Lazare, Marthe et Marie-Madeleine, ces prénoms sont familiers aux croyants. Issus d'une même famille et intimes du Christ ils font partie des principaux personnages des Evangiles. Ce qui est peu connu en revanche, c'est leur venue dans le sud-est de la France après l'Ascension de Jésus.

Ils participent aux racines de l'Eglise Gallicane, au même titre que Saint Martial en Aquitaine ou Sainte Véronique dans le Médoc. Cette étude va s'attacher à lever un coin du voile sur l'histoire des premiers chrétiens en Provence.

La Tradition

Les Evangiles ne peuvent pas tout dire, tout raconter… Jésus lui-même n'a jamais rien écrit, sauf peut-être, le prénom de sa mère, sur le sable, en sauvant la vie à la femme adultère (Jean 8, 1-11). Ils ne disent que l'essentiel, pour nourrir la Foi des croyants, et ne furent écrits que plusieurs dizaines d'années après l'Ascension du Seigneur, au moment où la première génération chrétienne disparaissait. Il était urgent de fixer par écrit l'indispensable. Mais l'histoire de l'Eglise repose également sur des traditions, transmises de génération en génération. Elles méritent notre respect et notre attention.

Par exemple, la version courte du Symbole de la Foi (credo) est attribuée aux Apôtres. La tradition orale de l'Eglise, consignée par les Pères, rapporte qu'avant de se disperser dans les différentes parties du monde pour y semer l'Evangile, les Apôtres composèrent un résumé de la Foi ou Symbole des Apôtres. "Ce que l'Eglise Universelle a toujours cru, et ce qui n'a été établi par aucun concile, nous vient des Apôtres." (Saint Augustin - IVème siècle - dans : "Du baptême contre les donatistes" - livre 4,24). Et Saint Irénée (IIème siècle) parle d'une "règle de la vérité" que tout néophyte reçoit dans le baptême.

Autre exemple : la pratique du baptême des petits enfants. Cet usage est attesté par Origène (IIIème siècle) : "C'est des apôtres qu'est venue la coutume de baptiser les petits enfants". (Origène, sur Romains Comment. V,9)

La tradition est donc un élément essentiel à l'histoire et à la vie de l'Eglise.

Les Personnages

La tradition de la venue en Provence de Lazare, Marthe et Marie-Madeleine repose principalement sur un manuscrit attribué à Raban-Maur, évêque de Mayence au VIIIème siècle, (document conservé par l'Université d'Oxford et découvert en 1842 par l'Abbé Faillon).

Selon cette source, la mère de nos trois personnages appartenait à la race royale de David et s'appelait Eucharie. Le père de Marthe se nommait Théophile, il était d'origine princière et occupait une importante situation en Syrie. Lazare et Marie étaient nés d'un autre père, son nom n'est pas connu.

Le manuscrit de Raban Maur indique qu'ils "possédaient un riche patrimoine : beaucoup d'argent, beaucoup d'esclaves, la plus grande partie de Jérusalem, et trois domaines hors de cette ville : Béthanie dans la Judée, Magdalon en Galilée, sur la gauche de la mer de Génézareth, et un autre Béthanie au-delà du Jourdain, dans ce lieu de la Galilée où Jean donnait le baptême."

Lazare reçut sa part d'héritage à Jérusalem, Marthe fut à Béthanie en Judée et Marie eut les biens de Galilée à Magdalon.

D'après Raban Maur, Marthe, sage et active, administrait la fortune de son frère et de sa sœur. Elle exerçait de bon cœur l'hospitalité et distribuait aux pauvres d'abondantes aumônes. Lazare menait la vie des riches seigneurs de son temps. Tous deux résidaient à Béthanie, en Judée.

Marie aurait vu le jour la même année que Jésus. Plus tard, vivant dans le luxe et les plaisirs, elle serait devenue un objet de scandale pour tous. Le nom de "pécheresse de Magdalon" l'accompagnait. Jésus qui, comme l'enseigne l'Evangile "n'est pas venu appeler des justes, mais des pécheurs" et "chercher et sauver ce qui était perdu", lui apporta le salut. L'Evangile de Luc rapporte cette rencontre, baignée de tendresse et de générosité :

- "Un pharisien pria Jésus de manger avec lui. Jésus entra dans la maison du pharisien, et se mit à table. Et voici, une femme pécheresse qui se trouvait dans la ville, ayant su qu'il était à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d'albâtre plein de parfum, et se tint derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait; et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les baisa, et les oignit de parfum. Le pharisien qui l'avait invité, voyant cela, dit en lui-même: Si cet homme était prophète, il connaîtrait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, il connaîtrait que c'est une pécheresse. Jésus prit la parole, et lui dit : Simon, j'ai quelque chose à te dire. - Maître, parle, répondit-il. - Un créancier avait deux débiteurs: l'un devait cinq cents deniers, et l'autre cinquante. Comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel l'aimera le plus ? Simon répondit: Celui, je pense, auquel il a le plus remis. Jésus lui dit: Tu as bien jugé. Puis, se tournant vers la femme, il dit à Simon : Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as point donné d'eau pour laver mes pieds; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as point donné de baiser; mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a point cessé de me baiser les pieds. Tu n'as point versé d'huile sur ma tête; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. C'est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés : car elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on pardonne peu aime peu. Et il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés. Ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : Qui est celui-ci, qui pardonne même les péchés ? Mais Jésus dit à la femme : Ta foi t'a sauvée, va en paix." (Luc 7,37-50).

Plus loin dans son Evangile, Luc présente l'entourage de Jésus : "Les douze étaient avec lui et quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits malins et de maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons." (Luc 8,2) La pécheresse de Magadalon (dite de Magdala dans les Evangiles), allait devenir Sainte Marie Magdelaine (ou Madeleine) selon les traductions. Et Marc, en évoquant la résurrection du Christ indique que "Jésus étant ressuscité le matin du premier jour de la semaine, apparut d'abord à Marie de Magdala, de laquelle il avait chassé sept démons." (Marc 16,9).

Parmi ces femmes qui avaient été sauvées par Jésus se trouvait celle qui avait été guérie de son infirmité à l'instant même où, perçant la foule, elle était parvenue à toucher la frange du manteau du Christ. Elle se nommait Marthe, comme la sœur aînée de Marie Magdelaine, et habitait à Césarée, en Syrie. (Annales eccl. Baronius An. 31)

Pour perpétuer la mémoire de ce miracle accompli en sa faveur, elle fit faire et placer devant sa maison un monument décrit ainsi dans la vie de Sainte Magdelaine par Raban Maur :

- "On voyait sur un piédestal une figure d'airain en relief, représentant cette même femme à genoux, les mains étendues, comme suppliante ; devant elle une statue d'airain qui a l'extérieur d'un homme vêtu d'une robe traînante, drapée avec art, et qui tend la main à la femme."

L'historien Eusèbe de Césarée mentionne ces statues dans un écrit adressé à l'Empereur Constantin. Sozomène, historien du Vème siècle, qui vivait en Palestine, écrit qu'elles existèrent jusqu'à l'Empereur Julien l'Apostat, qui les fit détruire. D'autres auteurs, grecs et latin citent ces faits : Ruffin, Léon l'Isaurien, Théophane de Céramée.

L'Evangile parle à plusieurs reprises de Marie Magdelaine et montre l'intimité qui existait entre Jésus et les membres de la famille de Béthanie, chez lesquels il recevait souvent l'hospitalité et pour lesquels il accomplit son plus éclatant miracle : la résurrection de Lazare (Jean 11,1-45).

Ces affinités du Christ avec telle ou telle personne ou famille, Jean (le disciple que Jésus aimait, selon l'auteur de l'Evangile du même nom), Lazare, Marthe, Marie Magdelaine, rappellent qu'en tant qu'homme, à travers son incarnation, le Fils de Dieu pouvait éprouver un attachement plus fort envers tel ou telle. De là à imaginer une histoire d'amour entre le Christ et Marie Magdelaine ? Certains y ont cru. Respectons la vie privée de Notre Seigneur et laissons un voile de pudeur reposer sur ce qui, après tout, n'est qu'une hypothèse.

Renvoyons nos lecteurs aux évènements connus de tous les chrétiens. Il n'est pas nécessaire de nous y étendre davantage. Arrivons maintenant aux traditions de l'Eglise et des peuples de la Provence.

Arrivée en Provence

Les traditions rapportent qu'après l'Ascension du Seigneur, Lazare et ses sœurs vécurent un temps en Palestine auprès de Marie, la mère Jésus. Elles attestent également que Lazare, craignant pour sa nouvelle vie, fut obligé de se cacher. Ressuscité d'entre les morts par Jésus il demeurait un signe évident de la puissance miraculeuse du Fils de Dieu. C'était pour les adversaires de la jeune Eglise une personnalité à faire disparaître, au plus vite.

Lors de la première persécution, dont le martyre du diacre Etienne fut le signal, Lazare et ses sœurs quittèrent le pays par voie maritime. Ils n'étaient pas seuls. Se remémorant la prophétie du Christ annonçant que la Palestine serait bientôt ravagée, d'autres chrétiens, dont Trophime et Maximin (deux des 72 disciples), Marcelle (servante de Marthe), Sidoine (l'aveugle-né guéri par Jésus), Marie Jacobé et Marie Salomé (toutes deux parentes de la mère du Christ), Sarah (servante de Marie Salomé), les suivirent.

La tradition les fait arriver près de l'embouchure du Rhône, sur la plage où a été bâtie l'église de Notre Dame de la Barque, appelée aujourd'hui église des Saintes Maries de la mer. Le but premier du voyage devait être Marseille. Les relations avec la cité phocéenne étaient faciles à cause du commerce pratiqué entre son port et les rivages de la Méditerranée. La fortune personnelle de Lazare, Marthe et Marie Magdelaine favorisa certainement cet exode, mais aussi l'installation sur la terre des Gaules de ces aventuriers de la Foi.

Les Saintes Maries

Ces voyageurs venus de loin commencèrent par édifier un Oratoire à l'endroit de leur arrivée. Une source d'eau favorisait leur installation. La petite troupe se sépara ensuite, seules restèrent Marie Jacobé et Marie Salomé avec leur servante Sarah. Elles vécurent et moururent en ce lieu où la Providence les avait fait débarquer.

La tradition qui fait aborder en Camargue Sainte Marie Jacobé, Sainte Marie Salomé et Sainte Sarah et qui fixe leur demeure près d'un oratoire construit par les premiers apôtres de la Provence n'est confirmée par aucun document antérieur aux dévastations des Sarrasins. Si preuves il y avait, elles furent détruites. Mais cette croyance a existé depuis les temps les plus reculés. C'est ce qu'on appelle la tradition.

Gervais de Tilbury, gouverneur du royaume d'Arles vers 1495 parle dans ses "Otia Imperii" de la sépulture des Saintes Maries à Notre Dame de la Mer comme d'un fait tenu alors pour certain.

- "La Provence narbonaise, écrit-il, offre à l'endroit où le Rhône se jette dans la mer, les îles Slicados nommées vulgairement Camargue… Là, sur le rivage, on voit la première église du continent qui ait été fondée en l'honneur de Marie, la très sainte Mère de Dieu, et consacrée par plusieurs des 72 disciples chassés de la Judée et exposés sur la mer : Maximin d'Aix, Lazare de Marseille, frère de Marthe et de Magdelaine, Eutrope d'Orange, Georges de Vellay, Trophime d'Arles, en présence de Marthe et de Marie Magdelaine et de plusieurs autres. Sous l'autel de cette basilique, fait par elle de la terre pétrie et couvert d'une table de marbre de Paros, où est une inscription, il y a, selon une antique tradition pleine d'autorité, six têtes de corps saints, disposées en carré. Les autres membres sont enfermés dans leur tombeaux, on assure que ce nombre sont les Maries, qui, le premier jour après le sabbat, vinrent avec des parfums, au tombeau du Sauveur."

Guillaume Durand, évêque de Mende, légat de Grégoire X au concile de Lyon en 1274 parle dans - Rationale divinorum officiorum - de Notre Dame de la Mer, et de l'autel de terre qu'élevèrent en ce lieu Marthe, Marie Magdelaine et Marie Salomé.

Si Gervais de Tilbury fait remonter l'église des Saintes Maries aux premiers apôtres de la Provence, aucun document ne vient à l'appui de cette assertion. Mais il est constant que les archéologues sont très embarrassés pour en déterminer la date. Plusieurs d'entre eux inclinent à penser que cet édifice armé de créneaux, de mâchicoulis et de meurtrières, a existé avant les incursions meurtrières des Sarrasins. Et assurément, lorsqu'on examine les chapiteaux correctement sculptés, où on retrouve à côté des sujets chrétiens des allégories païennes, on est tenté de croire, avec Gervais de Tilbury, que cette église est la première qui ait été dédiée à la mère de Dieu par les disciples du Christ venus en Provence.

La source enfermée dans son enceinte, le groupe mutilé représentant deux femmes dans une nacelle (navire), que l'on voit à l'extrémité du toit au couchant, le nom de Notre Dame de la Barque donné autrefois aux Saintes Maries, sont autant de témoignages très anciens en faveur des traditions locales, au moins de celle qui fait aborder les Saintes femmes en ce lieu.

Il est encore à remarquer qu'un pèlerinage existe de temps immémorial. Il est indiqué dans le testament de Guillaume, comte de Provence (992). Saint Césaire d'Arles fait aussi une donation au monastère de Notre Dame de la Barque par son testament de 542.

Lazare à Marseille

Avant d'arriver à Marseille, Lazare serait d'abord passé par l'île de Chypre. Le bréviaire des anciens moines de Béthanie à Jérusalem et celui de l'abbaye de Saint Victor à Marseille donnent la même version. Elle remonte à Saint Cassien, mort vers 440 après Jésus-Christ et fondateur de cette abbaye. Il avait parcouru la Palestine et passé plusieurs années au monastère de Bethléem.

La présence de Lazare à Marseille est aussi attestée par les actes de l'Eglise de Brescia, à propos d'Alexandre, martyrisé sous Néron par le préfet Félicien.

- "Alexandre, né à Brescia d'une famille illustre, et instruit des vérités de la religion chrétienne, alla à Marseille encore adolescent, auprès du bienheureux Lazare, évêque de cette ville, lorsque l'empereur Claude persécutait les chrétiens. S'étant rendu à Aix, auprès du bienheureux Maximin, et ayant été affermi par lui dans la Foi et enflammé d'ardeur de souffrir le martyre pour Jésus-Christ, il retourna à Brescia."

On ne sait pas grand chose de l'épiscopat de Lazare à Marseille. Les écrits du temps n'ont pas survécu à l'histoire mouvementée des hommes. Seule la liturgie des Eglises d'Autun et de Nantes parle de son martyre qui aurait eu lieu sous Domitien. On y lit que cet empereur aurait ordonné de persécuter les chrétiens. Le bréviaire d'Autun indique que Lazarre fut conduit devant les juges, battu, traîné dans toute la ville et enfermé dans une prison obscure et souterraine. Condamné à mort il eut la tête tranchée. Il aurait vécu jusqu'à l'âge de 94 ans.

La possession du corps de Lazare par la ville de Marseille avant le ravage des Sarrasins ressort de l'acte de consécration de l'église de Saint Victor en 1040, époque à laquelle l'abbaye fut relevée de ses ruines.

Le pape Benoît IX présent à la cérémonie dit dans sa bulle "Ides" d'octobre de la même année que, d'après plusieurs livres ecclésiastiques encore conservés, l'abbaye de Saint Victor avait possédé autrefois les reliques des saints martyrs Victor et ses compagnons, et aussi de Saint Lazare, ressuscité par Notre Seigneur Jésus-Christ.

Dans la même bulle, le monastère de Saint Victor remonterait au temps d'Antonin, mort l'an 138.

Une crypte existe sous l'église Saint Victor, non loin du port. Un siège taillé dans le roc et nommé la "Confession de Saint Lazare" rappelle l'endroit où Lazare avait prié et instruit les premiers disciples du Christ à Marseille. Cette crypte a bien le caractère du temps des premiers chrétiens de l'antiquité.

Sainte Marthe

Accompagnée de sa servante Marcelle, Marthe suivit Trophime à Arles et enseigna l'Evangile aux riverains du Rhône, à Avignon et à Tarascon. Selon la légende elle délivra la ville d'un monstre que la tradition a nommé : la Tarasque. Toujours selon la légende, le monstre chassé de la grotte de Magdelaine par l'archange Saint Michel se cachait dans les îles du Rhône et jetait partout l'épouvante. Marthe l'aurait capturé "en lui attachant au cou le ruban de sa ceinture". Les habitants du pays, "enhardis par ce miracle" auraient alors tué le monstre.

Sainte Marthe a-t-elle délivré les rives du Rhône d'un animal fantastique ? Dans toute légende, il existe un fond de vérité. La Tarasque était-elle un crocodile inconnu des habitants de la contrée, égaré dans les eaux du Rhône, bien loin des rives du Nil, transporté avec d'autres animaux pour les jeux du cirque romain ? Aujourd'hui la télévision montre les chasseurs de crocodile maîtrisant ces animaux en fermant leur gueule à l'aide de sangles. Marthe, native du Moyen-Orient devait connaître le moyen de réduire le danger de ces redoutables sauriens.

Les rives du Rhône ayant été délivrées de la Tarasque, la sainte s'y établit, construisit un oratoire sur le côté sa maison. Cet oratoire serait aujourd'hui partie intégrante de l'église basse de Tarascon, avec le tombeau de Sainte Marthe à l'intérieur. De son vivant, la sainte aurait accompli de nombreux miracles, sans négliger les pratiques de charité et d'hospitalité qui signent sa présence dans les Evangiles. Les indigents et les voyageurs trouvaient toujours asile chez l'illustre hôtesse de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Au temps du roi Clovis 1er le tombeau de Sainte Marthe vénéré dans la crypte de l'église de Tarascon était célèbre pour la grandeur et le nombre de ses miracles. Le roi lui-même aurait été guéri d'un mal très grave près de ce tombeau. En reconnaissance du prodige, il aurait donné de grands biens à l'église et accordé des privilèges à la ville de Tarascon.

D'après Raban Maur le départ pour la Gaule des premiers apôtres fut volontaire. Les disciples et les saintes femmes, parmi lesquelles étaient Sainte Marthe et Sainte Marcelle, "s'abandonnèrent aux flots et abordèrent heureusement dans la Viennaise auprès de la ville de Marseille, dans l'endroit où le Rhône se jette à la mer."

"Après avoir invoqué Dieu, ils se partagèrent, sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, les provinces du pays où les avait poussé le même Esprit. Maximin eut Aix, la métropole de la seconde Narbonaise, où Magdelaine finit sa vie mortelle… Saturnin eut Toulouse… Trophime Arles… Front Périgueux… etc… Parmenas avec Marthe, la vénérable servante du Sauveur, se retira à Avignon, ville de la province Viennoise, ainsi que Marcelle, suivante de la sainte…"

Il semble difficile de mettre en doute qu'en effet Marthe ait fondé le christianisme dans cette partie de la Provence ; la liturgie fait remonter jusqu'à elle les églises d'Avignon et de Tarascon.

Il y avait sur la façade principale du portail de la cathédrale d'Avignon, une inscription en vers rimés, aujourd'hui détruite, mais dont le texte est conservé à la bibliothèque de Carpentras, qui confirmait cette tradition :

Avenniacam per Martham
Ab errore tractam
Verbi sacri semine

Sainte Marie Madeleine

Marie Magdelaine suivit Maximin à Aix. Selon la tradition des églises de Provence elle se retira près de son frère Lazare, évêque de Marseille, dans une grotte voisine de cette ville, aux Aigalades. Il semble que la renommée qui s'attachait à son nom, déjà vénéré des chrétiens, y amena de nombreux visiteurs. Elle aspirait à la prière d'oraison et à la contemplation. Plus tard, son désir de vivre dans une solitude plus complète se réalisa lorsqu'elle s'installa dans une caverne très difficile d'accès appelée aujourd'hui Sainte Baume, du mot provençal Baumo ou grotte.

Elle y aurait vécu trente-trois années, dans la prière et la contemplation.

Une multitude de légendes et de faits extraordinaires se greffent sur cette vie orante et solitaire, amplifications dues sans doute à l'imagination fertile des provençaux : les anges la transportent dans la grotte de la Sainte Baume, l'archange Michel chasse un dragon présent dans la caverne, sept fois par jour les anges élèvent Magdelaine dans les airs au sommet du rocher appelé le Saint Pilon, elle ne prend aucune nourriture, sa chevelure croît à mesure que ses vêtements tombent en lambeaux et bientôt les remplacent complètement.

Quelle conclusion peut-on en tirer ? Bien que le séjour de Sainte Magdelaine dans la Sainte Baume ne puisse être prouvé, il est dans la croyance des peuples de la Provence depuis des temps trop reculés et trop rapprochés de l'époque où elle a pu habiter le pays. Il existe donc quelque fondement à ces croyances.

La sainte mourut-elle dans son isolement ? Ou se rendit-elle, comme le rapporte la tradition auprès de Saint Maximin lorsque sa fin fut prochaine ? Sa mort lui fut-elle annoncée par Jésus-Christ lui-même comme le veut la légende ? C'est ce qu'il est impossible d'affirmer.

D'après Raban Maur elle aurait été inhumée au lieu où vivait aussi dans la retraite le saint évêque d'Aix :

- "L'évêque Maximin, dit Raban Maur, mit dans un magnifique mausolée son très saint corps, embaumé avec divers aromates, et il fit élever ensuite sur ces bienheureux membres une basilique d'une belle architecture. Lorsqu'il vit approcher le temps auquel il devait être enlevé de ce monde, ainsi que le Saint-Esprit le lui avait fait connaître, pour recevoir du Souverain Juge la récompense de ses travaux, il ordonna qu'on préparât sa sépulture dans cette même basilique, et qu'on plaçât son corps auprès du mausolée de la bienheureuse amie de Dieu."

D'après Gallia Christina, autour de cette basilique et de ce tombeau un monastère fut établi par Saint Cassien de Marseille (Vème siècle). C'est à lui, croit-on, que revient l'honneur d'avoir introduit en Provence la vie des cloîtres. Pour honorer Saint Lazare, il fonda son premier couvent à Marseille, près de la crypte où reposaient les restes du saint évêque (Annales Massilliennes).

Quoi qu'il en soit, le monastère de Saint Maximin existait au Vème siècle et Saint Macaire en a été le premier abbé selon les Annales de l'église d'Aix.

Ce monastère fut ensuite détruit par les Sarrasins. Il n'y avait plus au dixième siècle, sur l'emplacement qu'il avait occupé, qu'une humble dépendance de l'abbaye de Saint Victor de Marseille.

Quant, au VIIIème siècle, les barbares après avoir franchi les Pyrénées s'avancèrent vers la Provence, en dévastant les églises, en profanant les reliques, les moines de Saint Maximin crurent prudent de cacher les saints corps dont ils avaient la garde.

En grand secret, pendant la nuit, ils transportèrent les restes de Magdelaine, de son tombeau dans celui de Saint Sidoine, au fond de la crypte, et ils comblèrent la crypte. Eux-mêmes disparurent ensuite avec leur monastère.

Les siècles passèrent dessus. Laissons le voile du silence reposer sur les linceuls, partageant avec l'Evangile la croyance qu'il faut : "laisser les morts enterrer les morts" (Luc 9,60 et Mathieu 8,22). Même si les restes de Sainte Magdelaine auraient été retrouvés en 1279 à Saint Maximin, nous ne souhaitons davantage nous pencher sur ces recherches.

La tradition des peuples de la Provence est d'une grande richesse, c'est surtout ce que nous avons voulu montrer dans cette étude.


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