"Si vous étiez moins raisonnable
Je me garderais bien de venir vous conter
La folle et peu galante fable
Que je m'en vais vous débiter".

En effet, si Mademoiselle de la C....... n'était pas initiée en l'art d'entendre le symbolisme, elle ne verrait que trivialité et fadaises dans cette aune de Boudin qui va pendre au nez de cette Fanchon dont nous avons fait connaissance dans le conte intitulé "Les Fées".

Cette fois-ci, Fanchon que nous avions laissé mourante ou morte au coin d'un bois dans le récit des Fées est redevenue vivante. C'est de bonne guerre dans les contes de fées et - dans cette nouvelle incarnation - non seulement elle ne crache plus crapauds et vipères, mais elle a pu trouver un mari.

Cet époux s'appelle Blaise et est bûcheron.

Ne le croyons pas trop naïf. Nous savons que le bois symbolise le plan astral et, donc, celui qui y travaille en bûcheron est quelqu'un qui a reçu initiation pour agir sur le plan astral en général ou tout au moins sur l'un des kentras qui s'y rattachent: cela va donc du magnétiseur à celui qui fait ou qui défait les voults (envoûtements ou désenvoûtements).

Nous avons failli ne pas attacher d'importance au prénom de Blaise. C'est une relecture du célèbre Orpheus qui nous a rappelé que le folklore russe identifie Saint Blaise à Volosu, le dieu des troupeaux et que le même dieu quand il devient tchèque change son nom en Veles et désigne au XVème siècle le démon.

Le Blaise de Perrault n'est pas un démon, mais il est loin d'être libéré des influences malignes. Il nous fait penser à tous ces mages débutants qui veulent s'aventurer dans l'inconnu des opérations astrales sans s'être suffisamment instruit et purifié. Ils ont pénétré dans le monde magique sans préparation, un peu comme un ignorant en la matière pénétrerait dans un transformateur d'électricité. Ces apprentis sorciers se détruisent facilement et détruisent encore plus facilement les autres.

Blaise a d'ailleurs un grand handicap qui doit l'empêcher d'aller bien loin dans la recherche ésotérique; c'est un poltron qui ne saurait avoir une attitude constructive lors de la rencontre du Gardien du Seuil. Dans sa queste en forêt (en astral), il n'a jamais ramassé rien de vraiment valable et le mot falourde qu'emploie Perrault pour désigner sa charge est bien significatif.

Falourde ou falorde est un mot qui vient de faloir et qui signifie à la fois fagot et tromperie, bourde, parole vaine... Le vieux français possède le verbe falorder: tromper, duper.

Nous pouvons donc comprendre que ce que Blaise a jusqu'ici ramassé et rapporté aux autres est illusion, duperie, mensonge... Quoi d'étonnant qu'il se plaigne ? Il pourrait accuser son esprit de précipitation, sa maladresse, son manque de vraie science. Non, c'est le Ciel qu'il accuse.

Mais "Jupiter s'apparut"... D'abord pourquoi Jupiter ?

Et pourquoi cette construction de phrase; s'apparaît-on ou apparaît-on aux autres ?

Jupiter est, bien entendu, dans la symbolique perraultienne à relier à l'une des douze maisons. N'oublions pas que l'Olympe - symbole de l'Humanité - regroupe douze dieux fondamentaux. Le poète Ennius nous les cite:
- "June, Vesta, Minerva, Ceres, Diana, Venus, Mars, Mercurius, Jovis, Neptunus, Volcanus, Apollo".

Il s'agit là de mesnies zodiacales, mais aussi de types marqués des êtres humains que ces maisons influencent. Un génie intellectuel, le docteur Léon Vannier, dans son livre: "La Typologie et ses Applications Thérapeutiques" nous a dépeint le jupitérien et, donc, tout à fait le portrait robot de notre Blaise.

Il nous a dépeint aussi ses troubles psychiques:
- "La maladie morale du jupitérien, nous dit-il, c'est la vanité".

Et le docteur Vannier d'énumérer les défauts des Blaise Jupiter:

- "Les jupitériens qui n'exercent plus de contrôle sur leurs tendances naturelles deviennent de bas sensuels, gourmands et grands buveurs. Très ambitieux, avides d'argent, habiles, rusés et surtout chanceux dans leurs affaires. Vantards à l'excès, poltrons et lâches, irréligieux par faux respect humain, mais tremblants devant la mort, ils font appeler un prêtre à leurs derniers moments."

Ainsi est le Blaise de Perrault dont - au cours d'une expérience astrale - le prototype s'apparaît à lui-même. Le conteur s'est bien exprimé: Blaise est apparu à Blaise, Jupiter est apparu à Jupiter... Effrayante introspection en profondeur. Jupiter tient en main la foudre...

- "On aurait peine à le dépeidre" avoue Perrault.

De tels instants ne se décrivent pas.

Toujours est-il que Balise ressort de cette aventure intérieure avec un certain potentiel d'action magique. Comment en fera-t-il usage ?

Ici se situe l'entretien avec Fanchon.

L'on peut le situer au niveau d'un conflit entre la connaissance et la conscience. Cela se situe nous dit Perrault: "sous le toit d'une fougère"; nous donnant là l'indication qu'il s'agit bien d'un débat intérieur. La fougère dans le symbolisme c'est l'héritage de la préhistoire, ce qui remonte aux très antiques expériences de l'Humanité... Le débat entre Fanchon et Blaise va se refléter dans celui d'Eve et d'Adam.

Et c'est parce que ce premier conflit n'est pas résolu que tout va mal tourner. Ne prenons pas le chiffre trois comme un nombre de possibilités, mais comme la triple action bien connue sur les trois corps... Une fois de plus le conteur va nous présenter trois projections, l'une sur le corps physique, la seconde sur le corps éthérique, enfin la troisième concernant, bien entendu, le corps astral.

Auparavant Blaise envoie Fanchon tirer du vin... Hélas! c'est "derrière ces fagots" dont nous avons dit tout à l'heure qu'ils étaient ramassis de faussetés. En symbolique - rappelons-le une fois de plus, nous ne le dirons jamais assez - tous les symboles ou presque sont doubles: il y a le bon et le mauvais serpent, le loup positif et le méchant loup et ainsi de suite. Le vin qui mit Noé en mauvaise posture n'a pas la même action que celui des noces de Cana. Dans l'étude d'un symbole, il faut toujours regarder ce qui est autour.

Alors que Fanchon avait conseillé à Blaise de ne pas se précipiter dans l'usage de ses dons, Blaise - influencé par le vin "falordé" - va, au contraire vouloir agir avant d'avoir laissé les puissances conseillères de la nuit agir en lui.

C'est pourquoi "...S'appuyant sur le dos de la chaise", autrement dit projetant en arrière sa colonne vertébrale pour faire vibrer ses kentras, Blaise émet pour peu de choses et dangereusement.

L'aune de boudin... C'est du sang de porc. Perrault sait très bien que cet animal symbolise la régression. La mythologie grecque nous montre comment Circé se débarrassait de ceux qui l'importunaient en les transformant en pourceaux.

Désirer une aune de boudin, c'est donc désirer un retour en arrière... C'est l'utilisation luciférienne d'un don.

Le boudin ne va pas venir n'importe comment, Perrault le fait jaillir du coin de la cheminée. Le "Dictionnaire des Symboles" de Jean Chevalier et d'Alain Gheerbrant nous indique à cette rubrique: "symbole des voies de communication mystérieuses avec les êtres d'en-haut. C'est la voie qu'empruntent les sorcières pour se rendre au Sabbat, le Père Noël pour apporter ses jouets... La cheminée est aussi le canal par lequel passe le souffle".

Le boudin part donc de son coin (pierre d'angle) de cheminée et s'avance vers Fanchon en serpentant (encore le symbolisme du serpent).

Après avoir fait servir son premier don à la gourmandise, Blaise va faire servir le second à la colère. Le premier s'adressait au corps physique, mais le second va secouer l'éthérique et Fanchon va se retrouver avec le boudin collé au nez. Autrement dit cette seconde expérience perturbera fort l'adepte de la magie primaire, le complexant gravement.

Il reste la troisième expérience. La tentation serait forte d'avoir un royaume. Satan quand il tente Jésus dans le désert fait tournoyer autour de lui tous les royaumes de la terre. Le combat spirituel est terrible, il suffirait que Blaise et fanchon se laissent aller pour que les forces de régression symbolisées par le boudin collé au nez de Fanchon et voilant son visage restent sans fin comme un masque de la conscience, comme un abrutissement implacable.

Comment mieux clore le voyage initiatique que nous fait faire Perrault que par ce conte avertissant du danger d'exercer ses dons sans une préparation très profonde.

- "Bien est donc vrai qu'aux hommes misérables
Aveugles, imprudents, inquiets, variables
Pas n'appartient de faire des souhaits".

Seul un petit troupeau va réussir à exercer ses dons sans nuisance, "peu d'entre eux, nous dit Perrault, peu d'entre eux sont capables de bien user des dons que le Ciel leur a fait".

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