C'est avec respect que j'écris cette étude.

Respect pour les soixante-dix corps que j'ai contemplé dès mon enfance quand, tout jeune écolier, je suivais, cartable à la main, mon vieil et érudit professeur de la Maîtrise de Notre Dame dans l'énigmatique souterrain de la Fléche.

Typographe, mon ami, avez-vous bien mis un accent aigu à la Fléche pour ne pas trahir l'accent du quartier Saint Michel ? Merci beaucoup.

Respect pour ceux qui mirent là ces momies et voulurent qu'elles soient au nombre de Soixante-Dix.

Respect pour la Tradition Populaire qui tissa autour d'elles un rideau dans la trame duquel s'entremêlent les filaments de l'Histoire et ceux de la Légende: enlacement inséparable de ce qui fut vécu et de ce qui fut rêvé. Regardons ce si subtil enchevêtrement du froment et de l'ivraie et pensons que comme dans la parabole y toucher serait oeuvre irresponsable.

Ecarquillés, face à ce Musée Grévin où la chair racornie remplaçait la cire, mes yeux de douze ou treize ans enregistraient le surréalisme des tons et des formes et faisient glisser jusqu'à mon subconscient chaque détail de la macabre assemblée. Avec mes petits copains de l'époque je n'étais pas peu fier d'avoir trouvé ce surnom d'Académie des Septantes pour désigner les si sérieuses momies. Nous avions entendu notre professeur nous expliquer ce que c'était qu'une académie, cette "super-école" pour parler comme Montaigne où les cerveaux bien construits pouvaient au contact de nos Maîtres se polir encore par le savoir et l'étude. A moi de vous dire maintenant quels éducateurs, quels guides de la pensée furent pour nous ces témoins de l'empire du silence:


V.I.T.R.I.O.L.

Visite l'Intérieur de la Terre, Rectifie, Inventorie l'Oeuvre Léguée.


En visitant l'antique cave, nous ne savions pas quels pas illustres y avaient retentis avant les nôtres... Mais nous visitions après eux et nous trouvions là l'impalpable mais réel égrégore de leur passage, il nous imprégnait et faisait chavirer jusqu'au noyau le plus intime de notre personnalité l'essentiel d'un message dont je me sens responsable auprès de vous lecteurs et lectrices.

Voila pourquoi ces pages ont failli être sérieuses.

Elles ont manqué de peu emprunter au ton docte pour dire l'antériorité des momies, pour soutenir que ceux qui les avaient placé là n'étaient pas assez bêtes pour les avoir mis là sans raison.

Rien qu'en pensant à l'étude que j'ai risqué écrire et publier je baille... Je baille... Et je frémis retrospectivement en pensant combien vous auriez baillé.

Alors j'ai décidé de laisser s'exprimer librement les momies et mon étude a manqué alors tomber de Charybde en Scylla et n'être pas sérieuse du tout.

En effet je ne sais si vous l'avez déja constaté dès qu'une momie se met à bavarder, Elle en dit trop.

Comment éviter qu'elle ne se laisse emporter par la vantardise ou par l'esprit partisan ? Influencer par les croyances de son temps ? Ou même, la majorité des Septantes étant gasconne, emporter par l'esprit de galéjade ?


Pour parer à ce danger j'ai fait appel à un petit groupe d'amis, de vrais spécialistes de l'hitoire locale et ensemble nous avons établi un solide comité de contrôle dont les commentaires ont pour but de rectifier les balivernes de telle ou telle momie ou parfois au contraire de faire un étai à ses dires par une citation ou par un document.


Ceci dit, il y a plusieurs façon de lire ces pages:

1) La façon crédule qui est la plus reposante... Le lecteur croit vraiment que j'ai hérité du mirobolant secret qui permit à la voyante d'En Dor dont parle le Bible de faire monter du sol à la demande du roi Saül l'ombre de Samuel: "Je vois un spectre qui s'élèvre de la terre, c'est un vieillard qui vient des profondeurs du schéol, il est drapé dans un long manteau" (1 Samuel 28,14).

Après beaucoup d'autres j'avais ce secret et je m'en suis servi. Rassemblés dans le camp des crédules vous aurez comme argument que je n'ai pu tout inventer et qu'il a bien fallu que me parlent ces témoins de naguère et de jadis.


2) Une autre façon de lire ces récits est celle qui prend pour guide la farouche incrédulité. Esprits forts je vous entends déja: Fariboles ! Nous ne croirons jamais au père Noël, à la poupée qui tousse, et encore moins à la momie qui parle.

Doctes négateurs je ne me laisserai pas aller à l'outrecuidance de vous rétorquer que la très belle houpelande du bon papa Noël cache la très historique silhouette de Saint Nicolas, illustre Evêque d'Almyre, ni que les fabricants moderne font des poupées aptes à bien d'autres choses que de tousser et enfin que si vous n'avez jamais ouï parler d'une momie c'est tout bêtement - à mon humble avis - qu'elle ne vous jugeait pas vraiment un interlocuteur valablement digne de lui accorder audience.

Non je ne vous dirai rien de tout cela. Je vais vous dire au contraire de prendre ces cahiers avec méfiance et d'en chercher les erreurs et d'en bien souligner les anachronismes. Ainsi vous aurez bien du plaisir à mettre l'auteur dans la confusion. Je vous quémande toutefois la clémence que l'on doit à celui qui vous a diverti.


3) Arrive enfin une troisième manière de lire cette oeuvre. Qualifions-là d'intuitive. Elle ne croit pas que les Momies de Saint Michel ont parlé de façon formelle et que j'ai fait une sténographie de greffier de tribunal, elle ne croit pas non plus que l'Académie des Septantes ait été muette... Elle croit qu'un message sensible au coeur m'est parvenu d'outre-tombe et m'a poussé à interpréter d'une certaine façon des feuillets jaunis par les siècles et grignottés voracement par les rats de l'oubli.

Ainsi j'aurais été un tantinet missionné, peut-être guidé par quelque rêve et j'aurais écrit presque mais pas tout à fait en état de transes.


4,5,6,7,8,9, etc. Il existe encore bien d'autres modes et façons de me lire. Les uns chercheront le fil conducteur, le message qui est codé dans ces pages... J'en sais d'autres qui prétendent que ce livre contient des formules initiatiques. Les autres y verront un plaidoyer pour la restauration des visites du cénacle momifié, un appel vibrant à la sauvegarde de ce qui fut pour nos pères une tradition.

D'autres encore n'envisageront que l'aspect récréatif de ces pages et - je le souhaite - y trouveront matière à se détendre et à sourire.

A tous: candides, méfiants, intuitifs, symbolistes, humoristes, très sceptiques, compréhensifs etc. Je tiens à dire merci de leur attention.


Un très savant ami à qui j'avais montré l'ébauche manuscrite de ces feuillets m'a dit qu'il ne voyait qu'un moyen d'en tirer la très substantifique moëlle; les lire en crédule une première fois, puis tout de suite après les relire en incrédule, ensuite en refaire une troisième lecture en historien, puis une quatrième en humoriste.

Il en aurait même fait une cinquième en initié pour en tirer la quinte essence.

Mais c'était un ami et les amis ont toutes les patiences.

Au lecteur ou à la Lectrice qui me connaîssent peu ou mal, je n'en demande pas tant.

Je m'assied avec au fond du caveau, tout à côté de la Vierge sculptée pour laquelle j'ai grande dévotion, et - avec eux - j'écoûte...

Les momies de Saint-Michel vont enfin parler ...

Le Récit de la Momie du Prieur


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