De cet événement repérable dans l'Histoire (il est en effet mentionné au premier chapitre du livre des Actes des Apôtres) nous savons peu de choses, sinon qu'il eut lieu quarante jours après Pâques. Jésus fut élevé au ciel et une nuée le déroba sous les yeux ébahis de ses disciples (Actes 1,9).
Que se passa-t-il ensuite pour le Seigneur ? Si l'on excepte le livre de "l'Ascension d'Isaïe", peu de textes abordent le sujet. Cet ouvrage, en grand honneur parmi les communautés chrétiennes du IIème au IVème siècle après Jésus-Christ, occupe une place non négligeable dans la littérature sacrée des débuts du christianisme. Parce qu'il évoque l'Ascension du Seigneur à travers les hauteurs étagées et hiérarchisées de sept mystérieux cieux invisibles - nombre symbolique s'il en est - ce livre mérite notre attention. Mais que sait-on de ces réalités qui sont à des infinis de ce que peuvent percevoir nos sens ?
Remarquons tout d'abord qu'en hébreu ciel se dit et s'écrit toujours au pluriel: - sâmayin; les cieux. Et Jésus a maintes fois - dans les Evangiles - parlé du royaume de son Père, qu'il appelle: "royaume des cieux"... La plupart des paraboles du Seigneur commencent d'ailleurs ainsi: "le royaume des cieux est comparable à..." Comment en effet définir et mettre en équation l'indéfinissable, pour les êtres limités que nous sommes ? Alors Jésus utilise le langage des paraboles. Parfois il se veut très direct et beaucoup plus clair: "il y a beaucoup de demeures dans le royaume de mon Père" (Jean 14,2).
Par ce pluriel de "cieux", l'univers biblique suggère des hauteurs étagées, hiérarchisées, une vie abondante, extrêmement diverse, une activité intense. Dans d'autres cultures on ne conçoit le ciel que comme une sorte d'enveloppe, comme le revêtement du monde terrestre. Pour le peuple de la Bible, les cieux sont tout autre chose qu'un plafond ou un décor étendus sur l'agitation des hommes.
La physique moderne a depuis longtemps émis l'hypothèse d'univers parallèles au nôtre, c'est à dire de continuum spatio-temporels différents se trouvant sur ce qu'on pourrait appeler d'autres "longueurs d'ondes". Que sont les habitants de la cinquième, de la sixième, de la septième, voire de la huitième dimension ? Là où la physique n'est pas encore en mesure d'apporter de réponse la théologie et la mystique ont déjà balisé le terrain.
Un célèbre Père de l'Eglise du IIème siècle - l'évêque de Lyon Saint Irénée - affirme: "Le monde se compose de sept cieux. Y habitent les Vertus, les Anges et les Archanges; ils remplissent les fonctions du culte envers le Dieu bon et créateur de tout. C'est pourquoi est abondante l'habitation de l'esprit de Dieu. Le prophète Isaïe (Isaïe 11,2) énumère sept formes de son culte qui ont reposé sur le Fils de Dieu, le Verbe, au moment de son Incarnation. La première est la Sagesse: elle contient toutes les autres. Moïse en a donné le modèle dans son candélabre à sept branches." (Démonstration Apostolique 12,761)
Ces lignes patristiques lèvent le coin du voile sur des horizons d'une grande richesse. Mais les révélations de Saint Paul sur le troisième ciel que l'Apôtre appelle déjà paradis (2 Corinthiens 12, 2-4), et qui serait le séjour des bienheureux dans l'attente de la parousie (retour du Christ) et du jugement final de l'Humanité sont aussi éloquentes.
Immédiatement après sa résurrection, lors du matin de Pâques, Jésus affirme à Marie-Madeleine qu'il n'est pas encore remonté auprès de son Père (Jean 20,17). Pourtant, le vendredi, lors de son agonie au calvaire, Jésus déclare au bon larron: "Dès ce soir tu seras avec moi dans le paradis" (Luc 23,43). Le Seigneur est donc allé au moins jusqu'au troisième ciel avant sa résurrection, mais le retour au-dessus du septième ciel où "il siège à la droite du Père" (article du Credo) ne s'accomplira que lors de son Ascension, soit quarante jours après Pâques. Jésus ressuscité avait besoin de donner à ses disciples maintes occasions de le revoir, ceci afin de nourrir leur Foi en sa résurrection d'entre les morts.
Si Jésus est monté jusqu'au paradis du troisième ciel avant de ressusciter, il est aussi "descendu aux enfers" (article du Credo). La première épître de Saint Pierre nous révèle que Jésus "est allé prêcher aux esprits en prison, qui avaient désobéi jadis, lorsque temporisait la patience divine, aux jours de Noé" (1 Pierre 3, 19-20) - "Car l'Évangile a été aussi annoncé aux morts, afin que, après avoir été jugés comme les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l'Esprit" (1 Pierre 4,6). La visite du Christ dans ces enfers a ainsi pour but de libérer les âmes des captifs, pour les emmener vers les régions supérieures des cieux invisibles. Le Salut apporté par le Christ s'étend donc au-delà des portes de la mort. On peut encore associer à ce séjour ténébreux le terme de "purgatoire", forgé par l'Eglise d'Occident à une époque récente.
Si l'Eglise admet et recommande la prière pour les défunts, dans l'attente du jugement dernier, c'est qu'elle croit - à la lumière de l'article du Credo sur la "descente aux enfers" du Seigneur - que l'être humain peut encore évoluer, se transformer, pour atteindre sans doute, et avec la grâce divine, cette "pleine stature du Christ" dont parle l'apôtre Paul dans son épître aux Ephésiens (4,13). C'est le sens des messes qui sont célébrées pour nos défunts, afin qu'ils puissent grandir et s'élever dans les cieux invisibles, pour accéder finalement au séjour des bienheureux; rejoindre ce que l'apôtre Paul appelle le paradis où troisième ciel. La messe de la Toussaint célébrée le premier novembre est une action de grâce et de remerciement pour la multitude des justes présents en paradis. Par contre le jour des morts, c'est à dire le deux novembre, l'Eglise prie pour les âmes en peine de l'au-delà, du purgatoire, c'est à dire ceux et celles qui n'ont pas encore rejoint le paradis.La pensée théologique dirigée dans un tel sens nous éloigne des notions où ceux qui sont morts dormiraient dans une espèce d'inconscience. Non ! Les morts de l'Ancien Testament ont pu voir le jour où Jésus est venu: "Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu'il verrait mon jour: il l'a vu, et il s'est réjoui" (Jean 8,56). Ils ont dialogué avec lui: "Élie et Moïse leur apparurent, s'entretenant avec Jésus" (Marc 9,4). Dans ces textes, l'Eglise puise un renforcement de sa certitude en la "communion des saints", certitude qui est d'ailleurs celle d'une autre affirmation du Credo des Apôtres avec le fameux article sur la "descente aux enfers".
Le mot enfer vient du latin infernus, c'est à dire "d'en bas". Il correspond à ce que les hébreux appelaient "shéol", c'est à dire le royaume des morts, domaine où régnait l'obscurité, pas la lumière. On est loin du Paradis du troisième ciel, et ce n'est pas encore l'Abîme, qui est le domaine des anges réprouvés. En (Luc 8,31), lorsque Jésus exorcise le possédé avec sa légion de démon, ceux-ci supplient le Seigneur de ne pas les renvoyer dans l'Abîme. Avec la permission de Jésus, ils entrent dans un troupeau de cochons qui se précipite ensuite dans la mer ! Pourquoi Jésus ne les renvoie-t-il pas dans l'Abîme ? Pourquoi peuvent-ils infester le troupeau de cochons ? Il nous faut rester sur des suppositions. Remarquons tout de même que dans la tradition biblique le cochon est considéré comme un animal impur. Peut-on imaginer un "geste de miséricorde" du Seigneur - dans ce cas précis - pour les démons qui le supplient ?
Qu'est-ce que l'Abîme ? Le séjour où seront enfermés les démons après le jugement final de l'humanité. Il est aussi à remarquer que lors de sa descente aux enfers, Jésus ne descend pas dans le gouffre abyssal. Il s'arrête juste à ses portes: "Après avoir traversé tous les cieux, le firmament et ce monde, je vois le Verbe descendre jusqu'auprès de l'ange qui est dans le schéol et se transformer selon la forme des anges qui sont dans le schéol" "Ascension d'Isaïe 10,8-10). Le Seigneur s'arrête donc avant l'Abîme.
Sous le premier ciel atmosphérique et sidéral, celui que nous apercevons en levant les yeux, le firmament pose la limite que ne peuvent franchir les anges déchus: "Et je le vis lorsqu'il arriva au firmament où habite le prince de ce monde" (Ascension d'Isaïe 10,29).
L'expression "prince de ce monde" est aussi utilisée par Jésus - dans l'Evangile de Jean - pour désigner l'antique adversaire de la race humaine, le Satan (Jean 12,31 et 16,11). Il ne faut donc pas sous-estimer la puissance du mal ici-bas, l'actualité nous le démontre tous les jours. Le monde terrestre où nous naissons et existons dans le péché, est infesté par les innombrables puissances sous-ciel de Satan (Apocalypse 12, 7-9). L'Apôtre Paul nous révèle dans son épître aux Ephésiens que l'air est le domaine des démons: "Revêtez l'armure de Dieu pour pouvoir résister aux manoeuvres du diable. Car ce n'est pas contre la chair et le sang que vous avez à lutter, mais contre les puissances de l'air" (Ephésiens 6, 11-12).
Fort heureusement, l'action des forces du mal est salutairement contrebalancée par l'oeuvre des puissances angéliques favorables à l'être humain, ce que Jésus explique dans la parabole du bon grain et de l'ivraie. Dans le coeur de l'homme, comme dans son corps marqué par la maladie, le combat du bien et du mal se déroule à travers une lutte qui s'achève en général à la mort. La crucifixion du Seigneur et sa descente aux enfers en sont un signe.
Puisque le Fils de Dieu est venu apporter le Salut à l'Humanité, il nous importe d'être attentifs aux moyens de grâce offerts à l'être humain. Le premier nous le savons est l'amour, qui permet d'oeuvrer en faisant du bien à son prochain. C'est d'ailleurs le grand commandement du Dieu Sauveur, que nous nous aimions les uns les autres. Il y a aussi le signe du baptême, là aussi l'Evangile nous révèle l'importance gigantesque de ce sacrement: "Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint il ne peut entrer dans le royaume de Dieu" (Jean 3,5). Il ne faut donc pas, en tardant à faire baptiser un enfant qui vient de naître, l'exposer à mourir sans avoir reçu ce sacrement. La tradition de l'Eglise, unanime pendant près de vingt siècles, veut qu'il soit baptisé le plus vite possible.
On a dans le passé - au sein de l'Eglise d'Occident - longtemps parlé des limbes, pour évoquer le séjour des enfants morts sans le baptême. Où se situe cette dimension ? Qu'en savons-nous ? Pas grand chose il est vrai. Mais si la tradition ecclésiale a introduit une distinction entre les termes limbes et purgatoire, c'est que le "séjour" des limbes est certainement plus "doux", en tout cas qu'il se situe par delà la barrière du firmament, cette limite que les forces démoniaques ne peuvent franchir. S'agit-il du premier ou du deuxième ciel? L'Eglise terrestre n'est pas en mesure d'offrir une réponse.
Le livre de l'Ascension d'Isaïe évoque les anges portiers de chaque ciel à qui il faut remettre ses "passeports" pour accéder à une nouvelle dimension céleste. Le baptême constitue-t-il l'un de ces passeports ? Oui sans doute, mais en partie seulement. Sans la foi, l'espérance et l'amour que serait l'être humain ? Enfin il y a la grâce, et cette affirmation de Jésus que: "Rien n'est impossible à Dieu" (Luc 1,37).
Autrement dit, le mystère de la destinée future de l'être humain par delà les portes de cette vie terrestre est avant tout entre les mains du Seigneur: "Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis - disait Jésus à ses apôtres - mais réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux" (Luc 10,20).
Parmi les défunts du troisième ciel (paradis) il semble également que certains peuvent - en raison de leur sainteté ou d'une permission spéciale donnée par le Seigneur - monter beaucoup plus haut: "Je me réjouis d'une grande joie parce que ceux qui aiment le Très-Haut et Son Bien-Aimé monteront dans le septième ciel à leur fin dernière, par Gabriel, l'ange de l'Esprit-Saint" (Ascension d'Isaïe 7,23) - "Quand je fus au septième ciel, un des anges qui se tiennent là me montra des livres et les ouvrit. Les livres n'étaient pas écrits à la manière de ceux de ce monde. Il me les donna, et j'y lus: les actes des enfants d'Isarël étaient écrits, et aussi les actes de ceux que tu ne connais pas. En vérité, dis-je, il n'y a rien de ce qui se fait dans le monde qui soit caché au septième ciel" (Ascension d'Isaïe 9, 22-23).
Par-delà le septième ciel, les yeux de notre prière peuvent encore contempler la "demeure" divine, là où Jésus siège "à la droite du Père" (pour reprendre la célèbre expression du Credo). Enfin n'oublions pas Marie, "Mère de Dieu" (selon le titre donné par le concile oecuménique d'Ephèse en 431), dans toute sa gloire revêtue à l'Assomption, elle qui se tient au-dessus des anges les plus élevés, "reine des anges" proclame la liturgie de l'Eglise d'Occident (tradition catholique), "plus vénérable que les chérubins et plus glorieuse incomparablement que les séraphins" chante l'Eglise d'Orient (tradition orthodoxe).