La Sauve Majeure : un monument d'une surprenante grandeur où d'anonymes sculpteurs ont sous la dictée de l'Esprit-Saint gravé dans la pierre les plus riches élans de la piété bénédictine.

Entre pèlerin jusqu'au porche à trois rouleaux, pénètre dans le narthex, vois dans le mur sud le puits où tant de périgrinants ont bu l'eau vive de l'hospitalité monacale : "tous les hôtes qui surviennent au monastère seront reçus comme le Christ".

Pénètre dans la nef, c'est un majestueux vaisseau en partance vers les horizons bleutés de la Jérusalem céleste ... Avance jusqu'au transept escorté par l'exquise courtoisie des fils de Saint Benoît qui, de siècle en siècle ont taillé pour toi cet enrichissant témoignage de prière et de beauté.

Ecarquille tes yeux ; voici la Bible romane : Daniel dans la fosse aux lions, le sacrifice d'Abraham, l'histoire de Jean le Baptiste... Ici c'est la parabole des gentils : Ulysse lié au mât résiste à l'appel des sirènes ; compte bien, il reste encore quatorze animaux fabuleux. Songe qu'il ne demeure encore qu'une bien faible partie de l'édifice tel qu'il est représenté sur la gravure "Monatiscon Gallicanum" en 1679. Pour rester fidèle au principes du gallicanisme et à l'esprit de Saint Gérard la congrégation de Saint Maur a perdu la faveur des Grands et le temps, les intempéries, la pioche et les démolisseurs ont taillé la part du diable dans le saint édifice.

Il reste encore assez pour que ton âme s'agenouille et communie à la grande voix du passé. Ecoute pèlerin l'orante psalmodie qui commença en 1080, écoute, sept fois par jour les moines chanter les louanges du Seigneur : laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies. Elève ton coeur jusqu'à l'être suprême, n'as-tu vraiment rien à lui dire, rien à lui demander ? Si tu as un malade demande sa guérison : "on prendra soin des malades avant tout et par-dessus tout, les soignant comme s'ils étaient le Christ en personne".

Dis avec nous "Amen". "La prière doit être brève et pure - dit la Règle - à moins que l'inspiration divine ne nous incite à la prolonger".

Maintenant pèlerin c'est l'instant où les moines donnaient au visiteur le baiser de paix. Jette encore un regard aux sculptures des chapiteaux : vois le gigantesque Samson sur les genoux de Dalila, vois Adam et Eve dans leur nudité première croquer la pomme à la grande joie du serpent, vois Eve bercer son fils tandis qu'Adam bêche le sol. Ici c'est la tentation de Jésus, là combattent des centaures ; plus étrange encore, voici un vieux thème de Chaldée : deux animaux fabuleux gardent l'Arbre de Vie.

Sors de l'abbaye ; les sculptures se poursuivent : un acrobate, des saltimbanques, tout ce que les moines ont pu relever de cocasse ou de curieux.

J'allais oublier un petit détail qui a son prix. En 1231 Grimoald, treizième abbé fit apposer dans l'abbaye 12 médaillons de pierre, chacun d'eux représente un apôtre, chacun des apôtres tient une Eglise à la main, chacun des apôtres foule aux pieds soit un dragon soit un pape. Peut-on mieux illustrer l'indépendance de chaque Eglise nationale ?

De ces douze médaillons il en reste aujourd'hui cinq : Jude qui convertit les Perses, foulant un dragon ; Mathieu à Nadaber ; Barthélemy aux Indes et foulant un pape ; Jacques le Majeur, foulant un pape ; André prêchant à Patras, foulant un pape.

Au siècle dernier il restait encore le médaillon de Pierre prêchant à Rome. Lui aussi foule aux pieds l'effigie du pouvoir pontifical contre lequel vont lutter dans les siècles suivants les célèbres théologiens bénédictins tels que Dom Gabriel Gerberon et Dom Clémencet qui écrivit "l'Histoire Générale de Port-Royal".

Et puis viens maintenant te plonger dans la prière au cœur de l'oraison bénédictine. Par l'Esprit, les moines bénédictins te reçoivent avec les mêmes mots qu'il y a plusieurs siècles :
Aimer le prochain comme soi-même
Honorer tous les hommes
Ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit.
Soulager les pauvres
Vêtir ceux qui sont nus
Visiter les malades
Ensevelir les morts
Secourir ceux qui sont dans la tribulation
Consoler les affligés
Ne faire injure à personne
Aimer ses ennemis
Vénérer les anciens
Aimer les plus jeunes
Par amour du Christ, prier pour ses ennemis et pour qui est en discorde avec nous…

Voilà les outils de l'art spirituel.


Texte écrit pour le journal Le Gallican de juillet 1983 par Mgr Patrick Truchemotte - de bienheureuse mémoire - vibrant hommage à la beauté d'un haut-lieu spirituel cher au peuple d'Aquitaine.


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