Le Père Hyacinthe LOYSON, d'illustre mémoire, naquit à Orléans en 1827, et mourut à Paris en 1912.

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Quand le nom de ce célèbre prédicateur est prononcé devant des chrétiens "bien pensants", il est stigmatisé par des épithètes péremptoires: "c'était un schismatique, un renégat, un excommunié" - et s'il a droit à ces qualificatifs péjoratifs, on peut dire que "c'est l'orgueil qui l'a perdu, ou encore les tentations de la chair", ou autres suggestions qui naissent naturellement en des âmes malveillantes.

Et voilà l'homme, en dépit de sa valeur morale, de son intelligence supérieure - disons le mot: en dépit de sa belle âme et de la sainteté de sa vie - mis au ban de l'humanité, considéré comme le rebut de l'honnête société.
Le jugement inexorable et définitif est prononcé, on a dépouillé le fantoche de la peau du lion, il reste nu dans son déshonneur. La cause est entendue pour le présent et pour le futur.

Et par qui ce jugement est-il publié ? Par des gens qui ne l'ont pas connu, et par d'autres à l'étroite cervelle qui suivent les premiers comme des oies suivent à la queue leu leu un jars important qui va bêtement devant lui, accompagné de tous ces bipèdes jargonnant en choeur...

Le Père Hyacinthe méritait-il cette malédiction d'un réprouvé ? Faisons appel au témoignage de quelqu'un qui l'a connu, qui a vécu auprès de lui, qui a participé à sa vie intime. Sa déclaration aura une valeur à laquelle ne sauraient aspirer les jugements imprécis de la multitude mal avertie.

Et présentons sans plus tarder ce précieux témoin: c'est l'auteur même des présentes lignes, qui l'a vu, qui l'a entendu, qui l'a connu, qui a vécu quelques années dans son intimité, qui l'a eu - et a pu l'apprécier - comme conseiller spirituel.

Je ne saurais, en me remémorant ces souvenirs anciens, passer sous silence cette remarquable réflexion du pape Pie XI, à propos des croyants qui n'étaient pas sous sa houlette: "Chez les catholiques, fait parfois défaut la juste appréciation de leurs frères séparés, parce qu'ils ne les connaissent pas. On ne sait pas tout ce qu'il y a de précieux, de bon, de chrétien, dans ces anciennes fractions de la Vérité catholique; les blocs détachés d'une roche aurifère sont aurifères eux aussi."

Et voilà d'un mot le Père Hyacinthe réhabilité par un Pontife Romain de vaste érudition. On peut considérer la personne du Père Hyacinthe dans sa vie publique, dans sa vie familiale, dans sa vie religieuse. Faisons une esquisse succincte de ces trois aspects du passage ici bas de notre vénérable personnage.

Sa Vie Publique

Cette vie publique n'est autre chose que sa carrière de haute prédication. Sous ce rapport, les avis sont unanimes. Le Père Loyson était un orateur prestigieux. Prêchant la station quadragésimale à Notre-Dame de Paris, il illustra cette chaire au même titre que Lacordaire, et le Père Monsabré (né comme lui en 1827) ne l'éclipsa pas, pas plus que ceux qui les avaient précédés et qui les ont suivis.

Son éloquence tenait sous le charme ses auditeurs enthousiasmés, et souvent des applaudissements leur échappaient dans le lieu saint, subjugués par la magnificence du verbe de cet orateur plein de feu.

Quand il eut quitté le froc de Carme pour s'unir par le mariage religieux à celle qui devait être la compagne élue de son coeur, il n'abandonna pas la prédication qui était la raison d'être de son activité.

Il essaya de redonner de l'élan à l'Eglise Gallicane qui avait beaucoup perdu de son prestige et menaçait de s'éteindre. Il loua, au n°3 de la rue d'Arras, à Paris, un local qu'il transforma en chapelle. Elle était entourée de tribunes confortables qui la rendait apte à accueillir les nombreux assistants de l'après-midi dominical.

Il habitait alors une agréable villa, boulevard Inkermann, à Neuilly-sur-Seine, et, chaque dimanche, il se déplaçait pour célébrer la messe le matin dans son oratoire, et l'après-midi pour le chant des Vêpres et le discours hebdomadaire, fervemment attendu par de nombreux parisiens.

Un petit local de deux pièces attenant à l'édifice était occupé par un vicaire et par moi-même, alors simple clerc. Ma chambre servait de salle à manger, où le frugal repas était fourni par un hôtel voisin. La messe était suivie par un groupe assez important de fidèles. La liturgie était celle de l'Eglise Romaine, en français.

Le Père célébrait le divin Sacrifice sans ornements, vêtu seulement de l'aube. Son homélie dominicale était d'une grande simplicité: il parlait à ses fidèles comme tous les pasteurs de toutes les églises, avec la modeste éloquence du coeur.

Les divers prédicateurs de Notre-Dame ont tous fait imprimer leurs discours qui, après des années, laissent encore aux lecteurs des impressions admiratives. Le Père Hyacinthe fait exception. Il n'a jamais voulu livrer ses magnifiques discours.

Je n'ai connu de lui qu'une mince brochure intitulée: ni cléricaux, ni athées. Il méditait profondément ses sujets, puis au moment de les développer en public, c'était un torrent d'éloquence qui laissait ses auditeurs stupéfaits et ravis. Il avait un don d'improvisation vraiment extraordinaire. Le fait suivant, dont j'ai été témoin, en donnera une idée.
C'était un dimanche habituel. Il parlait depuis un quart d'heure, entourant sa rhétorique de preuves théologiques et d'arguments scripturaires, lorsqu'au milieu d'une période une voix s'éleva au sein de l'auditoire silencieux pour s'écrier d'un ton que semblait fortifier la colère: - Ce n'est pas vrai ! L'orateur surpris, s'interrompt, puis jette à son contradicteur cette apostrophe: - Ah ! ce n'est pas vrai ! Je veux vous faire rentrer ça dans la gorge. Ecoutez-moi et vous mordrez la poussière. Ah ! ce n'est pas vrai... Et là-dessus, il déverse avec feu une cascade de solides arguments qui, stimulés par la contradiction, touchent le sublime de l'éloquence. Et le discours se déroule, une demi-heure, une heure... L'orateur intarissable, en sueur, s'arrête enfin, et s'excuse de ne pas avoir donné suite au discours précédemment annoncé ! Il est remis à une date ultérieure. On avouera qu'il n'avait pas écrit une seule ligne préparatoire à ce second discours...

Et d'ailleurs, il prenait des notes dans son cabinet de travail, mais ne les développait pas, se fiant au génie de son verbe. Et si toute improvisation est sujette à des redites ou à des périodes d'une facture moins parfaite, nul ne s'en apercevait.

Il semble qu'avec un homme qui avait montré un grand courage pour braver l'opinion, et qui se révélait une intelligence supérieure, son projet de réforme catholique eût paru voué à un plein succès. Il avait reçu des encouragements de pasteurs protestants en vue, et des sympathies du côté du clergé romain - restées secrètes - ne lui manquèrent pas.

En dépit de tous ces atouts, la réforme resta morte-née. En voici la raison: le Père Hyacinthe était un prédicateur hors ligne, mais là se bornait sa capacité. Il était d'une déficience surprenante au point de vue organisateur.

Ce méditatif n'était pas un homme d'action, et il n'eût aucun collaborateur pour le seconder. Il dut même en quelque sorte abandonner son titre de chef gallican.
Ce fut, à cette époque, l'archevêque d'Utrecht qui essaya de ranimer l'Eglise mourante en lui proposant un lieu de culte boulevard Auguste Blanqui - lequel, après avoir, pendant un certain temps, donné asile à quelques prêtres sérieux issus de la branche vieille-catholique suisse, est aujourd'hui entre les mains d'une Eglise Orthodoxe.

Sa Vie Intime

Pénétrons dans la petite villa du boulevard Inkermann, et surprenons la vie intime du Père Hyacinthe auprès de Madame Loyson et de son fils Paul.
Lui, le Père, un homme bon, paternel, toujours pensif et méditatif, ne s'occupant en rien de la direction de sa maison. Elle, son épouse, maîtresse femme, menant la barque du ménage d'une main vigoureuse. Et le jeune Paul, élève du lycée Janson de Sailly, gentil garçon, intelligent, quelque peu mystérieux. Je l'ai aidé dans ses devoirs du collège et n'ai jamais pu distinguer son vrai caractère; sous des dehors affables et polis, il restait un peu distant.

Le Père passait ses journées dans son bureau où il répondait méthodiquement à une nombreuse correspondance et recevait de fréquents visiteurs de tout genre et de toute situation sociale. On peut dire que sa vie était celle d'un moine. A proximité de son cabinet de travail était une petite pièce, sa chambre à coucher, à peine meublée, où l'on voyait un lit de camp - telle la cellule d'un religieux franciscain.

Généralement silencieux, il ne se perdait pas en parole auprès des siens. C'est la mère qui emplissait la maison de vie, car, au contraire de son mari, elle était expansive et exubérante, ce qui avait l'air d'ailleurs de plaire au chef de famille taciturne.

Tout homme, surtout celui dont la vie publique est mouvementée, a besoin de certaines heures de détente et d'apaisantes récréations. Je n'ai aucun souvenir de ce qui a pu être pour le Père Hyacinthe ce délassement intellectuel. Il vivait étranger au monde extérieur; physiquement, il était de ce monde, spirituellement il était d'ailleurs.

Et c'est peut-être pour cela qu'il considérait d'un oeil serein les critiques acerbes qui ne manquaient pas de lui être décochées et les appréciations désobligeantes de ses moindres démarches. Dans ses conversations avec des intimes, sa voix était douce et caressante. Et lorsqu'il croyait devoir adresser à quelque inférieur un blâme sur sa façon de vivre, il s'en acquittait d'un air à la fois contraint et persuasif, dont on ne pouvait se défendre et qu'on acceptait comme venant d'un père très aimant.

Des langues malveillantes lui ont fait le reproche d'être un homme orgueilleux. Il l'était aussi peu que possible et vivait d'une vie tellement effacée et retirée que, sans ses retentissantes conférences religieuses, il fût passé tout à fait inaperçu, même de ses plus proches voisins.

On sait que le Vatican lui avait fait une offre vraiment alléchante pour un "paria". Il lui promettait, en échange de sa démission de l'Eglise Gallicane et l'annulation de son mariage - son élévation à l'archevêché de Lyon... Après avoir été l'obscur desservant de la rue d'Arras, se voir promu prince de l'Eglise et primat des Gaules, aurait pu, à tout autre que lui, paraître le tremplin d'une gloire enviable. L'humble Père Hyacinthe n'en fit rien et demeura le simple prêtre découronné qu'il voulait être devant sa conscience.

Autant son langage vibrant dans la chaire chrétienne auréolait l'orateur d'une grande majesté, autant le ton de sa conversation était dépourvu de tout éclat. On conversait avec lui comme avec un simple curé de petite paroisse; il se mettait tout naturellement à la portée de son interlocuteur, et rien dans l'échange des paroles d'une entrevue familière n'eût pu rappeler la foudre éloquente de la chaire de Notre-Dame qui laissait l'auditoire dans une sensationnelle émotion.

Le Père Hyacinthe pardonnait chrétiennement à ses contradicteurs, à ses ennemis aussi, car il en avait parmi les fanatiques qui jugeaient sa vie scandaleuse et digne de profond mépris. Et c'est pourquoi il est probable que, prévoyant qu'après sa mort un jour viendrait peut-être où sa dépouille mortelle serait profanée - comme le fut le cadavre de ce pontife malheureux qu'une foule déchaînée précipita dans les eaux du Tibre...

Aussi prit-il ses précautions pour éviter ces injures d'outre-tombe: son corps fut incinéré en 1912. Il était âgé de 85 ans.

Sa Vie Religieuse

La concentration que nous avons remarquée dans sa vie intime se retrouve dans sa vie religieuse. Le Père Hyacinthe était incontestablement un homme de prière. De quelles pieuses méditations n'a-t-elle pas été témoin, la cellule monastique de l'ex-carme ! Mais il priait dans le secret de son coeur, comme ayant la pudeur de ses élans vers Dieu.

Dans son oratoire de la rue d'Arras, il ne présidait aucune prière en commun: récitation de chapelet, litanies, etc... Seules avaient grâce à ses yeux les oraisons liturgiques du Sacrifice de la Messe et des Vêpres.

Le reste lui paraissait un roulement de paroles sans valeur profonde, débitées dans l'inattention et le vide de l'âme.

J'imagine volontiers qu'il offrait chaque matin à Dieu ses oeuvres de la journée, comme une participation à la présence divine, faisant ainsi une prière de sa vie entière.

Ce personnage d'illustre mémoire dont nous avons, à grands traits esquissé la vie publique et privée, méritait mieux que les quelques lignes que lui ont appliquées nos reconnaissants souvenirs. Mais nous espérons que leur brièveté aura reconstitué, malgré tout, dans la vérité cette auguste figure du siècle dernier. Et il nous est apaisant de penser que Dieu, dans sa suprême Sagesse, n'aura pas considéré la jurisprudence humaine pour juger des actions de ce bon chrétien, de ce prêtre croyant, de cet époux fidèle, de ce père de famille irréprochable, de cet apôtre convaincu, de ce véritable disciple de l'amour divin, et que cet être privilégié aura trouvé un accueil bienveillant au sein de la Justice et de la Miséricorde.

Monseigneur Ducasse-Harispe


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