Chance pour le côté pile, c'est le positif; fatalité pour le côté face, c'est le négatif ; et nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Avant de mourir, Jean Valjean révèle à Cosette le mystère de ses origines : "Voici le moment venu de te dire le nom de ta mère. Elle s'appelait Fantine, elle a bien souffert, elle a eu en malheur tout ce que tu as en bonheur. Ce sont les partages de Dieu. Il est là-haut, il nous voit tous, et il sait ce qu'il fait au milieu de ses grandes étoiles".
Nous ne sommes pas bénéficiaires des mêmes chances dans la vie. Ce qui ne veut pas dire que celui ou celle qui a peu d'atouts ne peut s'en sortir. Certains ont d'immenses possibilités et semblent tout gâcher. D'autres sur qui le parieur le plus avisé ne miserait rien remportent le trophée. Ainsi va la vie pourrait-on dire, avec son cortège de surprises, bonnes ou mauvaises. Les Evangiles s'efforcent d'être juste: "Il sera beaucoup demandé à ceux à qui l'on a beaucoup donné" déclare Jésus. Thomas Edison, inventeur entre autres de la première ampoule électrique a eu cette fulgurance lumineuse : "Le génie c'est un pour cent d'inspiration et quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration." Le destin ne ferait donc pas tout. La force de la volonté ou la foi qui soulève les montagnes selon Jésus seraient déterminants. Essayons de trouver des clefs avec l'outil biblique.
C'est un des livres de la Bible qui est le plus facile d'accès. Il raconte une histoire sous la forme d'une parabole riche en rebondissements. Dieu missionne un prophète, il a pour nom Jonas. Il doit annoncer aux habitants de la ville de Ninive que leur cité sera détruite. La peur gagne Jonas qui refuse cette mission et s'enfuit en trouvant refuge sur un bateau. Une violente tempête se lève menaçant de faire chavirer le navire, les marins tirent au sort pour découvrir la cause de ce malheur, le sort désigne Jonas. Il est jeté hors du bateau, un énorme poisson l'avale, il reste trois jours et trois nuits à l'intérieur du poisson. Pendant ce temps Jonas se repentit d'avoir failli à sa mission. Dieu ordonne alors au poisson de vomir Jonas sur le rivage, il le missionne de nouveau et l'envoie à Ninive pour annoncer la destruction de la ville au bout de quarante jours. Les habitants de la cité sont sensibles à la prédication de Jonas, il font pénitence et se convertissent. Finalement la cité n'est pas détruite, les malheurs annoncés ne se produisent pas.
Le livre de Jonas est une parabole qui révèle que les prophéties ne sont pas des fatalités. Notre vie se déroule toujours au présent, et dans ce présent notre libre arbitre doit avoir le dernier mot. La conversion des ninivites à la prédication de Jonas a raison des prophéties, elle repousse le malheur annoncé.
Dans cette histoire le "destin" ne fait pas tout ce qu'il veut, ou plutôt la foi des ninivites écarte la montagne des problèmes qui allaient s'abattre sur eux.
C'est un texte plein d'espoir qui montre que l'on ne doit pas attendre que le ciel nous tombe sur la tête. Au contraire, il faut retrousser ses manches et aller de l'avant pour vaincre les difficultés lorsqu'elles se présentent à nous.
Les textes des Evangiles semblent par certains côtés donner une importance plus grande au poids de la fatalité. Le reniement de Pierre par exemple ou la trahison de Judas montrent que ces hommes n'ont pas la possibilité d'échapper à leur destin. Ils sont en quelque sorte prisonnier d'une volonté supérieure qui les téléguide.
Dans le cas de l'apôtre Pierre, la marque de la fatalité est d'autant plus poignante qu'il déclare quelques heures avant de renier Jésus : "Même si tous les autres t'abandonnent, même s'il me faut mourir avec toi je ne te renierai pas". Pierre est sans doute profondément sincère à cet instant. Mais la prédiction de Jésus est sans équivoque possible : "Avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois." Quelque part, Pierre n'a plus le choix.
Souvent Jésus déclare dans les Evangiles qu'il faut "que les Ecritures s'accomplissent." Il a l'intime conviction de suivre, en quelque sorte, un programme pré-établi. Il en est ainsi à plusieurs reprises de l'annonce de sa crucifixion et de sa résurrection, même dans des détails précis comme le partage de ses vêtements avant l'exécution.
Il semble aussi que les puissances du mal ne peuvent porter la main sur lui tant que "son heure n'est pas encore venue". Cela est nettement visible dans la synagogue de Nazareth où les auditeurs "furent rempli de fureur" contre Jésus. Ils le conduisirent "jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l'en précipiter. Mais lui passant au milieu d'eux, allait son chemin..." (Luc 4,30)
Etrangement, le Christ semble se jouer de la fureur haineuse qui se déchaîne contre lui. Elle ne peut l'atteindre. Le mal ne peut dépasser certaines limites. Même au jardin des oliviers, lorsque la troupe guidée par Judas vient l'arrêter, elle n'est capable de porter la main sur lui que dans la mesure où il l'accepte. Cela est nettement visible dans l'Evangile de Jean où toute la troupe est en quelque sorte "commotionnée", renversée par une force mystérieuse lors de la première tentative d'arrestation du Sauveur : "Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus le Nazaréen. C'est moi, leur dit-il. Judas, qui le livrait, se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C'est moi, ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda à nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils dirent : Jésus le Nazaréen. Je vous dis que c'est moi." (Jean 18, 4-9) Ensuite, il ne se passe rien et les soldats mettent la main sur Jésus : "C'est votre heure et le règne des ténèbres" déclare-t-il dans la version de Luc.
L'accomplissement des Ecritures, pour reprendre cette expression chère à l'Evangile, indique quelque part la pesanteur du destin. Heureusement, et comme pour faire contrepoids, en pied de nez à la fatalité, Jésus est capable de modifier ce "programme pré-établi". Ainsi son premier miracle, celui où il change l'eau en vin à Cana n'aurait pas dû avoir lieu : "Mon heure n'est pas encore venue" déclare-t-il à sa mère dans l'Evangile de Jean. Mais la présence mariale va tout changer, l'eau sera bel et bien changée en vin par le Sauveur. Les "registres du Ciel", le "livre de Vie" pour reprendre la célèbre expression biblique peuvent être modifiés, ré-écrits à la demande de certains êtres d'exception. L'apôtre Paul dans sa première épître aux Corinthiens déclare même que la charité, c'est à dire l'amour, peut faire disparaître les prophéties. Cela est réconfortant et plein d'espoir. Un proverbe déclarait autrefois : "à coeur vaillant rien d'impossible". Cela est toujours vrai.
Monseigneur Thierry Teyssot