La célébration de la messe est une cérémonie chrétienne qui tire son origine du dernier repas pris par Jésus avec ses apôtres. Ce repas est appelé : la Cène. Le jeudi avant sa mort, le Sauveur prit du pain, le bénit en disant : « ceci est mon corps » ; puis de même la coupe de vin en disant : « ceci est mon sang. » Ce moment s’appelle : l ’institution de l’eucharistie.

Les premiers chrétiens avaient l’habitude de se réunir dans leurs maisons pour partager un repas communautaire au cours duquel ils « faisaient mémoire », selon les dernières volontés du Christ, de la Cène; en partageant le pain et le vin eucharistiques. Il n’y avait pas de rite de célébration particulier. Ce repas était simplement partagé dans la joie fraternelle et le souvenir du Seigneur. Pour cette génération, Jésus était vivant et présent parmi eux à travers l’eucharistie qu’ils célébraient (mot qui signifie : action de grâces.)

Parfois, le vin aidant, il y eut des « dérapages », surtout lorsque la Cène était célébrée tard dans la nuit. L’apôtre Paul est d’ailleurs obligé d’intervenir dans ses épîtres pour expliquer aux jeunes communautés qu’il faut faire attention. Pour lui, le respect et la dignité sont essentiels à la célébration de l’eucharistie. « Celui qui prend le corps et le sang du Seigneur indignement mange et boit sa propre condamnation » écrit-il, « ne faisant pas le discernement qu’il doit du corps et du sang du Seigneur. » (1Cor. 11,27)

Plus tard, la sagesse venant avec l’expérience, au fil des ans, les Eglises en développement créèrent des « rites de célébration » pour guider et encadrer l’exercice du culte. Les dimensions festives et sacrées se mêlaient selon les lieux, la culture, le génie et l’inspiration propre aux communautés. Les cérémonies pouvaient durer jusqu’à plusieurs heures, agrémentées de chants, parfois même de danses.

Ainsi apparurent une multitude de rites : gallican, mozarabe, milanais, ambrosien, celtique, copte, guèze, byzantin, lyonnais, romain, etc. La liste n’est pas exhaustive. Il en existe une grande diversité, fruit des Eglises. Certains ont disparu, d’autres ont évolué, s’adaptant à l’évolution des mentalités. Ces rites (aussi appelées liturgies, c’est à dire au service du peuple) n’ont jamais été rigides. Ils furent et sont toujours vivants, au service des communautés. Il sont l’expression de la foi, du caractère et de la personnalité des communautés chrétiennes avec leurs pasteurs.

Le Rite Gallican

En France, durant le premier millénaire, le rite principal de célébration de la messe était le rite gallican (du latin gallicanus, gaulois, des Gaules). Dans son livre « Liturgies of the Past » (Edition Mame, 1959) l’érudit Archdale A. King écrit :

« On a qualifié de gallicanes cinq variantes liturgiques différentes :

1 - Le rite en vigueur en Gaule avant les réformes de Pépin et Charlemagne.

2 - Le rite romain transformé et enrichi en Gaule et en Allemagne par l’école liturgique carolingienne.

3 - Un rite français introduit par les normands en Apulie et en Silicie.

4 - Le rite franco-romain qui, à l’instigation de l’évêque de Rome Grégoire VII (1073-1085), supplanta le rite mozarabe en Espagne à la fin du XIème siècle.

5 - Les livres liturgiques de plusieurs diocèses de France au XVIIIème siècle qui, malgré les prescriptions du concile de Trente avaient été transformés par les évêques et étaient appelés gallicans ou néo-gallicans.

Le terme n’est sans doute correctement employé que pour désigner le rite en vigueur en Gaule avant le IXème siècle. »

Le fait est qu’il existe peu de sources liturgiques établissant avec précision le mot à mot de la messe gallicane des premiers siècles. Archdale A. King précise encore : « Une reconstitution de la messe gallicane n’est pas facile, la liturgie variant d’une église à l’autre dans le pays. »

Ainsi, peu nombreux sont ceux qui aujourd’hui en France revendiquent cet héritage liturgique traditionnel.

1 - L’Eglise Catholique Orthodoxe de France fondée par Mgr Jean Kovalevski a tenté une résurgence de l’ancien rite des Gaules.

2 - L’Eglise Gallicane de Gazinet fondée par Mgr Giraud a elle aussi oeuvré en ce sens et, la messe dite de Gazinet est actuellement célébrée dans la majorité de nos communautés.

La Messe de Gazinet

Emprunte-t-elle beaucoup d’éléments au mode liturgique des premiers siècles ? Une liturgie ne se construit pas à la légère. Selon l’expression de Mgr Giraud lors de sa conception, il s’agissait de « toujours moderniser en reprenant l’arbre à la racine », c’est à dire en recherchant ce que contenait d’actualisable la liturgie des Gaules des premiers siècles.

Compte-tenu des informations dont disposent les historiens aujourd’hui, il faut relever :

1 - La présence de l’hymne du Trisagion (Dieu trois fois saint, évocation de la Trinité) : après le Gloria et avant la lecture de l’épître. « Une allusion au Trisagion dans la liturgie gallicane se trouve dans une vie de Saint Géry, évêque de Cambrai vers 600. » (Archdale A. King)

2 - L’élévation du livre des Evangiles (Evangéliaire) devant le chandelier à sept branches, avant l’annonce de la Parole de Dieu. (Lettres de Saint Germain - VIème siècle)

3 - La bénédiction du peuple après l’Offertoire et avant les Dyptiques : transcription d’une prière tirée d’un bénédictional gallican au VIème siècle.

4 - Le baiser de paix : d’origine apostolique (c’est à dire venu des apôtres) - toujours conservé dans le rite des Gaules - transmis depuis le célébrant jusqu’au dernier des fidèles. Le baiser de paix fut ensuite restauré par le Père Hyacinthe Loyson dans sa liturgie gallicane (cf. son missel de 1891). Il introduisit également l’absolution générale des fidèles pendant la messe. Lors de la réforme de Gazinet, ces deux éléments furent maintenus dans la liturgie.

5 - La préface, si belle et si poétique est celle de la vénérable liturgie de Saint Jacques de Jérusalem, célébrée par les chrétiens d’Orient (orthodoxes) ; rite remontant selon la tradition directement au frère du Seigneur.

6 - La présence de l’épiclèse (invocation à l’Esprit-Saint sur le pain et le vin pour qu’il transforme ces dons en Corps et en Sang du Christ) ; également d’origine apostolique, voulu et attesté par les Pères. L’épiclèse rend la messe « valide » au yeux des Eglises orientales.

7 - Durant l’Offertoire le prêtre reçoit les offrandes des fidèles et bénit le pain, les galettes (jour des Rois, Epiphanie), les œufs (Pâques), les roses (Pentecôte), les croix d’herbes (Saint Jean d’été).

8 - L’hostie rompue en neuf parcelles après la consécration évoque les grands moments de la vie du Christ ; mémoire de l’ancienne commixtio gallicane (du latin commixtio, de cum « avec », et mixtio, « mélange  » : « action de mêler, de mélanger ». Rite qui consiste à laisser tomber dans le calice un fragment des neuf parcelles de l’hostie.

9 - Une prière tirée de la Didachée demande le rassemblement de l’Eglise dans le Royaume de Dieu.

10 - Le Symbole de la Foi (Credo) est le texte traditionnel issu de l’Eglise indivise du premier millénaire, sans l’addition romaine du « filioque », c’est à dire tel qu’il fut toujours récité dans l’ancienne Eglise des Gaules.

On note également dans le Credo la phrase : « Je crois l’Eglise Une, Sainte, Universelle et Apostolique (véritable sens du mot catholique du grec katholicos = universalis) ; décision du synode gallican de mars 1988. Pour ce synode, il s’agissait d’une part par souci de clarté, d’éviter toute confusion avec l’Eglise catholique (dite romaine) et d’autre part de restaurer le mot catholique dans son sens originel.

Paternité du Rite

Les historiens de notre Eglise sont généralement d’accord pour accorder la paternité du rite gallican de Gazinet à Monseigneur Giraud (1876-1950) assisté d’un comité de théologiens. Mgr Gaston Vigué, consacré évêque en 1921 par Mgr Giraud a pu y exercer une certaine influence. Pour le comprendre il faut relever l’inspiration vieille-catholique de certaines prières issues de l’ancienne liturgie des Eglises de l’Union d’Utrecht (rite d’entrée notamment et diptyques). Cela n’a rien d’étonnant puisque Mgr Vigué fut d’abord ordonné prêtre de l’Eglise Catholique Chrétienne de la Suisse (Union d’Utrecht) par Mgr Herzog avant de rejoindre l’Eglise Gallicane de Gazinet.

Où situer dans le temps la naissance de cette liturgie ?

Monsieur Christian Mériot - attaché de recherche au C.N.R.S. en 1973 - a publié dans les « Cahiers du Centre d’Etudes et de Recherches Ethnologiques » un travail de 113 pages intitulé : « L’Eglise catholique, apostolique et gallicane ou l’essor d’un courant catholique non romain dans le bordelais » mars 1973 - Université de Bordeaux II.

Aux pages 40 et 41 de son étude on peut lire le paragraphe suivant : « Sa codification remonte à 1918, époque où Monseigneur Giraud l’utilisa pour la première fois en l’église primatiale de Gazinet. Son texte actuel fut établi par plusieurs synodes auxquels participèrent, outre les évêques de l’Eglise catholique gallicane, de nombreux historiens et des représentants des Eglises celtiques, basques, chaldéennes, catholiques évangéliques d’Allemagne et de Suisse, arméniennes, ainsi que les délégués de diverses Eglises orthodoxes ou vieilles-catholiques. »

Cette liturgie était-elle régulièrement célébrée ? Comme tout mouvement de réforme, le temps était nécessaire pour sa mise en place, son intégration. La Profession de foi de Gazinet publiée en 1945 et la collection du journal « Le Gallican » (période 1922-1950) ne donnent pas le sentiment d’une célébration régulière de cette messe. C’est surtout au sein de la chapelle Saint Jean-Baptiste de Bordeaux, alors 29 rue de la Brède, que la célébration de ce rite s’est imposée peu à peu au cours des années cinquante. Avec une génération de jeunes prêtres directement formés dans cette liturgie, sous la tutelle du Père Jean Brouillet et de Mgr Vigué, c’était plus facile.

Le Père Patrick (futur Mgr Truchemotte), ordonné prêtre par Mgr Vigué en 1953 s’est construit avec. C’est la liturgie dont je me souviens dans les années soixante-quinze, lorsque je fréquentais adolescent la chapelle au 6 quai de Bacalan à Bordeaux. En 1983 j’ai été ordonné prêtre dans ce rite, comme le Père Jean Blusseau en 1977.

Aujourd’hui encore, des fidèles qui fréquentaient la chapelle au 29 rue de la Brède sont heureux de retrouver la même liturgie au 4 rue de la Réole. Il y a continuité d’esprit. Cela s’appelle la transmission.

Le Signe de notre Unité

Aujourd’hui la célébration de la messe de Gazinet est inscrite dans la charte de notre Eglise. C’est une richesse. Les prêtres nouvellement ordonnés s’engagent à la célébrer. Elle est le rite officiel de l’Eglise. Elle marque son unité.

La messe de Gazinet, maintenant célébrée par de nombreux prêtres en France et à l’étranger se réfère à l’antique cérémonial des Gaules.

Les bras du prêtre s’élèvent très haut dans le ciel au kyrie, vieux geste d’invocation; ils se mettent en coupe pendant la préface consécratoire; ils vont s’étendre en croix dans l’attitude des premiers chrétiens au moment du Notre Père.

Tout est vivant et empreint de poésie dans cette messe. Une large place est laissée à l’improvisation, aux coutumes locales. La prédication doit porter sur l’Ecriture et tenir compte des besoins spirituels de chacun.

Il faut saluer le génie de ses créateurs. Non seulement ils ont réussi à se démarquer du rite romain, mais ils ont surtout donné à notre Eglise une personnalité liturgique originale, profonde, vivante, spirituelle, et surtout : gallicane !

Mgr Thierry Teyssot


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