Saint Patrick, évangélisant un soir dans la grande salle d'un château d'Irlande, vit un oiseau pénétrer par une lucarne, traverser la vaste pièce éclairée, puis ressortir dans les ténèbres par une autre lucarne.

"Il en est ainsi - dit-il - de la vie humaine... Comme cet oiseau, l'être humain apparaît un jour dans le monde sans que nous sachions d'où il vient, et puis il y passe un laps de temps jusqu'à ce que nous le voyons repartir sans savoir où il va."

Si nous laissons de côté la théorie matérialiste selon laquelle tout commence à la première lucarne et tout finit définitivement à la seconde, il reste des questions d'une extrême importance sur les origines et les fins de chaque être humain. D'où vient l'homme ? Où va-t-il après sa mort terrestre ? Autant de questions qui ont engendré des théories ayant eu des fortunes diverses selon les époques de l'Humanité. L'une d'elle, la réincarnation, est très à la mode aujourd'hui. Mais en quoi cette théorie est-elle compatible ou non avec la foi reçue des Apôtres ?

Une Définition

Qu'est-ce que la réincarnation ? Une théorie selon laquelle un être humain passerait, au cours de sa destinée, par plusieurs existences terrestres successives. Après le décès, on résiderait quelques temps dans un monde invisible, puis on reviendrait vivre sur terre.

A la notion de réincarnation est associée l'idée hindoue du "karma", qui veut que toute bonne action ait sa récompense et toute mauvaise son châtiment. Ce principe peut-il trouver sa réalisation totale dans une seule vie terrestre ? Les partisans de la réincarnation feront remarquer qu'il y a des gens vertueux qui sont accablés de malheurs, et des méchants qui prospèrent. Selon eux la réincarnation permettrait de résoudre ce problème. Les justes souffrants seraient en train d'expier des fautes commises dans une vie antérieure, les pécheurs qui prospèrent se prépareraient une existence ultérieure douloureuse.

Une première remarque s'impose: il s'agit d'une logique mathématique.

Peut-être est-ce pour cette raison que cette théorie a le vent en poupe à notre époque, dont les critères dominants sont la rationalité et la performance.

Pardon et Grâce

La foi chrétienne oppose à cette logique les notions de pardon et de grâce, avec le Dieu d'amour (Jésus) qui a pris sur lui tous les péchés du monde.

Si le Christ n'était pas venu le bon larron aurait dû payer ses dettes et épurer son "karma", le publicain de la parabole ne serait pas justifié alors que le pharisien continuerait à tirer gloire de sa "pureté morale et spirituelle", Marie-Madeleine continuerait à lutter contres ses sept démons, la brebis perdue serait toujours égarée dans le désert, l'enfant prodigue aurait trouvé porte close, et ainsi de suite. Ce serait toujours l'empire de la loi du talion.

Mais le Christ est venu, et avec lui un idéal de compassion et de miséricorde. Il paraît d'ailleurs que le bon larron gracié par le Seigneur ne s'en est toujours pas remis, lui à qui Jésus a déclaré avant de mourir: "Dès ce soir tu seras avec moi dans mon paradis" (Luc 23,43).

Faut-il pour autant considérer que la miséricorde du Seigneur l'emporte toujours sur sa justice ? Non bien sur, sinon il n'y aurait pas de justice. Mais ce que je voudrais faire ressortir c'est que l'esprit de l'Evangile nous permet de sortir d'une logique implacable, celle "d'oeil pour oeil, dent pour dent." Sinon personne ne pourrait être sauvé.

Les Talents

Les partisans de la réincarnation interprètent les différences de dons et de talents parmi les hommes en fonction de mérites acquis lors de vies antérieures.

Pour l'Evangile il y a simplement "ceux à qui l'on aura beaucoup donné et à qui il sera beaucoup demandé, et, ceux à qui l'on aura peu donné et à qui il sera peu demandé" (Luc 12,48).

Dans la parabole des talents (Mathieu 25,14-30) seule compte la vertu de les faire fructifier. Les épîtres de Saint Paul nous disent la même chose sur la diversité des dons conférés par l'Esprit-Saint, l'important c'est qu'ils soient mis au service du bien commun.

Pour le Christ, le talent ou le don n'est pas une fin en soi, encore moins un prétexte à la supériorité des uns sur les autres. Il s'agit seulement d'un outil à développer pour rendre service au prochain, un outil permettant également à l'être humain de s'épanouir tout en se rendant utile. Ajoutons également que dans le mot don il y a la notion de cadeau, de gratuité. Le mérite signifie autre chose, différence entre l'inné et l'acquis.

En lien avec ce qui est inné, certains ont voulu démontrer l'existence de la réincarnation par la pratique - sous hypnose - d'expériences de "régression dans le passé". Mais la notion "d'inconscient collectif" a été révélée par la psychanalyse moderne ainsi que la réalité des gènes de nos chromosomes qui gardent en mémoire le patrimoine héréditaire des individus: tant physique que psychique.

A propos des textes

Les partisans de la réincarnation citent évidemment l'histoire de la guérison de l'aveugle-né (Jean 9,1-7). La question est posée à Jésus: "Maître, qui a péché, lui ou ses parents ?" Pour mériter de naître aveugle les gens de l'époque ne voient que deux raisons: une punition de l'homme pour une faute commise avant sa naissance ou bien une punition méritée par ses parents. Jésus ne va pas relever la question, mais il va aborder tout de suite la vraie solution: "Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché; mais c'est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui" (Jean 9,3). Alors le Seigneur guérit l'aveugle.

Les partisans de la réincarnation citent également ce passage de l'Evangile - qui souligne que "Jean le Baptiste est venu avec l'esprit et la puissance d'Elie" (Mathieu 17,10-13) - pour en déduire que Jean le Baptiste était le prophète Elie réincarné.

Il est un mot de vieux français qui n'est guère utilisé que dans la vie des saints; c'est le mot adombrer. Il signifiait d'abord couvrir d'ombre, et on le retrouve dans les vieux textes pour dire que: "l'Esprit-Saint adombra la Vierge Marie" (Luc 1,35).

Il s'agit à travers la "Communion des Saints" (pour reprendre cette expression du Credo) d'une véritable présence intérieure, d'un être dans un autre le soutenant et le guidant.

Il est donc plus simple d'admettre - qu'à travers la Communion des Saints - l'esprit d'Elie était sur Jean le Baptiste, pour le guider et le soutenir.

Ne laissons pas de côté les richesses des enseignements de notre tradition chrétienne et de notre Credo. Les vérités essentielles de la Foi y sont tout ensemble rassemblées. Elles n'attendent qu'à être lues et comprises dans leur simplicité et leur authenticité.

La Résurrection

La Foi chrétienne enseigne la résurrection de la chair. Après la mort l'âme et l'esprit se séparent du corps mais, lors de la régénération (pour reprendre une expression de Jésus - Mathieu 19,28), le corps sera recréé à partir de ce que l'on pourrait appeler une "génétique nouvelle", qui le soustrairont à l'empire de la mort et de la maladie, "le Christ faisant toutes choses nouvelles" (Apocalypse 21,5).

Contrairement à la réincarnation la doctrine chrétienne n'admet pas de jugement après la mort. Les défunts désincarnés sont dans un état provisoire dans l'attente du jugement dernier, puisque selon le Credo et les Evangiles, le Christ reviendra dans la Gloire juger les vivants et les morts.

Ajoutons aussi une chose essentielle. Pour l'univers biblique, corps, âme et esprit forment l'être humain en entier; et surtout: un être unique et irremplaçable.

L'Eglise admet et recommande la prière pour les défunts, dans l'attente du jugement dernier, c'est à dire qu'elle croit que l'être humain peut encore évoluer, se transformer, pour atteindre sans doute, et avec la grâce divine, cette "pleine stature du Christ" dont parle l'apôtre Paul dans son épître aux Ephésiens (4,13). C'est le sens des messes qui sont célébrées pour nos défunts, afin qu'ils puissent grandir et s'élever dans les cieux invisibles, pour accéder finalement au séjour des bienheureux; rejoindre ce que l'apôtre Paul appelle le paradis où troisième ciel. La messe de la Toussaint célébrée le premier novembre est véritablement une action de grâce et de remerciement pour la multitude des justes présents en paradis. Par contre le jour des morts, c'est à dire le deux novembre, l'Eglise prie pour les âmes en peine de l'au-delà, du "purgatoire", c'est à dire ceux et celles qui n'ont pas encore rejoint le paradis.

Le Plan Divin

La providence divine gouverne le monde selon un plan mystérieux où chacun, si modeste soit-il, a un rôle à jouer, pour que se révèlent à la fois le "mystère de l'amour" mais aussi le "mystère de l'iniquité", selon l'expression employée par l'Apôtre Paul (2 Thessaloniciens 2,7)

"Laissez croître ensemble le bon grain et l'ivraie" enseigne Jésus, "les anges feront le tri lors du jugement dernier" (Mathieu 13,30) - à la fin des temps. Il faut d'ailleurs entendre par cette expression de "fin des temps" la fin d'une époque, d'une ère, d'un cycle, celui où l'humanité tout entière est assujettie à la maladie, au péché, à la souffrance et à la mort. Le retour du Christ glorieux et l'entrée dans la résurrection inaugureront le début des temps messianiques.

Annoncé dès l'aube de l'humanité avec la célèbre prophétie de la "postérité de la femme qui écrasera la tête du serpent" (Genèse 3,15), le Christ est venu il y a près de deux mille ans. Il est de plus "descendu aux enfers" entre sa mort et sa résurrection, enseigne le Credo, pour: - "annoncer la bonne nouvelle de l'Evangile aux esprits en prison, qui avaient désobéi jadis, lorsque temporisait la patience divine, aux jours de Noé" (1 Pierre 3,19-20). Remarquons là aussi qu'il n'est point question de réincarnation dans ce passage biblique, mais de délivrance des pécheurs, avec la réalité de la Rédemption par le sang du Christ, la grâce qui ouvre les portes du ciel et... la liberté d'accepter ou de refuser; le Christ propose, invite mais ne force personne à le suivre contre sa volonté.

De quoi s'agit-il pour être chrétien ? Aimer, avoir foi en Jésus-Christ, le reconnaître comme Sauveur et Fils de Dieu, vivre par Lui et en Lui. Les sacrements de l'initiation chrétienne nous y aident (baptême, confirmation, eucharistie, etc), de même notre fidélité au message de l'Evangile.

Se laisser gagner par le Christ, ne pas laisser passer l'opportunité qui nous est donnée de connaître son message et son visage car:

- "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui" (Jean 3,16-17).

- C'est ainsi qu'il nous a choisis en lui avant la fondation du monde, pour être saints et irréprochables devant lui dans l'amour, nous ayant prédestinés à être pour lui des fils et des filles adoptifs par Jésus-Christ selon le bon plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés dans le Bien-aimé." (Ephésiens 1,4-6).

Des points d'interrogation

Si l'univers biblique ne semble pas préoccupé par la question de la réincarnation, des questions nouvelles nées de la contemplation des mystères du cosmos se découvrent aujourd'hui.

L'homme moderne sait les milliards d'étoiles et de galaxies dans l'univers. Alors à travers cette multitudes de mondes semés par la main du Père céleste pourquoi ne pas imaginer la vie ailleurs ? Certes, dans un autre espace et un autre temps, puisqu'en dehors de notre système solaire l'on pénètre dans l'inconnu de l'immensité sidérale, mais de nombreuses questions se posent, et pour l'instant sans réponses... Si le Christ est venu sur la terre il y a deux mille ans de notre temps pourquoi pas ailleurs sur d'autres terres et parmi d'autres êtres semblables à nous ? Vivons-nous plusieurs vies à la fois à travers l'immensité des mondes de l'espace ? Il nous faut rester sur des points d'interrogation.

Le chrétien d'aujourd'hui ne saurait se contenter d'un point de vue étroit et réducteur. Il n'y a pas si longtemps, pour certaines Eglises, tout se passait comme si Dieu était un juge n'ayant à sa disposition que deux sentences: l'acquittement ou la mort; le paradis ou l'enfer. Mais deux mots riches en nuances se sont intercalés entre le paradis et la géhenne: le purgatoire et les limbes. De ces réalités il faut bien avouer que nous ne savons pas grand chose, mais nous savons par l'Evangile que le Dieu de Jésus est avant tout miséricorde, clémence et compassion.

Alors pour paraphraser l'Evangile qui révèle que "rien n'est impossible à Dieu" (Luc 1,37) nous pourrions simplement conclure: "qu'il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentir" (Luc 15,7) - ou encore en citant Saint Augustin: "Dans les choses certaines la vérité, dans les choses douteuses la liberté, mais en tout la charité."


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