Si le Sauveur avait ses détracteurs, ses adversaires qui guettaient ses moindres faits et gestes pour le piéger, il pouvait également compter sur de nombreux soutiens. Les Evangiles ont retenu le nom de certains dentre eux. Nous allons nous y arrêter quelques instants. Sans cette aide providentielle, le Christ naurait pu mener à bien sa mission.
Cest peut-être la première chose à relever, parce que là où paraît le Christ, la vie triomphe, comme un soleil resplendissant. Les témoins de ses paroles et de ses actes devaient être portés par un enthousiasme indescriptible. Coutumiers de lextraordinaire, les partisans du Sauveur ne pouvaient former quun cortège joyeux. Le sillage de miracles accompagnant la prédication de Jésus ne devait laisser personne indifférent.
Ainsi quand le Christ ressuscite le fils de la veuve, aux portes de la ville de Naïm, Luc précise quune foule nombreuse faisait route avec lui. Devant la puissance et la singularité du miracle "ils glorifiaient Dieu" - souligne lévangéliste - ajoutant : "Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité son peuple." (Luc 7,16)
Plus loin dans le même Evangile, nous trouvons ces précisions : "Jésus allait de ville en ville et de village en village, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les douze étaient avec lui et quelques femmes qui avaient été guéries desprits malins et de maladies: Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Kouza, intendant dHérode, Suzanne, et plusieurs autres, qui lassistaient de leurs biens." (Luc 8,1-3)
De cet extrait de lEvangile de Luc nous pouvons dabord retenir que lentourage féminin de Jésus était formé de personnes ayant bénéficié directement des charismes de guérison et dexorcisme du Sauveur. En reconnaissance des bienfaits reçus, elles avaient ensuite décidé de le soutenir généreusement. Elles navaient pas oublié.
Au pied de la croix, ce sont elles que lon retrouve (Marc 15,40-41). Peu de traces des hommes qui ont pris la fuite, hormis lapôtre Jean et le centurion romain qui commande lexécution. Et actuellement encore, dans les églises chrétiennes, ce sont les femmes qui sont les plus présentes aux offices.
Si, durant le ministère public de Jésus, la reconnaissance féminine sexprime par une aide matérielle, il faut bien comprendre quelle a son importance. Avant le début de sa mission divine le fils de Joseph et Marie exerce le métier de charpentier. Il gagne sa vie et soutient sa famille. Il est en effet question de ses frères et soeurs dans lEvangile, et lors des noces de Cana Marie est seule. Selon la tradition Joseph nest plus. Le Sauveur a donc, en tant quaîné, charge de famille. Mais à partir du moment où Jésus commence son ministère itinérant de prédication avec les miracles la situation nest plus la même, pour lui principalement. On objectera que les frères et soeurs de Jésus devaient certainement travailler; Marie aussi, comme toutes les femmes de cette époque : travaux des champs ou de couture, etc. Le travail commence tôt en ce temps là, rien à voir avec nos sociétés occidentales du XXIème siècle. Vers quatorze ans les femmes sont souvent mères et les garçons travaillent, même plus tôt parfois ! A lâge de trente ans et compte-tenu de lespérance de vie de lépoque Jésus avait déjà beaucoup vécu, et beaucoup travaillé. Le soutien matériel apporté à sa mission dévangélisation est sans doute différent de ce que lon pourrait imaginer aujourdhui. Il est avant tout communautaire. Le Sauveur et les Apôtres faisaient bourse commune, avec les dangers que cela pouvait représenter. LEvangile de Jean souligne que Judas tenait la bourse et dérobait, étant voleur, ce quon y mettait (Jean 12,6). Les apôtres aussi avaient charge de famille et devaient laisser provisoirement leur métier pour suivre Jésus dans ses tournées dévangélisation. Il faut donc une "logistique" pour que cette communauté en mouvement puisse vivre.
Certes il y eut lépisode de la multiplication des pains et des poissons pour la foule (Jean 6,1-15), mais le propre dun miracle est de rester une exception ! Il est peu probable dimaginer le Fils de Dieu saffranchir en permanence des lois de la nature, cela ne colle ni à la réalité de la vie des hommes ni au mystère de lIncarnation. On peut objecter que Jésus paye la redevance au temple en invitant Pierre à pêcher un poisson (Mathieu 17,24-27)... Lapôtre lui ouvre la bouche et trouve le statère permettant dacquitter la taxe : moyen original de payer limpôt ! Mais lépisode du figuier desséché (Mathieu 21,18-22) qui ne porte pas de fruit montre que le Sauveur ne fait pas surgir en permanence du néant tout ce dont il a besoin. Le but recherché du miracle est dêtre un signe destiné à rendre service au prochain. La compassion en est lâme. Parfois un but pédagogique est poursuivi, comme dans lépisode du figuier desséché, pour montrer limportance de la foi qui soulève les montagnes. Le Christ ne fait pas du sensationnel pour produire du merveilleux, ce serait pour lui tomber dans les filets du prince de ce monde. Lors de la tentation des quarante jours au désert (Mathieu 4,1-11) il ne cède pas au piège de lorgueil : pas de "démonstration" de pouvoirs. Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit, enseigne le proverbe. Simplicité et humilité sont des qualités essentielles à la personne du Fils de Dieu.
Le soutien féminin apporté à Jésus peut parfois prendre une tournure bouleversante : "Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie, où était Lazare, quil avait ressuscité des morts. Là, on lui fit un souper; Marthe servait, et Lazare était un de ceux qui se trouvaient à table avec lui. Marie, ayant pris une livre dun parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux; et la maison fut remplie de lodeur du parfum. Un de ses disciples, Judas Iscariote, fils de Simon, celui qui devait le livrer, dit: Pourquoi na-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? Il disait cela, non quil se mît en peine des pauvres, mais parce quil était voleur, et que, tenant la bourse, il prenait ce quon y mettait. Mais Jésus dit: Laisse-la garder ce parfum pour le jour de ma sépulture. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous; mais moi, vous ne maurez pas toujours." (Jean 12,1-8)
Trois cents deniers, cest une somme considérable en ce temps là ! A comparer avec le prix de la trahison de Juda : trente deniers versés par les princes des prêtres à lapôtre félon, prix correspondant à la vente dun esclave... Cest le prix moyen dune vache actuellement, soit plus ou moins mille cinq cent euros. Donc un parfum de trois cents deniers cest un produit correspondant à une somme de quinze mille euros aujourdhui. Le geste de Marie-Madeleine nen est que plus surprenant. Il indique aussi des moyens financiers importants pour lépoque.
Daprès un manuscrit de Raban-Maur, évêque de Mayence au VIIIème siècle, (et selon ce document conservé par lUniversité dOxford et découvert en 1842 par lAbbé Faillon), Marie-Madeleine, sa soeur Marthe et son frère Lazarre "possédaient un riche patrimoine : beaucoup dargent, beaucoup desclaves, la plus grande partie de Jérusalem, et trois domaines hors de cette ville : Béthanie dans la Judée, Magdalon en Galilée, sur la gauche de la mer de Génézareth, et un autre Béthanie au-delà du Jourdain, dans ce lieu de la Galilée où Jean donnait le baptême." Lazare reçut sa part dhéritage à Jérusalem, Marthe fut à Béthanie en Judée et Marie eut les biens de Galilée à Magdalon. Toujours daprès Raban Maur, Marthe, sage et active, administrait la fortune de son frère et de sa sur. Elle exerçait de bon cur lhospitalité et distribuait aux pauvres dabondantes aumônes. Lazare menait la vie des riches seigneurs de son temps. Tous deux résidaient à Béthanie, en Judée. Marie aurait vu le jour la même année que Jésus. Plus tard, vivant dans le luxe et les plaisirs, elle serait devenue un objet de scandale pour tous. Le nom de "pécheresse de Magdalon" laccompagnait. Jésus qui, comme lenseigne lEvangile "nest pas venu appeler des justes, mais des pécheurs" et "chercher et sauver ce qui était perdu", lui apporta le salut. LEvangile de Luc rapporte cette rencontre, baignée de tendresse et de générosité (Luc 7,37-50).
La pécheresse de Magadalon (dite de Magdala dans les Evangiles), allait devenir Sainte Marie Magdelaine (ou Madeleine) selon les traductions. Et Marc, en évoquant la résurrection du Christ indique que "Jésus étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine, apparut dabord à Marie de Magdala, de laquelle il avait chassé sept démons." (Marc 16,9).
Parmi ces femmes qui avaient été sauvées par Jésus se trouvait celle qui avait été guérie de son infirmité à linstant même où, perçant la foule, elle était parvenue à toucher la frange du manteau du Christ. Elle se nommait Marthe, comme la sur aînée de Marie Magdelaine, et habitait à Césarée, en Syrie. (Annales eccl. Baronius An. 31). Pour perpétuer la mémoire de ce miracle accompli en sa faveur, elle fit faire et placer devant sa maison un monument décrit ainsi dans la vie de Sainte Magdelaine par Raban Maur :
- "On voyait sur un piédestal une figure dairain en relief, représentant cette même femme à genoux, les mains étendues, comme suppliante ; devant elle une statue dairain qui a lextérieur dun homme vêtu dune robe traînante, drapée avec art, et qui tend la main à la femme."
Lhistorien Eusèbe de Césarée mentionne ces statues dans un écrit adressé à lEmpereur Constantin. Sozomène, historien du Vème siècle, qui vivait en Palestine, écrit quelles existèrent jusquà lEmpereur Julien lApostat, qui les fit détruire. Dautres auteurs, grecs et latin citent ces faits : Ruffin, Léon lIsaurien, Théophane de Céramée.
Il est impossible dévoquer lentourage et les soutiens du Christ sans faire mention des soixante-douze disciples. A distinguer des douze apôtres, ils sont envoyés en mission deux par deux dans les villes et villages où Jésus devait se rendre, tels des éclaireurs. Leur mission est de préparer la venue du Fils de Dieu. Cest lévangéliste Luc qui rapporte cet épisode dans le dixième chapitre de son Evangile. Selon la tradition il aurait fait partie des soixante-douze. Dautres noms sont parvenus jusquà nous : Saint Trophime à Arles et Saint Maximin, près de la Sainte Baume, auraient appartenu à ce corps missionnaire des Soixante-Douze. Daprès la légende des églises provençales, ils auraient débarqué aux Saintes Maries de la mer en compagnie de Lazare, Marthe et Marie-Madeleine, quelques temps après lAscension de Jésus.
En Palestine, au temps du Christ, la mission des soixante-douze est très particulière : "Il leur dit : La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson denvoyer des ouvriers dans sa moisson. Allez; voici, je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni souliers, et ne saluez personne en chemin. Dans quelque maison que vous entriez, dites dabord : Paix à cette maison ! Et sil se trouve là un enfant de paix, votre paix reposera sur lui; sinon, elle reviendra à vous. Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce quon vous donnera; car louvrier mérite son salaire. Nallez pas de maison en maison. Dans toute ville ou vous entrerez, et où lon vous recevra, mangez ce qui vous sera présenté, guérissez les malades qui sy trouveront, et dites-leur: Le royaume de Dieu sest approché de vous." (Luc 10,2-9)
De cet extrait de lEvangile de Luc il y a beaucoup à apprendre. Peut-être en premier lurgence de la mission apostolique. Un travail est à accomplir, il faut des "ouvriers" pour cette moisson qualifiée de "grande" par le Sauveur. Jésus sait que son temps est compté, limité sur cette terre, il ny a pas de temps à perdre. Les envoyés doivent également faire preuve de prudence, ce ne sera pas facile.
"Dans quelque maison que vous entriez, dites dabord : Paix à cette maison !" Voilà une précision bien utile, les disciples du Christ ont dabord vocation à être des artisans de paix. Ce rayonnement doit être palpable, bienfaisant, manifeste. Il est appelé à être goûté et partagé par tous. Il est source déquilibre et de force.
Cette qualité a pour mission de sétendre, les Soixante-Douze nont pas vocation à passer de maison en maison tels des colporteurs prosélytes. Non, il semble que lon vient à eux. Ils sont porteurs de charismes, ils en ont été revêtus par le Christ. Dabord témoins de la formidable paix des cieux, ils ont vocation à apaiser, panser les plaies morales des blessés de la vie. La mission sacerdotale du prêtre est comme préfigurée, annoncée, tracée par le Christ lui-même sous la plume de Luc. Savoir écouter, ne pas juger, accueillir, réconforter, accompagner spirituellement celui ou celle qui se présente, ce sont des thèmes essentiels qui sont partie intégrante de lâme des Eglises chrétiennes, aujourdhui encore.
Dans cet esprit louvrier du Christ doit témoigner de ce que Jésus appelle le "royaume des cieux" : une présence, une aura, une écoute, une énergie sans doute, mais aussi un enseignement qui reprend les principaux points de la doctrine du Christ. Des charismes spéciaux de guérison sont attestés par le Seigneur, ils ont valeur de signe pour ceux qui viennent. Les Soixante-Douze sont les envoyés du Sauveur.
Il nest pas fait mention dun régime alimentaire particulier: "Demeurez dans cette maison-là, mangeant et buvant ce quon vous donnera." On se souvient déjà que Jésus dans son enseignement déclarait purs tous les aliments : "ce nest pas ce qui entre dans la bouche qui rend lhomme impur; mais ce qui sort de la bouche, cest ce qui souille lhomme." (Mathieu 15,11) Il est également prévu un défraiement : "car louvrier mérite son salaire."
Notons encore quà la mission des soixante-douze ne se rattache pas le pouvoir de lier et de délier. Jésus le confèrera ultérieurement au Douze apôtres (Jean 20,22-23). On peut associer la mission des Soixante-Douze à lordre mineur des exorcistes dans lEglise : "Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de lennemi; et rien ne pourra vous nuire." (Luc 10,19)
Limportance de cet ordre mineur est grande, mais soulignons bien quaujourdhui encore ne sy rattache pas le pouvoir de lier et de délier, partie intégrante de lépiscopat et de son prolongement majeur quest la prêtrise. Une grande sagesse doit présider à lexercice de ce ministère bien particulier. Les Evangiles nous rappellent lexigence de la prudence et de la simplicité (Mathieu 10,16); ils nous révèlent encore que lenvoyé du Christ ne doit pas axer sa pensée sur les résultats obtenus mais sur le fait que son nom est : "inscrit dans les Cieux" (Luc 10,20).
Des Soixante-Douze disciples aux Douze apôtres, en passant par Simon de Cyrène aidant Jésus à porter sa croix aux Saintes Femmes reconnaisantes, le Christ ne pouvait réussir seul sa mission ! Nous avons besoin de Dieu, mais Dieu a aussi besoin de nous...