Choix de pensées à méditer du Père Hyacinthe Loyson - Tirées du livre « Le Père Hyacinthe, prêtre solitaire, 1893-1912 » - Tome troisième, 430 pages – écrit et publié en 1924 par son biographe - Albert Houtin.

Le premier tome recouvre la période du Père Hyacinthe dans l'Eglise romaine 1827-1869
Le deuxième tome présente le Père Hyacinthe comme Réformateur catholique, 1869-1893. C'est la période où il fonde une Eglise Gallicane à Paris.
Dans la troisième période de sa vie, après s'être démis de ses fonctions parisiennes de recteur gallican, le Père Hyacinthe s'ouvre vers l'Universel. C'est ce que je vous propose de découvrir, amis lecteurs, en parcourant ces lignes et en mémoire du centenaire de la disparition du grand homme.

Ouverture et indépendance d'esprit, liberté, grandeur d'âme, noblesse de coeur, élans mystiques, le Père Hyacinthe est une sorte de « météore spirituel » qui ouvre de nouvelles portes, loin de l'étroitesse d'esprit et du conformisme spirituel d'une époque où il ne faisait pas bon « sortir du rang ».

En lisant certains extraits de son journal, dont la célèbre phrase (en bleu ci-dessous) qui figure sur le monument funéraire au cimetière du Père-Lachaise à Paris, comment ne pas faire le lien avec cette déclaration si surprenante du célèbre Père Teilhard de Chardin : « Toutes les religions se rejoignent au sommet de la pyramide de Dieu ».

Mais pour ces âmes, Teilhard ou Loyson, ce n'est pas du syncrétisme, c'est autre chose...

Au sommet, ils voient ce Dieu personnel et vivant qui est une des singularités du christianisme.

Mgr Thierry


Mon âme habite des régions si hautes, que je peux me sentir à la fois catholique et protestant, juif et même musulman. Ces diverses formes religieuses sont diversement belles, aucune n'est absolument vraie : sous leurs noms différents, je retrouve uniquement, la foi en un Dieu personnel et vivant. Journal personnel du 4 septembre 1902 – texte figurant sur le monument funéraire au cimetière du Père-Lachaise à Paris

Agir comme s'il n'y avait au monde que sa conscience et Dieu – devise du Père Hyacinthe, figure également sur le monument funéraire au cimetière du Père-Lachaise à Paris

Le Père Hyacinthe, prêtre de Saint Sulpice, puis carme déchaussé, occupe la chaire de Notre-Dame de 1864 à 1869. Le 20 septembre 1869, il proteste contre l'infaillibilité pontificale, quitte l'Eglise, puis, le 3 septembre 1872, se marie. Pendant vingt ans, il prêche la réforme catholique et l'union des Eglises (1873-1893) ; puis pendant vint ans encore, il s'élève au-dessus de toutes les Eglises et achève sa vie en libre-croyant monothéiste - texte figurant également sur le monument funéraire au cimetière du Père-Lachaise à Paris

Qu'est-ce que je me propose ? Servir à Dieu d'instrument, - pauvre instrument, hélas ! - pour introduire un esprit nouveau dans l'Eglise catholique, qui est la mienne, celle de la France et d'une partie si considérable de la Chrétienté. Pour cela il ne faut à aucun prix, cesser d'être catholique, même en apparence. Les catholiques ne distinguent pas l'Eglise catholique de l'Eglise romaine, et peut-être Dieu les réunirat- il toutes les deux dans la grande rénovation qui se prépare et qui se réalisera, dans la mesure de ce qui est actuellement possible, le Royaume céleste sur la terre : Ecclesia venturi saecului. Amen. Pour cela, il ne faut pas sortir de mon ministère solitaire, monastique et prophétique ; et si des âmes se groupent autour de moi, ce doit être pour former une Fraternité, dans le genre de celle qui entoura d'abord François d'Assise ou plutôt Jésus lui-même. Je ne dois pas me préoccuper d'organisation ecclésiastique ou de dépendance épiscopale, pas plus du côté des Vieux-catholiques que de celui des Catholiques-romains. - Journal personnel du 2 décembre 1893

Je veux mourir comme j'ai vécu, depuis le 20 septembre 1869, dans la résistance de ma conscience et de tout mon être moral au gouvernement de l'Eglise romaine, que je croix illégitime et désastreux. - Testament du 29 juin 1909

L'Eglise à laquelle je veux appartenir jusqu'à mon dernier soupir et au delà, au-dessus de toutes les formes particulières et périssables, c'est l'Eglise vraiment catholique de Dieu, et de son fils Jésus, laquelle est la société universelle de tous les hommes et de tous les Mondes. Testament du 29 juin 1909

Soyons des chrétiens de l'Islam et des musulmans de l'Evangile. - 12 mars 1895, en Algérie

Chrétien par la tradition de mes pères et plus encore par mes convictions personnelles, je suis malgré cela, ou plutôt à cause de cela même, plein d'estime et de dévouement pour l'Islam et pour les musulmans. Le véritable christianisme n'est point sectaire, il élargit et élève l'esprit et le coeur, au lieu de les abaisser et de les rétrécir. J'aime donc, comme chrétien, l'Islam et les musulmans. - lettre au directeur du Moayad, journal du Caire, 9 mars 1896

La science sans la religion, c'est l'athéisme ; la religion sans la science, c'est le fanatisme ou la superstition. Tous ces fléaux se valent. - lettre au directeur du Moayad, journal du Caire, 9 mars 1896

Il y a des émotions qui ne s'expriment pas - Journal personnel du 17 mars 1896, lors de son entrée à Jérusalem

Quelle folie de vouloir convertir les différentes Eglises chrétiennes sur la base de l'une des Orthodoxies existantes ! Ce serait substituer des erreurs à d'autres erreurs, mêler des superstitions à d'autres superstitions ! - Journal personnel du 17 mars 1896, lors de son entrée à Jérusalem

Je ne veux, ni ne puis être catholique ou protestant, comme on l'est aujourd'hui : je dois rester chrétien. C'est à Jérusalem que je suis venu chercher la consécration définitive de cette nécessaire et difficile Mission. A Jérusalem, auprès du tombeau du Sauveur ; à Bethléem, auprès de son berceau ; au Jourdain, où commença l'économie chrétienne. - Journal personnel du 21 avril 1896, à Jérusalem

Le christianisme historique n'est qu'une forme de la religion absolue. L'Eglise n'est qu'une branche poussée tardivement sur cet arbre majestueux du monothéisme, qui date d'Abraham, « le père des croyants », ou qui plutôt, comme l'atteste la Bible, a ses racines en Adam, c'est à dire dans les origines mêmes de l'humanité pensante. Les plus anciens monuments de l'Orient, ceux de l'Egypte en particulier, nous montrent également la foi du Dieu unique en dehors du peuple de la Bible, et bien antérieurement à lui. - Codicille à son testament, 28 juin 1896

Ne pas avancer, c'est reculer. La loi du progrès s'impose partout, même en religion, et là surtout. - Codicille à son testament, 28 juin 1896

Personnellement, je demeure chrétien. Je pense que le christianisme vaut infiniment mieux que son état actuel et que son histoire passée. Tel qu'il a été annoncé par tous les prophètes et enseigné par Jésus-Christ lui-même, il ne tient en rien de la nature des sectes : il est une vérité divine qui, dès à présent, embrasse l'humanité entière. Je lui ai consacré ma vie, et mon âme est à lui sans retour. - Codicille à son testament, 28 juin 1896

Il faudrait donner au culte divin un caractère plus spiritualiste et plus monothéiste en subordonnant le culte d'ailleurs légitime de la sainte Vierge et des saints, et celui même de la sainte Humanité de Jésus-Christ, à l'adoration du Père en esprit et vérité, laquelle est tout ce qu'il y a de plus essentiel au Christianisme et de plus pratiquement méconnu. Au lieu d'être matérialisé par des pratiques extérieures, l'Evangile devrait pénétrer la vie morale et sociale tout entière et cela sous une forme appropriée aux besoins nouveaux de la société contemporaine - 29 avril 1897

L'obéissance aveugle à une autorité extérieure dans l'abdication de la raison et de la conscience, est le vice radical du militarisme comme du cléricalisme. C'est pourquoi le prêtre et le soldat qui subissent longtemps et sans réagir cette éducation néfaste, ne sont plus des hommes comme les autres hommes. On a bien tort de confondre la foi aveugle avec la foi intelligente et généreuse qui élève l'âme vraiment chrétienne dans la vérité et dans la liberté. - lettre à son fils Paul, 8 septembre 1899

Ce qu'il y a de capital dans une Eglise, ce qui doit déterminer le jugement pratique à porter sur elle, ce n'est pas tel ou tel dogme isolé, telle ou telle institution, c'est la forme que l'enseignement de cette Eglise donne aux intelligences et aux consciences qui le subissent. A ce point de vue, l'attitude imbécile et odieuse des catholiques dans l'affaire Dreyfus a été, pour ceux qui réfléchissent, une démonstration concluante contre l'Eglise Catholique. Cette affaire a fait plus, pour m'éclairer, que l'affaire du Concile de 1870. Est-ce donc là ce que le Christ pouvait vouloir en disant : « Enseignez toutes les nations, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit » ? Ce n'est plus là une question de théologie ou d'exégèse, entre l'Eglise et moi ; c'est une question de conscience et d'honneur. - Journal personnel du 8 avril 1903

Le génie de la France, malgré les apparences, n'est pas celui de la guerre, personnifié dans Napoléon, mais passé maintenant de l'autre côté du Rhin ; ni celui du commerce et de la banque qui règne depuis longtemps de l'autre côté de la Manche ; ni celui de l'Inquisition qui a précipité l'Espagne, ni celui de la Rome ultramontaine, à laquelle nous avons toujours opposé nos libertés gallicanes, comme on peut le voir dans nos anciens docteurs Gerson et Bossuet, qu'il convient de lire dans leur propre texte, et non dans leurs récents commentateurs ; ni celui de Voltaire qui a fait contre cette Rome une oeuvre nécessaire, mais qui l'a mal faite, incomplète et excessive à la fois. Le génie de la France, c'est celui du christianisme, de l'Evangile, du spiritualisme religieux, scientifique, progressif ; c'est celui de la République pacifique, laborieuse, fraternelle, amie sincère en même temps que rivale hardie de toutes les nations, les précédant au besoin, comme la colonne de lumière qui guidait Israël, au sortir de servitude d'Egypte, dans sa marche triomphale vers la Terre Promise ! - Conférence du 21 mars 1900 à Nice

L'union officielle des Eglises chrétiennes est une utopie : le but pratique à poursuivre est leur rapprochement fraternel. Et c'est ce qui se fait tous les jours. Peut-être même la variété et l'autonomie des Eglises est-elle un bien ? - Journal personnel du 10 août 1900

Le monde est beaucoup moins simple que ce que je m'imaginais, et il faut pour le comprendre, autre chose que de la logique a priori. La prudence et la résignation sont aussi nécessaires que la vaillance pour agir. Le monde est un profond mystère, et la vie un art souverainement difficile. - Journal personnel du 10 août 1900

Nous n'avons pu nous fixer à Jérusalem, mais notre coeur y est demeuré dans l'ombre du Saint-Sépulcre, qui nous rappelle le sacrifice de Jésus ; et dans l'antique Synagogue, qu'il a peut-être visitée ; et surtout dans cette mosquée d'Omar, héritière du Temple de Salomon, dont vous avez dit si bien (son épouse) : « C'est ici le centre du Monde : tant que la foi au Dieu unique sera affirmée dans ce temple, le monde ne sera point ébranlé ! » Et maintenant, qu'importe le nuage noir, qui la veille au soir de notre départ de Jérusalem, s'étendait comme un crêpe funèbre entre nous et le Mont des Oliviers ! Je me souviens seulement du météore très lumineux qui éclata au-dessus, et du cri de l'âme qu'il vous arracha (son épouse) : « Nous nions les miracles, et ils nous enveloppent ! » - Lettre à sa femme du 19 juin 1906 – il signe : Hyacinthe Loyson, prêtre du Dieu Très-Haut.

Je me tourne de plus en plus vers l'Eglise de l'avenir, qui unira les hommes au lieu de les diviser, qui les élèvera au lieu de les abaisser. Elle se dessine déjà dans sa grandeur et dans sa beauté au sein des déformations des Eglises présentes. C'est celle que je vais servir en France. - Journal personnel du 5 août 1900

Ma religion est une, mais elle se présente souvent à moi sous cinq aspects différents : le Monothéisme, le Christianisme, le Catholicisme (de Saint Germain, à Genève), la Religion d'Emilie (sa femme), la religion de l'Inconnu. De ces divers aspects, les deux derniers sont les plus hauts et les plus vivants ; de cette grande Religion, je suis en même temps le fidèle et le prêtre. Emilie en est la prêtresse céleste. Amen. - Journal personnel du 23 décembre 1910

Je reste chrétien, comme elle et avec elle : grande chrétienne en même temps que pure monothéiste, et fidèle ardente de la Religion de l'Inconnu. - Journal Personnel du 14 mai 1911

Albert Houtin, biographe du Père Hyacinthe écrit, page 211 : « le Père n'a point expliqué ce qu'il entendait par la « Religion de l'Inconnu », le cinquième et dernier aspect de sa religion. C'était sans doute la catégorie dans laquelle il jetait toutes ses aspirations vers des formes religieuses parfaites et définitives. Ces aspirations forment l'unité de sa vie. » Il ajoute, page 212 : « Peut-être les citations suivantes jettent-elles quelque lumière sur cette mystérieuse « religion de l'Inconnu » : La paix sera la loi de l'avenir, si l'avenir est à la raison et à la justice. Elle sera une partie essentielle de sa religion, si l'avenir a encore une religion ! - Journal personnel du 20 février 1911

Les Israélites ne prononçaient pas le nom de Dieu. Le nom de Dieu implique sa définition, laquelle est impossible. On connaît Dieu par l'intuition, on l'affirme par l'adoration. Le Dieu imaginé par l'homme, s'il n'est pas un symbole, est une idole. Si l'on poussait tout cela trop loin, la plus haute religion consisterait à n'en avoir aucune. L'Eternel a dit qu'il habiterait dans un nuage et ses vrais serviteurs l'adorent dans la nuit. - Journal personnel du 13 juin 1911

Le monde de la contemplation et de l'extase religieuse est le monde de l'éternité. Le monde de l'athéisme pratique est celui du présent. Entre les deux la véritable vie monastique. - Journal personnel du 29 juin 1911

La plus haute religion est celle qui adore sans parler de Dieu ni à Dieu. - Journal personnel du 29 décembre 1911

Albert Houtin ajoute en commentaire, page 213 : « L'adoration resta la principale forme de la religion du Père Hyacinthe. »

Le Père Hyacinthe Loyson est mort le 9 février 1912. Le dernier jour qu'il écrivit sur son journal fut le 29 janvier 1912, déjà alité et affaibli par la maladie . Voici intégralement ce qu'il nota ce soir-là :

Madame de Saint Germain, venue à Paris exprès pour me voir, m'a fait sa première visite.
La Bible et l'Histoire elle-même nous montrent Dieu se communiquant quelquefois aux hommes par des songes. Mon intelligente et religieuse femme était du nombre de ces privilégiés. Peu de temps avant sa mort, dans la nuit du 10 au 11 septembre 1909, je me souviens de la date que je notai, elle vit le pape Pie X venir à elle dans son sommeil.
A Abd-El-Hakim, venu me voir sur mon lit : « Nous sommes croyants, vous et moi. Au nom de Celui que vous nommez Allah et que moi je nomme Jéhovah, l'Eternel, Celui qui Est, - et qui, sous des noms divers, est le Dieu de tous les hommes, - mettez votre main sur ma tête et bénissez-moi ! » J'avais les larmes aux yeux et lui, ému, a mis sa main sur ma tête.

Cette présence amie, musulmane, qui vient bénir le Père Hyacinthe avant sa mort, qu'il sentait prochaine, évoque, à mes yeux, le chapitre 10 du premier livre du roman des Misérables de Victor Hugo, là où Monseigneur Bienvenu demande la bénédiction du vieux républicain conventionnel G. (mis au ban de la société religieuse catholique et bien pensante) qui va mourir (chapitre intitulé : "l'évêque en présence d'une lumière inconnue"). J'ai toujours été bouleversé par ce chapitre du génie Hugolien. On peut faire – me semble-t-il – un parallèle entre le conventionnel G. et Abd-El-Hakim. Ils n'appartiennent pas au clergé catholique, ni même chrétien, pourtant ils bénissent chacun un évêque pour l'un et un prêtre pour l'autre. Dans la bouche du conventionnel G. (dont le personnage serait - selon plusieurs commentateurs - une allusion au célèbre abbé Grégoire, dont les cendres reposent aujourd'hui au Panthéon), Victor Hugo place ces mots : "L'infini est. Il est là. Si l'infini n'avait pas de moi, le moi serait sa borne; il ne serait pas infini; en d'autres termes, il ne serait pas. Or il est. Donc il a un moi. Ce moi de l'infini, c'est Dieu." Victor Hugo - Les Misérables - Livre premier, chapitre 10 : "l'évêque en présence d'une lumière inconnue"

Le mysticisme de Victor Hugo rejoint pour moi, quelque part, celui du Père Hyacinthe.

Mgr Thierry Teyssot


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