Durant les trois années de sa prédication et dans l’accomplissement de sa mission divine, Jésus fut souvent amené à se déplacer. Pour cela il n’était pas seul. L’histoire a bien entendu retenu les noms des douze apôtres, mais il existe d’autres personnes qui l’ont soutenu et aidé de nombreuses façons.

Si le Sauveur avait ses détracteurs, ses adversaires qui guettaient ses moindres faits et gestes pour le piéger, il pouvait également compter sur de nombreux soutiens. Les Evangiles ont retenu le nom de certains d’entre eux. Nous allons nous y arrêter quelques instants. Sans cette aide providentielle, le Christ n’aurait pu mener à bien sa mission.

Un cortège joyeux

C’est peut-être la première chose à relever, parce que là où paraît le Christ, la vie triomphe, comme un soleil resplendissant. Les témoins de ses paroles et de ses actes devaient être portés par un enthousiasme indescriptible. Coutumiers de l’extraordinaire, les partisans du Sauveur ne pouvaient former qu’un cortège joyeux. Le sillage de miracles accompagnant la prédication de Jésus ne devait laisser personne indifférent.

Ainsi quand le Christ ressuscite le fils de la veuve, aux portes de la ville de Naïm, Luc précise qu’une foule nombreuse faisait route avec lui. Devant la puissance et la singularité du miracle "ils glorifiaient Dieu" - souligne l’évangéliste - ajoutant : "Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité son peuple." (Luc 7,16)

Plus loin dans le même Evangile, nous trouvons ces précisions : "Jésus allait de ville en ville et de village en village, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les douze étaient avec lui et quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies: Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Kouza, intendant d’Hérode, Suzanne, et plusieurs autres, qui l’assistaient de leurs biens." (Luc 8,1-3)

Reconnaissance féminine

De cet extrait de l’Evangile de Luc nous pouvons d’abord retenir que l’entourage féminin de Jésus était formé de personnes ayant bénéficié directement des charismes de guérison et d’exorcisme du Sauveur. En reconnaissance des bienfaits reçus, elles avaient ensuite décidé de le soutenir généreusement. Elles n’avaient pas oublié.

Au pied de la croix, ce sont elles que l’on retrouve (Marc 15,40-41). Peu de traces des hommes qui ont pris la fuite, hormis l’apôtre Jean et le centurion romain qui commande l’exécution. Et actuellement encore, dans les églises chrétiennes, ce sont les femmes qui sont les plus présentes aux offices.

Si, durant le ministère public de Jésus, la reconnaissance féminine s’exprime par une aide matérielle, il faut bien comprendre qu’elle a son importance. Avant le début de sa mission divine le fils de Joseph et Marie exerce le métier de charpentier. Il gagne sa vie et soutient sa famille. Il est en effet question de ses frères et soeurs dans l’Evangile, et lors des noces de Cana Marie est seule. Selon la tradition Joseph n’est plus. Le Sauveur a donc, en tant qu’aîné, charge de famille. Mais à partir du moment où Jésus commence son ministère itinérant de prédication avec les miracles la situation n’est plus la même, pour lui principalement. On objectera que les frères et soeurs de Jésus devaient certainement travailler; Marie aussi, comme toutes les femmes de cette époque : travaux des champs ou de couture, etc. Le travail commence tôt en ce temps là, rien à voir avec nos sociétés occidentales du XXIème siècle. Vers quatorze ans les femmes sont souvent mères et les garçons travaillent, même plus tôt parfois ! A l’âge de trente ans et compte-tenu de l’espérance de vie de l’époque Jésus avait déjà beaucoup vécu, et beaucoup travaillé. Le soutien matériel apporté à sa mission d’évangélisation est sans doute différent de ce que l’on pourrait imaginer aujourd’hui. Il est avant tout communautaire. Le Sauveur et les Apôtres faisaient bourse commune, avec les dangers que cela pouvait représenter. L’Evangile de Jean souligne que Judas tenait la bourse et dérobait, étant voleur, ce qu’on y mettait (Jean 12,6). Les apôtres aussi avaient charge de famille et devaient laisser provisoirement leur métier pour suivre Jésus dans ses tournées d’évangélisation. Il faut donc une "logistique" pour que cette communauté en mouvement puisse vivre.

Certes il y eut l’épisode de la multiplication des pains et des poissons pour la foule (Jean 6,1-15), mais le propre d’un miracle est de rester une exception ! Il est peu probable d’imaginer le Fils de Dieu s’affranchir en permanence des lois de la nature, cela ne colle ni à la réalité de la vie des hommes ni au mystère de l’Incarnation. On peut objecter que Jésus paye la redevance au temple en invitant Pierre à pêcher un poisson (Mathieu 17,24-27)... L’apôtre lui ouvre la bouche et trouve le statère permettant d’acquitter la taxe : moyen original de payer l’impôt ! Mais l’épisode du figuier desséché (Mathieu 21,18-22) qui ne porte pas de fruit montre que le Sauveur ne fait pas surgir en permanence du néant tout ce dont il a besoin. Le but recherché du miracle est d’être un signe destiné à rendre service au prochain. La compassion en est l’âme. Parfois un but pédagogique est poursuivi, comme dans l’épisode du figuier desséché, pour montrer l’importance de la foi qui soulève les montagnes. Le Christ ne fait pas du sensationnel pour produire du merveilleux, ce serait pour lui tomber dans les filets du prince de ce monde. Lors de la tentation des quarante jours au désert (Mathieu 4,1-11) il ne cède pas au piège de l’orgueil : pas de "démonstration" de pouvoirs. Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit, enseigne le proverbe. Simplicité et humilité sont des qualités essentielles à la personne du Fils de Dieu.

Le soutien féminin apporté à Jésus peut parfois prendre une tournure bouleversante : "Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie, où était Lazare, qu’il avait ressuscité des morts. Là, on lui fit un souper; Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui se trouvaient à table avec lui. Marie, ayant pris une livre d’un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux; et la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Un de ses disciples, Judas Iscariote, fils de Simon, celui qui devait le livrer, dit: Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? Il disait cela, non qu’il se mît en peine des pauvres, mais parce qu’il était voleur, et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait. Mais Jésus dit: Laisse-la garder ce parfum pour le jour de ma sépulture. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours." (Jean 12,1-8)

Trois cents deniers, c’est une somme considérable en ce temps là ! A comparer avec le prix de la trahison de Juda : trente deniers versés par les princes des prêtres à l’apôtre félon, prix correspondant à la vente d’un esclave... C’est le prix moyen d’une vache actuellement, soit plus ou moins mille cinq cent euros. Donc un parfum de trois cents deniers c’est un produit correspondant à une somme de quinze mille euros aujourd’hui. Le geste de Marie-Madeleine n’en est que plus surprenant. Il indique aussi des moyens financiers importants pour l’époque.

D’après un manuscrit de Raban-Maur, évêque de Mayence au VIIIème siècle, (et selon ce document conservé par l’Université d’Oxford et découvert en 1842 par l’Abbé Faillon), Marie-Madeleine, sa soeur Marthe et son frère Lazarre "possédaient un riche patrimoine : beaucoup d’argent, beaucoup d’esclaves, la plus grande partie de Jérusalem, et trois domaines hors de cette ville : Béthanie dans la Judée, Magdalon en Galilée, sur la gauche de la mer de Génézareth, et un autre Béthanie au-delà du Jourdain, dans ce lieu de la Galilée où Jean donnait le baptême." Lazare reçut sa part d’héritage à Jérusalem, Marthe fut à Béthanie en Judée et Marie eut les biens de Galilée à Magdalon. Toujours d’après Raban Maur, Marthe, sage et active, administrait la fortune de son frère et de sa sœur. Elle exerçait de bon cœur l’hospitalité et distribuait aux pauvres d’abondantes aumônes. Lazare menait la vie des riches seigneurs de son temps. Tous deux résidaient à Béthanie, en Judée. Marie aurait vu le jour la même année que Jésus. Plus tard, vivant dans le luxe et les plaisirs, elle serait devenue un objet de scandale pour tous. Le nom de "pécheresse de Magdalon" l’accompagnait. Jésus qui, comme l’enseigne l’Evangile "n’est pas venu appeler des justes, mais des pécheurs" et "chercher et sauver ce qui était perdu", lui apporta le salut. L’Evangile de Luc rapporte cette rencontre, baignée de tendresse et de générosité (Luc 7,37-50).

La pécheresse de Magadalon (dite de Magdala dans les Evangiles), allait devenir Sainte Marie Magdelaine (ou Madeleine) selon les traductions. Et Marc, en évoquant la résurrection du Christ indique que "Jésus étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine, apparut d’abord à Marie de Magdala, de laquelle il avait chassé sept démons." (Marc 16,9).

Parmi ces femmes qui avaient été sauvées par Jésus se trouvait celle qui avait été guérie de son infirmité à l’instant même où, perçant la foule, elle était parvenue à toucher la frange du manteau du Christ. Elle se nommait Marthe, comme la sœur aînée de Marie Magdelaine, et habitait à Césarée, en Syrie. (Annales eccl. Baronius An. 31). Pour perpétuer la mémoire de ce miracle accompli en sa faveur, elle fit faire et placer devant sa maison un monument décrit ainsi dans la vie de Sainte Magdelaine par Raban Maur :

- "On voyait sur un piédestal une figure d’airain en relief, représentant cette même femme à genoux, les mains étendues, comme suppliante ; devant elle une statue d’airain qui a l’extérieur d’un homme vêtu d’une robe traînante, drapée avec art, et qui tend la main à la femme."

L’historien Eusèbe de Césarée mentionne ces statues dans un écrit adressé à l’Empereur Constantin. Sozomène, historien du Vème siècle, qui vivait en Palestine, écrit qu’elles existèrent jusqu’à l’Empereur Julien l’Apostat, qui les fit détruire. D’autres auteurs, grecs et latin citent ces faits : Ruffin, Léon l’Isaurien, Théophane de Céramée.

Les Soixante-Douze

Il est impossible d’évoquer l’entourage et les soutiens du Christ sans faire mention des soixante-douze disciples. A distinguer des douze apôtres, ils sont envoyés en mission deux par deux dans les villes et villages où Jésus devait se rendre, tels des éclaireurs. Leur mission est de préparer la venue du Fils de Dieu. C’est l’évangéliste Luc qui rapporte cet épisode dans le dixième chapitre de son Evangile. Selon la tradition il aurait fait partie des soixante-douze. D’autres noms sont parvenus jusqu’à nous : Saint Trophime à Arles et Saint Maximin, près de la Sainte Baume, auraient appartenu à ce corps missionnaire des Soixante-Douze. D’après la légende des églises provençales, ils auraient débarqué aux Saintes Maries de la mer en compagnie de Lazare, Marthe et Marie-Madeleine, quelques temps après l’Ascension de Jésus.

En Palestine, au temps du Christ, la mission des soixante-douze est très particulière : "Il leur dit : La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. Allez; voici, je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni souliers, et ne saluez personne en chemin. Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison ! Et s’il se trouve là un enfant de paix, votre paix reposera sur lui; sinon, elle reviendra à vous. Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu’on vous donnera; car l’ouvrier mérite son salaire. N’allez pas de maison en maison. Dans toute ville ou vous entrerez, et où l’on vous recevra, mangez ce qui vous sera présenté, guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur: Le royaume de Dieu s’est approché de vous." (Luc 10,2-9)

De cet extrait de l’Evangile de Luc il y a beaucoup à apprendre. Peut-être en premier l’urgence de la mission apostolique. Un travail est à accomplir, il faut des "ouvriers" pour cette moisson qualifiée de "grande" par le Sauveur. Jésus sait que son temps est compté, limité sur cette terre, il n’y a pas de temps à perdre. Les envoyés doivent également faire preuve de prudence, ce ne sera pas facile.

"Dans quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison !" Voilà une précision bien utile, les disciples du Christ ont d’abord vocation à être des artisans de paix. Ce rayonnement doit être palpable, bienfaisant, manifeste. Il est appelé à être goûté et partagé par tous. Il est source d’équilibre et de force.

Cette qualité a pour mission de s’étendre, les Soixante-Douze n’ont pas vocation à passer de maison en maison tels des colporteurs prosélytes. Non, il semble que l’on vient à eux. Ils sont porteurs de charismes, ils en ont été revêtus par le Christ. D’abord témoins de la formidable paix des cieux, ils ont vocation à apaiser, panser les plaies morales des blessés de la vie. La mission sacerdotale du prêtre est comme préfigurée, annoncée, tracée par le Christ lui-même sous la plume de Luc. Savoir écouter, ne pas juger, accueillir, réconforter, accompagner spirituellement celui ou celle qui se présente, ce sont des thèmes essentiels qui sont partie intégrante de l’âme des Eglises chrétiennes, aujourd’hui encore.

Dans cet esprit l’ouvrier du Christ doit témoigner de ce que Jésus appelle le "royaume des cieux" : une présence, une aura, une écoute, une énergie sans doute, mais aussi un enseignement qui reprend les principaux points de la doctrine du Christ. Des charismes spéciaux de guérison sont attestés par le Seigneur, ils ont valeur de signe pour ceux qui viennent. Les Soixante-Douze sont les envoyés du Sauveur.

Il n’est pas fait mention d’un régime alimentaire particulier: "Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce qu’on vous donnera." On se souvient déjà que Jésus dans son enseignement déclarait purs tous les aliments : "ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur; mais ce qui sort de la bouche, c’est ce qui souille l’homme." (Mathieu 15,11) Il est également prévu un défraiement : "car l’ouvrier mérite son salaire."

Notons encore qu’à la mission des soixante-douze ne se rattache pas le pouvoir de lier et de délier. Jésus le confèrera ultérieurement au Douze apôtres (Jean 20,22-23). On peut associer la mission des Soixante-Douze à l’ordre mineur des exorcistes dans l’Eglise : "Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi; et rien ne pourra vous nuire." (Luc 10,19)

L’importance de cet ordre mineur est grande, mais soulignons bien qu’aujourd’hui encore ne s’y rattache pas le pouvoir de lier et de délier, partie intégrante de l’épiscopat et de son prolongement majeur qu’est la prêtrise. Une grande sagesse doit présider à l’exercice de ce ministère bien particulier. Les Evangiles nous rappellent l’exigence de la prudence et de la simplicité (Mathieu 10,16); ils nous révèlent encore que l’envoyé du Christ ne doit pas axer sa pensée sur les résultats obtenus mais sur le fait que son nom est : "inscrit dans les Cieux" (Luc 10,20).

Des Soixante-Douze disciples aux Douze apôtres, en passant par Simon de Cyrène aidant Jésus à porter sa croix aux Saintes Femmes reconnaisantes, le Christ ne pouvait réussir seul sa mission ! Nous avons besoin de Dieu, mais Dieu a aussi besoin de nous...


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