"Ce qui étonnait les étrangers
c'est qu'au lieu le plus apparent
un maître âne étalait ses longues oreilles".

En effet - Perrault fait bien de nous le faire remarquer dans un clignement d'oeil aux initiés - pour un étranger, un profane, un non averti des choses du symbolisme, des secrets profonds des mystères antiques la question se pose: que vient donc faire un âne en tant de contes et récits ?

Et que fait, ici, cet âne en ce conte précis... dans le lieu le plus apparent ?

Enfin - posez-vous la question - que vient faire ici le mot: maître ?

Essayons de bien nous pénétrer du symbolisme de l'âne.


Le plus ancien crucifix que les archéologues ont su nous signaler est un graffiti bien curieux puisqu'il représente une tête d'âne surmontant une croix avec l'inscription: "Alexandre adore son Dieu". La place de l'âne dans la symbolique des premiers chrétiens fut toujours un sujet d'incompréhension pour leurs adversaires et les écrivain du paganisme accusent souvent les baptisés d'adorer une tête d'âne ou un dieu-âne.

Historiquement l'âne et l'anesse tiennent une grande place dans la vie des prophètes de l'ancien testament et des sages de l'antiquité. Les ânesses perdues de Samuel, l'ânesse de Balaam, monture de Zoroastre et tant d'autres. Quant à Jésus, il naît entre l'âne et le boeuf et il monte au jour de son triomphe des rameaux sur une ânesse et un ânon. c'est aussi sur une ânesse - la monture d'Isis - que Marie et l'enfant furent menés par Joseph en Egypte.

René Guénon a fait remarquer que c'est l'âne vaincu, dominé, monté qui est mis en valeur par la symbolique. C'est vrai mais il faut d'autre part souligner que comme pour le serpent, le symbole est toujours double.

Peut-être serait-il bon avant de relire Peau d'Ane de feuilleter cet autre texte: l'Ane d'or ou les Métamorphoses, roman d'Apulée, ce philosophe latin d'origine africaine qui écrivait au deuxième siècle. Il y est raconté les transformations d'un certain Lucius depuis la chambre parfumée d'une prostituée de grand luxe jusqu'à l'athmosphère spirituelle d'un temple où le jeune homme se met en contemplation devant la statue de la déesse Isis. Une suite de métamorphoses accompagne l'évolution intérieure de Lucius. Celui-ci va plus loin que l'héroïne du conte de Perrault, il ne se revêt pas de la peau d'âne, il se transforme totalement en ce quadrupède et ce n'est que par l'intervention bénéfique d'Isis qu'il retrouve sa forme première.


Mais revenons au conte de Perrault et au Roi propriétaire de cet âne (traduisons de cette si importante source de Sagesse, de Conseil, d'Initiation); ce Roi était nous dit le conteur "le plus grand et le plus aimé des monarques". Qui pourrait être désigné ainsi si ce n'est Dieu, oui, l'Eternel Dieu Très Haut.

Mais alors, si nous avons bien reconnu Dieu en ce roi, comment ne pas reconnaître en sa première épouse l'Humanité des temps anciens. Alors nous pouvons traduire ainsi le sens de Peau d'Ane.

L'Humanité nouvelle tente d'atteindre son plein épanouissement, chacun des appelés à cet état que certains appellent état de Rose-Croix et que l'Apôtre Paul désignait par: "la pleine stature du Christ", chacun de ces appelés doit "revêtir robe après robe", c'est à dire passer d'un enseignement à un autre jusqu'à ce qu'il soit enfin digne de revêtir la Peau d'Ane de l'Initiation absolue.

Encore faudra-t-il pour cela que le Roi consente à l'ultime sacrifice... Preuve d'amour au premier abord incohérente.

Robe couleur du temps, puis robe couleur de lune et enfin robe couleur du soleil: traduisez par corps physique, corps éthérique et corps astral.

- Voici l'Homme !

Non ! pas tout à fait. Il lui faut encore cette dernière vêture offerte par le plus grand des sacrifices.

Que l'âne soit un signe christique, c'est assez évident pour qui jette son regard depuis Bethléem où l'animal sacré est présent à la crèche, jusqu'à Jérusalem où Jésus triomphateur est monté sur lui comme l'avait prédit le prophète Zacharie (9,9): "Dites à la fille de Sion: Voici ton roi vient à toi débonnaire, monté sur une ânesse et sur un ânon, le petit d'une ânesse."

Vous nous direz, peut-être, que voici une bien étrange façon de s'exprimer.

Que veut bien nous faire entendre le prophète Zacharie en nous présentant cet Oint monté à la fois sur un ânon et sur une ânesse ?

Peut-on chevaucher deux montures en même temps ?

Non ! Sauf si par monture on entend une forme d'initiation.

Nous avons déjà expliqué que le cheval symbolisait la connaissance, l'âne a une mission spéciale; l'âne c'est la révélation, et l'âne et l'ânesse c'est la révélation de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Le Christ a monté les deux.

Et le chrétien continue ce double chevauchement sans lequel la Bible ne serait pas complète. Au temps où Jésus entrait dans Jérusalem l'âne n'était encore qu'un ânon, depuis il a grandi par l'ajout des épîtres et du livre de l'Apocalypse.

La peau d'âne c'est la doctrine du Christ ramassée après la Crucifixion.

Car l'âne mourut; le roi le fit sacrifier par amour pour l'infante.

- "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils Unique Jésus-Christ" (Jean 3,16).

L'infante du conte est en larme après cette mort. Le chemin de croix nous peint ces larmes des filles de Jérusalem.

Mais c'est alors que la Fée des Lilas intervient:

- "Que faites-vous là, ma fille, voici le moment le plus heureux de votre vie."

Entendons-nous bien, ce moment est un moment heureux dans la vision prophétique des choses. Pour l'instant l'infante devra continuer de fuir et de se cacher, et souffrir durant bien longtemps... Ce moment n'est donc un moment heureux que dans l'attente, l'espérance, la confiance en la promesse.

Pour que nous n'en doutions pas, Perrault ne fait pas faire cette annonce par n'importe qu'elle fée. C'est la Fée des Lilas qui intervient.

Et nous savons - nous l'avons appris dans la formation à l'Ordre mineur de portier - que le lilas c'est le violet de la liturgie, la mauve lumière de la préparation, le vêtemnt que revêt le prêtre les jours de Carême et d'Avent. La Fée des Lilas c'est donc en langage symbolique la fée des temps de pénitence; il n'est jusqu'à la cendre dont le visage de l'infante va être recouvert qui ne nous illustre l'une des cérémonies pénitentielles de l'Eglise:

- "Souviens-toi, ô être humain, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière".

Sur ce scénario empli de lueurs mauves suivons l'infante dans toutes les péripéties de sa fuite... N'est-ce pas ici le cheminement de l'homme ou de la femme qui a choisi la doctrine christique. Le monde ne peut comprendre un tel être, il ne voit plus que cette peau d'âne qu'il méprise. Il ne sait que railler ce qu'il ne peut comprendre ou bien encore se mettre en colère contre lui.

Pourtant l'initié chrétien sait que l'essentiel de lui-même est hors d'atteinte, enterré dans les profondeurs de son être:

- "Votre cassette suivra vos pas sous terre" dit la Fée.

Et l'infante sait se réserver des moments de solitude pour faire ressurgir sa cassette et revêtir ses ornements spirituels... Les fêtes et les dimanches, nous précise Perrault.

Vie contemplative, liturgique, sacramentelle que le conte nous fait entrevoir avec un merveilleux talent.

L'infante (c'est à dire l'Eglise) se mire, puis se baigne dans une eau limpide... Puis après cet examen de conscience et ce baptême, elle revêt la robe couleur de soleil.

C'est alors que le fils du roi la voit à travers une serrure.

Nous ne répéterons pas ce que nous avons déjà écrit sur le symbole des clefs et l'Ordre mineur de portier dans le sacerdoce... mais les expressions de Perrault: "il entra dans une sombre allée"... "il sortit avec peine de cette petite allée sombre et obscure" illustrent bien les difficultés de l'introspection.

Remarquez que pour le fils du roi - d'où il est (monde astral) - puisse voir l'infante, il faut que son corps de lumière (corps astral, c.a.d. semblable à la lumière des astres) soit suffisament devenu lumineux. C'est au cours de cette illumination intérieure que l'infante devient visible, parce que son aura transparaît, comme celle de Jésus-Christ lors de la transfiguration.

Mais le fils du roi exprime ses désirs:

- "Que Peau d'âne me fasse un gâteau !"

Le seul moyen de retrouver sa bien aimée passe par un aliment. Mais en lisant le conte certains pourraient penser qu'il s'agit d'une coïncidence et ne pas faire la relation entre la mesure de farine du gâteau de Peau d'âne et celle de l'Eucharistie. C'est pourquoi Perrault va bien prendre soin de faire glisser dans cette pâte un anneau. Que symbolise ce cercle d'or: l'éternité.

Maintenant cette pâte n'est plus une pâte ordinaire, elle est porteuse d'un signe: celui de la Nouvelle Alliance, Mystère de Foi.

Sur le cercle d'or pur de la bague - le conteur initié ne saurait manquer une telle précision - sur le cercle d'or, il y a une émeraude.

La Légende dorée de l'école mystique nous contait au moyen-âge que cette pierre figurait jadis sur la couronne de Lucifer comme insiqgne de sa qualité de porte lumière. Vint la grande révolte où Lucifer fut vaincu, renversé et, tandis qu'il basculait dans l'abîme sous le choc de la lance de Saint Michel, l'émeraude qu'il portait encore sur sa couronne d'archange se détacha de son front et roula sur terre.

Un jour un artisan trouva cette émeraude gigantesque, il la tailla en forme de vase, de calice.

Puis ce fut dans ce vase d'émeraude que Jésus célébra la Cène.

Plus tard Joseph d'Arimathie, le fidèle qui mit Jésus au sépulcre, se rendit acquéreur de ce très précieux vase: le Saint Grââl dont il fit une relique pour l'Eglise.

Ce serait trop alourdir ces commentaires que de vous redire le cycle du Grââl, si célèbre dans la chevalerie. Qu'il vous suffise de constater que le gâteau de Peau d'âne c'est l'hostie, et le cercle d'or tombé de son doigt c'est le calice, cercle d'or de l'éternité.

Pour qui voudrait employer pour déchiffrer ce récit les lames majeures des "Clavicules de Salomon" qu'il note:
phe - nombre 17 - la nature - c'est la robe couleur du temps.
tsade - nombre 18 - la lune - c'est la robe couleur de lune.
coph - nombre 19 - le soleil - c'est la robe couleur de soleil.

Eliphas Lévi dit aussi:
phe - la nature immortelle - azur.
tsade - distribution hiérarchique de la lumière, l'occultisme, le dogme, l'ésotérisme.
coph - la vraie lumière, l'or philosophique, la cité sainte.

Après quoi il n'y a plus qu'une lame à tirer:
resch - la peau d'âne.

Eliphas Lévi nous indique:
resch - lettre du nombre vingt - hiéroglyphe: l'ange du tombeau - la reconnaissance de tout ou le grand arcane de la vie éternelle.

La forme même de la lettre resch évoque un revêtement qui peut symboliser hiéroglyphiquement la peau d'âne.

Les historiens qui se penchent sur les temps mérovingiens, puis sur le moyen-âge s'étonnent d'une fête étrange, d'une insolite liturgie qui se célébrait dans les cathédrales et les églises et dont semble s'être perdu l'usage et le sens: c'était la fête de l'âne.

Que faisait au "lieu le plus apparent", devant l'autel même où se célébrait la savante et profonde liturgie gallicane, ce maître âne qui étalait ses longues oreilles... ? C'est ce que savait encore Perrault en 1694, mais que peu d'entre nous sont capables de réaliser aujourd'hui.


En tout cas, nous savons au moins comment était célébrée la messe pontificale de messire l'âne puisqu'un évêque gallican nous en a laissé le rituel: il s'agit de Monseigneur Pierre de Corbeil, archevêque de Sens (1194 à 1212).

Ce devait être une chose bien curieuse de voir voir pénétrer dans la cathédrale de Bordeaux ou dans celle de Sens, dans celle de Rouen ou dans celle d'Autun et dans bien d'autres encore un âne somptueusement revêtu d'une chape d'or, et de voir les coins de cette chape soutenus pompeusement par les quatre chanoines les plus importants du Chapitre.

Et l'âne ne restait pas à l'entrée, on le conduisait - avec les marques du plus grand respect - jusqu'au choeur du sanctuaire, du côté où était le siège épiscopal et la liturgie avait cet introït:

- "Orientis partibus, adventavit asinus, pulcher et fortissimus
Saltu vincit hinnulos, damos et capricolos".

Ce qu'à peu près nous pouvons traduire:

- " Il nous est venu de l'orient un âne plein de puissance et de grâce
cet âne a devancé à la course les faons, les daims, les chevreuils".

Notons bien que l'âne "est venu de l'orient".

Quand vient le jour de l'Ascencion, l'Eglise à la Communion chante le Seigneur qui: "monte à l'orient, au plus haut des cieux".

Quel est donc cet âne ? Quel mage symbolise-t-il qui battit à la course les trois rois-mages traditionnels symbolisés par le daim, le faon et le chevreuil ?

Nous savons qu'il est beau et fort.

Dans la cathédrale le peuple des fidèles ne se pose pas tant de questions, il chante à plein poumons:

- "Hez, sire âsne, car chantez,
Belle bouche rechignez,
Du foin vous aurez assez
Et de l'avouène à plenté".

A "plenté" c'est à dire "en suffisance", "en grande quantité", "en plénitude"... Et non à "planter" comme l'écrivent certains auteurs ignorant ce mot de vieux français.

- Hi han ! Hi han ! répondaient les fidèles au cours de cette étrange cérémonie où d'un bout à l'autre ce braiement remplaçait le classique Amen.

- "Ce qui étonnait les étrangers
C'est qu'au lieu le plus apparent
Un Maître âne........."

Ce Maître âne, bien avant que Perrault ne le glisse dans son conte, des Maîtres sculpteurs l'avaient ciselé dans la pierre tenant l'évangéliaire, comme dans la cathédrale de Strasbourg, ou jouant de la musique comme dans la cathédrale de Nantes; en chasuble ou en manteau de choeur, avec une mitre, avec une crosse, avec un rouleau, avec un livre, avec une flûte, avec une vièle, avec une trompette... Ce Maître âne est partout au lieu le plus apparent.

Etonnez-vous, étrangers au symbolisme, le bon Perrault rit dans sa barbe. Il a réussi à sauver le message asinaire en l'enveloppant dans un conte pour bambins. La Compagnie des Invisibles, la Secte des Dévots n'y ont vu que du feu et la police a laissé publier et diffuser l'histoire...

- "Sans craindre donc qu'on me condamne
De mal employer mon loisir
Je vais pour contenter votre juste désir
Vous conter tout au long l'histoire de Peau d'âne.

Nous y prenons un plaisir extrême, cher Monsieur Perrault

La Belle au Bois Dormant


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