire roman:
"Plus qu'un grand livre Les Misérables sont un de ces objets spirituels puissants et lumineux qui finissent par se détacher du texte pour rayonner dans l'esprit et le coeur" (entête de la préface de Guy Rosa - édition du livre de poche).
"Tant qu'il existera, par le fait des lois et des moeurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d'une fatalité humaine la destinée qui est divine; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l'homme par le prolétariat, la déchéance de le femme par la faim, l'atrophie de l'enfant par la nuit, ne seront pas résolus; tant que, dans de certaines régions, l'asphyxie sociale sera possible; en d'autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles." (entête de la préface de Victor Hugo, Hauteville-House, 1er janvier 1862).