Ecoutez-moi !

J'étais Prieur au Monastère de Marcoussi, appartenant à l'Ordre de Saint Céleste. L'Ordre, vous vous en souvenez, avait recueilli en ses maisons de nombreux frères de l'obédience Templière après la condamnation de Sire Jacques de Molay et de ses compagnons.

Notre Ordre Célestin était - entre autres - le gardien et l'animateur du célèbre sanctuaire de Verdelais fondé par le Chevalier qui ramena la statue de Jérusalem au retour des croisades.

De ma momie vous avez pu constater qu'il ne reste pas grand chose. Vos chercheurs modernes, s'ils s'en donnaient la peine, identifieraient au mieux une ou deux onces de ma robe de bure collée à mes os.

Mais le peu qui reste de moi n'enlève rien à l'importance de mon témoignage.

Oyez plutôt:

C'est moi qui fut présent à la première entrevue entre notre sire le roi Louis, onzième du nom et Arthus de la noble Mesnie de Montauban.

Je les revois encore tous deux comme si c'était d'hier: lui, en vêture de religieux de notre Ordre où il s'était réfugié après l'assassinat de Messire de Chantoce et le Roi, la tête engoncée dans un chaperon de grise-laine que recouvrait son vieux chapeau à larges bords tout couvert de médailles saintes en cuivre et en plomb. Louis portait ce jour là sa robe de pèlerin taillée dans un bien méchant drap et il semblait à le voir cent fois plus chafouin que ne le disait sa réputation.

Cela faisait un long moment que le roi avait fait venir notre frère Arthus et qu'il s'était mis à lui parler de son passé. Comment le Goupil s'était-il informé ainsi des moindres détails de la vie de soldat d'Arthus, je ne sais, mais vous devez deviner que cela ne devait avoir rien de très édifiant. Chacun sait bien que viols, pillages, débauches, incendies, rapines et tortures sont le commun des gens d'armes.

J'écoutais parler le roi et je me disait à part moi qu'il vaut bien mieux être dame souris entre les pattes de messire chat qu'un pauvre moine en présence de Louis Le Matois.

"Oui - disait Louis - nous savons tout de ta vie dissolue et criminelle avant que tu fusses moine, Arthus, et nous savons aussi que sans cet asile des Célestins tu risquais fort de payer de ta vie le meurtre de ce pauvre Gilles, étouffé par toi et tes complices entre deux matelas; nous savons bien d'autre choses aussi peu honorables. Te souviens-tu du Cherlier?"

Le Roi garda un long silence... Depuis un moment déjà Arthus s'était jeté à genoux. J'eus l'impression qu'il tremblait.

Mais nous savons aussi que tu fus preux et loyal envers le duc François.

Là je dressais bien encore plus l'oreille. Après ce torrent de reproches que venait faire ce soudain compliment ?

- "Oui nous savons ta fidélité et ta hardiesse et nous avons aujourd'hui un fier besoin d'un sujet rempli de bravoure et de droiture... Pouvons-nous compter sur toi ?"

Je revois encore, à la lueur du flambeau de cire, le visage anxieux et perplexe tourné vers le Roi.

"Me faudra-t-il donc redevenir homme de guerre?"

"Que nenni, Compagnon, que nenni. Nous allons te faire Evêque de notre bonne ville de Bordeaux."

Nous avons été deux à sursauter et si Arthus n'avait parlé, je crois bien que c'est moi qui aurait posé la question à sa place.

Mais..... Mais, Messire, nul n'ignore qu'il y a déjà un évêque à la vénérable cathèdre de Saint André. Et quel évêque ! L'estimable Blaise de Grelle qui fut installé de son vivant par notre Saint Pey Berland."

Vraiment rien n'était exagéré dans ce que venait de dire le frère Arthus. L'incomparable modèle de Charité qu'était le très Saint Pierre Berland, Pey en langue de Bordeaux, l'évêque modèle avait donné sa très grande confiance à Messire Blaise et pour éviter toute contestation l'avait sacré de son vivant et fait Evêque de Bordeaux.

Louis cependant répondait de sa voix doucereuse:
"Certes, frère Arthus, mais croyez-en notre avis le Siège de Saint André sera très, très bientôt vacant."

Kyrie Eleison. Comme nous avions eu le même sursaut Arthus et moi, nous eûmes alors le même frisson glacé. Christe Eleison. Une chouette se mit à lancer les notes blêmes de son cri dans la nuit angoissée.

Historiens vous pourrez peut-être compléter ce récit. Vers quelles oubliettes du temps glissa la silhouette de Blaise ? Nul d'entre-nous ne l'a jamais su et peu d'entre-nous le surent à l'époque.

Revenons à mon récit. Après cette phrase inquiétante, le Roi Louis fit asseoir Arthus à la table pesante de bois de chêne et commença tout un étalement de parchemins et de plans.

Il fut question de choses terrifiantes et magiques, de secrets qui remontaient à la nuit des temps, de forces de ténèbres liées pour des ans et des siècles, de souverains, de charniers, de chemins qui descendaient dans les entrailles du sol bordelais et qui faisaient penser à ceux que gardaient le Minotaure.

On entendait sans cesse revenir le nom de Frairie San Miqueu, l'on parla aussi d'une tour qui devait avoir six pans à sa base pour y inscrire un sceau de Salomon. Il fut aussi question de trois passages secrets. Puis le roi sortit de sa sacoche de toile bise d'autres écrits que l'on eût dit tracés par quelque diable tant les signes étaient étranges. Le Roi parla d'Egypte, de rituel funéraire, de momies, de pharaons, de livre des Morts et voila soudain qu'il fut question de choses si lourdes et si pleines d'horreur que je sentis couler en moi entre mes doigts tremblants et j'en fis couler les grains pour me rassurer... Mais la patenôtre fuyait de mon cerveau, la chouette criait toujours et son chevèchement miaulant semblait emplir mon esprit d'un brouillard d'angoisse.

Viens le temps où il faudrait tout dire.

Mais que pouvais-je comprendre, moi pauvre moine de Saint Célestin axé sur l'exemple de simplicité de notre fondateur...?

Tout ce que l'humilité de ma mémoire a gardé c'est le nombre clef de septante et puis aussi un dessin de blason qui me surprit fort: c'était comme une sorte de serpent dont la gueule très largement ouverte contenait tout le bas du corps d'un enfant; le haut du corps était seul visible et dressait ses petits bras vers le ciel.

Je ne vois vraiment rien d'autre à ajouter.

Commentaire du Groupe de Contrôle Historique


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