Les crimes récents perpétrés au nom de Dieu par des groupuscules armés n'honorent pas le genre humain. Cela nous rappelle que les religions peuvent être la meilleure ou la pire des choses. Etre en faveur de la vie ou s'appliquer à condamner l'humanité aux ténèbres et à la nuit, telle est la nature du problème.

La Paille et la Poutre

Plutôt que jeter l'anathème sur un groupe de croyants quel qu'il soit, minorité religieuse ou religion établie, il faut se souvenir du passé. Notre civilisation européenne d'origine chrétienne dans son ensemble traîne aussi son lot de casseroles. Au nom du Christ des hommes ont tué, violé, torturé sans aucune limite. L'inquisition, les croisades, les guerres de religion, le massacre de la Saint Barthélemy témoignent tristement que l'esprit de l'Evangile n'a pas toujours soufflé sur ceux qui s'en réclamaient. Les chroniques féodales par exemple rapportent les atrocités commises par ce seigneur demandant à son chapelain l'absolution de ses crimes pour recommencer de plus belle la semaine suivante. En matière de religion, la malice de l'homme à se servir du prétexte religieux pour couvrir ses crimes est phénoménale. « Qu'importe des milliers de morts puisque les âmes ne meurent pas » écrivait l'ultramontain Louis Veuillot dans le journal L'Univers pour justifier la guerre de 1870. Avec de tels raisonnements, on sème la souffrance et la mort.

Le Christ nous indique un autre chemin, celui de la vie. Mais tous ne le comprennent pas. Le Dieu de Jésus ne juge pas, ne condamne pas. Il pardonne, fait preuve de compassion, va chercher la brebis perdue et accueille l'enfant prodigue. Ce n'est pas un bourreau. Il se présente à travers le Christ comme un père. Il prend soin, est attentif, à l'écoute. Il ne rejette pas, condamne le péché mais pas le pécheur. « Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre » déclare Jésus en sauvant la vie à la femme adultère.

L'Evangile marche en direction de la vie, le christianisme est fondamentalement un courant d'amour vivant. C'est le fond du message du Christ. C'est l'esprit qui se détache des paroles reçues de Jésus.

Alors pourquoi au temps jadis des hommes se voulant « du Christ » ont-ils fait l'inverse ? Les cathares par exemple, brûlés vifs au Moyen-âge, simplement parce que leurs idées n'étaient pas celles du catholicisme d'alors défini par la cour de Rome. Comment peut-on imaginer qu'en tuant l'on fasse progresser l'humanité ? Fallait-il être à ce point aveugle, barbare, insensible à la souffrance ? Les cathares ne faisaient de tort à personne. Ils pensaient juste autrement. Le pouvoir religieux dominant ne leur l'a pas pardonné cette liberté de penser. Ils furent massacrés et éliminés jusqu'au dernier.

Un peu de tolérance s'il vous plaît ! N'est-ce pas ce que le Christ nous demande ? Où alors dans quel monde vivrions-nous, et sur quelles valeurs ?

Une Evolution Nécessaire

En France, la loi de 1905 est une garantie de paix civile aujourd'hui. Après des siècles de querelles religieuses, le peuple français a évolué. La République y affirme son indépendance à l'égard des cultes et des religions. Dans le principe elle les connaît tous mais n'en reconnaît aucun. La religion y relève du domaine privé, des croyances de chacun. A partir du moment où l'on ne fait de tort à personne, l’État autorise le libre exercice des cultes et des idées. C'est un principe dans lequel le chrétien peut se retrouver. A l'inverse du sectarisme, il mène à l'universalité, c'est à dire à une forme de sagesse qui implique et concerne tous les hommes.

La tolérance, c'est admettre que le prochain puisse penser différemment, le comprendre et l'accepter. A condition que cela ne nous porte pas tort, l'on ne s'y oppose pas. Respect du libre arbitre, respect de ce qui permet à quelqu'un de se structurer et d'avancer positivement dans la vie. Ce qui rend heureux et permet le bonheur, c'est un système de valeur dans lequel tout le monde peut se retrouver.

Le Naufrage de l'Esprit

Il n'y a pas si longtemps, dans des pays aujourd'hui ravagés par la guerre, chrétiens musulmans et juifs pour ne citer que les principales religions vivaient en paix, dans le respect d'une tolérance mutuelle. Qu'est-ce qui a tant changé pour que tout soit détruit aujourd'hui et remplacé par la haine ?

Il est difficile d'y répondre d'un coup de baguette magique. Parce qu'il n'est pas ordinaire de passer de la lumière aux ténèbres en une fraction de seconde, la plongée dans le mal c'est quelque chose qui vient sournoisement, insidieusement. Là où la joie et la spontanéité ne sont plus possibles, là où le raffinement et la culture deviennent suspects, là où la peur et la suspicion envahissent le quotidien, là où les couleurs chatoyantes et bigarrées cèdent la place aux étoffes sombres et obscures, là où l'on brûle les livres et ferme l'accès à la connaissance, il y a danger !

Une civilisation grandit par la curiosité, l'ouverture d'esprit, la créativité, le respect, la liberté, l'amour, la tolérance. A l'inverse elle se détruit par l'autoritarisme, l'uniformité de la pensée, le repli sur soi, la peur, la haine. Les dictatures de l'esprit, qu'elles soient politiques ou religieuses condamnent à la nuit, au néant.

Dans la symbolique des couleurs le gris représente la tristesse, la dépression, le désarroi, la solitude et la monotonie. Il traduit quelque part un manque. On ne sait plus, il n'y a plus ni de goût ni d'envie. C'est l'absence d'enthousiasme et de motivation. Qu'est-ce qui fait qu'une religion ou une civilisation glisse peu à peu dans la grisaille, puis dans les ténèbres ?

Le manque d'empathie, de compassion, la logique froide, l'absence de nuance et d'humanité dans l'interprétation et l'application des textes de base sont des éléments de réponse. Mais il n'y a pas que cela. L'autoritarisme, le fait d'imaginer « posséder la vérité » et vouloir imposer ce modèle de société ou de religiosité aux autres, comme si cela était une fin en soi ou la solution à tous les problèmes, voila le danger.

Le comportement paranoïaque s'ajoute immanquablement à cette dérive. L'agressivité caractéristique de cette pathologie, son orgueil, son mépris des autres, sa méfiance, son sentiment de supériorité, tout cela fait glisser peu à peu dans la sombre nuit de la haine. Les crimes récents perpétrés au nom de Dieu par divers groupuscules armés en sont un signe.

Une fois engagé sur ce chemin, les possibilités de retour sont minces pour les membres de ces mouvances extrémistes. L'aveuglement est une caractéristique supplémentaire de ce dérèglement de l'esprit, religieux et politique. La marche arrière n'est guère possible et le pire reste à venir. La montée du nazisme en Europe par exemple a engendré la mort de millions de personnes. Ce fut la plongée dans l'abîme pour la civilisation, sous un déluge de fer et de feu.

La Lumière de l'Espérance

Tout système politique ou religieux devrait être au service de la civilisation pour porter de l'espoir. Favoriser ce qui unit, non ce qui divise ; ce qui rassemble, non ce qui exclut ; ce qui respecte la vie, non ce qui la tue. Le Christ a lavé les pieds de ses apôtres pour leur expliquer sa vision du pouvoir. Il s'est mis humblement dans la position de l'esclave pour accomplir ce geste. C'est un signe pour nous. Un pouvoir spirituel ne peut être égoïste et dominateur s'il désire respecter l'esprit de l'Evangile. Sa vocation est d'être au service de tous, « doux et humble de coeur ».

La mission de l’Église est par définition aux antipodes d'une société élitiste ou fermée. Elle est ouverte et ne rejette personne. Elle prend modèle sur le Christ. Avant de guérir les malades par exemple, il ne leur demande pas quelle est leur religion ou leur pays d'origine. Il les sauve, un point c'est tout.

Parfois, au gré des rencontres et des personnes, certaines paroles de Jésus forcent, plus que d'autres, l'admiration et le respect. Au centurion romain, de religion païenne, officier d'une armée qui occupe son pays, Jésus déclare : « Je n'ai jamais vu une si grande foi dans tout Israël. » Pour bien prendre toute la mesure de cette parole, il faut savoir que Jésus avait déjà choisi et appelé ses apôtres. Quelle leçon de vie et d'humilité pour eux quelque part ! Cet étranger, l'occupant, bras armé du grand César de Rome, est reconnu comme enfant de Dieu par le Christ. C'est un homme juste et bon. C'est cet essentiel que voit et retient le Christ lors de leur rencontre.

Il émane toujours de la lumière de la part des êtres riches en miséricorde. Ce rayonnement exprime la bonté, qualité vitale en matière de spiritualité. Sans elle la tolérance ne peut exister. Elle est un des fruits principaux de l'amour.

Mgr Thierry Teyssot


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