La loi de 1905

Le 9 décembre 1905, la France vote une loi entérinant le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat. Les dispositions quasi-draconiennes du Concordat napoléonien sont désormais abolies: "La République assure maintenant la liberté de conscience" - article 1- "La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte" - article 2.

Lors des débats parlementaires préparatoires, le 4 avril 1905, le député Maurice Sibille déclare: "Nous républicains, nous n'avons pas à favoriser telle ou telle religion; nous n'avons qu'à garantir la liberté de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances". La plupart des élus se montrent d'ardents défenseurs du principe même de la séparation. Le but du législateur est avant tout de prévenir le peuple contre les excès d'un catholicisme "à la Syllabus".

Rappelons que l'encyclique Quanta cura publiée par le pape Pie IX le 8 décembre 1864 était accompagnée d'un document annexe, le "Syllabus" ou "Catalogue des principales erreurs de notre temps". Non seulement le Syllabus condamnait à l'avance le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, mais il souhaitait implicitement que la religion catholique-romaine soit considérée comme l'unique religion de l'Etat, à l'exclusion de toutes les autres.

Il ne fut donc pas étonnant d'entendre certains élus prendre la parole espérant: "Une résurrection dans l'avenir du vieil esprit de l'Eglise Gallicane, qu'on a pu croire étouffé entre l'enclume du Concordat ou le marteau des Jésuites, mais qui pourrait en des circonstances meilleures retrouver quelque chose de son esprit de résistance et d'opposition aux prétentions dominatrices et tyranniques de la Curie et de l'Eglise de Rome". Eugène Reveillaud - Chambre des Députés - 4 avril 1905.

Les Associations Cultuelles

Entre 1906 et 1907 avec la liberté religieuse érigée au rang de principe par la République, des associations cultuelles formées en dehors de la hiérarchie romaine se constituent.

Que sont les associations cultuelles ?

En vertu de la loi de 1905 les fidèles d'une religion peuvent se constituer en associations dites cultuelles pour gérer les églises et les biens qui permettent le culte.

Près de 200 associations cultuelles catholiques non romaines sont déclarées vers 1907. Elles se regroupent et s'organisent au sein de la "Ligue des Catholiques de France", dirigée par le journaliste Henri des Houx, puis au sein du "Secrétariat des Associations Cultuelles Catholiques" dirigé par l'abbé Félix Meillon et l'avocat Bonzon.

Mais l'application de la loi sur les cultuelles se heurte à l'hostilité déclarée du Vatican. L'encyclique Gravissimo du pape Pie X s'oppose à toute association cultuelle. La polémique s'en mêle, la presse catholique et conservatrice tire à boulets rouges sur tout ce qui n'est pas "dans la ligne".

Intervention de Monseigneur Vilatte

Henri des Houx fait alors appel à un archevêque non romain venu d'Amérique pour structurer le mouvement. Il s'agit de Joseph-René Vilatte, ordonné à l'épiscopat en 1892.

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L'archevêque arrive à Paris début 1907 et s'applique tout d'abord à attester la validité de son ordination épiscopale. En réponse à un article du "Figaro" qui l'avait attaqué il répond: - "Mes pouvoirs sont valides; je les tiens du Patriarche d'Antioche. Le doute atteindrait la validité des consécrations et ordinations que j'espère faire à Paris avant de retourner aux Etats-Unis. Je suis prêt à faire la preuve devant toute juridiction compétente de la régularité de ma consécration épiscopale et de la validité de mes pouvoirs apostoliques. Je mets au défi de m'opposer le moindre argument." - Journal "Signal" - numéro du 20 janvier 1907.

Le 23 janvier 1907 l'association cultuelle de l'Eglise Catholique Apostolique et Française est déclarée à la Préfecture de Paris. Sa circonscription s'étend sur toute la capitale. Le Président s'appelle Henri Fillol, il est chef de section de la Banque de France.

Plusieurs prêtres entourent et soutiennent Mgr Vilatte. L'un d'eux, l'abbé Roussin, est né dans la Drôme ou il a été successivement professeur et vicaire dans le diocèse de Valence; il a déjà publié en 1906 à la librairie protestante Fischbacher un ouvrage d'esprit franchement gallican: "Catholiques non romains et Catholiques romains"; avec comme sous-titre: "Contre la confession selon le mode romain et le célibat obligatoire." Un autre prêtre, Ruelle, vient du diocèse de Nice. L'abbé Anselme Darragon a été missionnaire apostolique. L'Abbé Duhamel travaille comme fonctionnaire au Ministère des Colonies après avoir quitté l'Eglise Romaine.

La cultuelle parisienne fait célébrer le culte dans l'église du 22 bis rue Legendre (aujourd'hui Saint Charles de Montceau). Le liquidateur Lecouturier, beau-frère du propriétaire du journal Le Matin, accorde le bail de cet édifice à l'Abbé Roussin. Le 31 janvier Mgr Vilatte porte plainte contre le "comité des militants du devoir chrétien" qui engage les catholiques à manifester. La première messe doit avoir lieu le dimanche 3 février.

Lors de la messe du 3 février l'Abbé Roussin déclare que c'est le culte catholique qui va être célébré; il ajoute également: "Nous sommes tolérants..., nous ne dirons rien qui puisse offenser les croyances des autres; nous espérons bien qu'on agira de même avec nous, car nous sommes absolument sincères... Je dois adresser ici des remerciements à Mgr Vilatte, qui voulut bien quitter sa patrie pour nous prêter le concours que nous réclamions de lui. Il a été sacré par un archevêque et deux évêques, tous dépendants du primat d'Antioche, successeur direct de Saint Pierre... Nous sommes constitués ici conformément aux prescriptions de la loi de 1905. J'espère que vous ne m'obligerez pas à réclamer l'intervention de la police... Le catholicisme romain n'est qu'une fraction du catholicisme universel." Mgr Vilatte prend la parole à son tour, il souligne qu'il a arpenté l'Amérique et les Indes pendant les trente-six ans de sa vie missionnaire: "Jamais, s'écrie-t-il, je n'ai trouvé de tribu sauvage qui m'ait empêché de parler. Nous ne nous laisserons pas influencer! Dieu est plus fort que les hommes." Faisant allusion à sa condamnation par Rome, il déclare: "Oui, je suis excommunié, et je ne m'en porte que mieux. Moi je bénis mes amis; quant à mes ennemis, je ne les excommunie pas."

Dès le départ de regrettables incidents se produisent. Au moment où le prêtre gallican commence à célébrer, des bandes d'extrémistes interviennent avec violence. Le 10 février ils hurlent des injures et frappent les fidèles à coup de cannes plombées. Le 16 février on tire la barbe de l'abbé Meillon. Le lendemain le trésorier de la cultuelle est frappé par un journaliste du "Soleil", journal anti-juif et anti-maçonnique. Le lendemain encore on jette des boules puantes pendant la messe. Le jeudi 25 février l'abbé Fillol est roué de coups de cannes et de gourdins par des jeunes gens dont cinq sont arrêtés par la police.

Par contre il faut souligner la fraternelle attitude de l'Eglise Arménienne de France dont l'archimandrite met toutes ses églises à la disposition de Mgr Vilatte.

L'Eglise Vieille-Catholique quant à elle juge sévèrement l'évêque franco-canadien, mais c'est une habitude. L'ancien vicaire du Père Hyacinthe Loyson, l'abbé Volet, fait remarquer à un journaliste du Figaro, Julien de Narfon, que Mgr Vilatte "a été sacré par un patriarche monophysite". Le curé vieux-catholique de Genève, Carrier, écrit lui aussi à ce journaliste pour critiquer les dispositions de l'évêque franco-canadien.

Le mardi 5 mars, un décret de la Congrégation de l'Inquisition renouvelle l'excommunication majeure déjà prononcée le 13 juin 1900 contre Mgr Vilatte lors de la consécration de Paolo Miraglia Gulotti;
le 14 mars l'évêque missionnaire le commente en ces termes: "Cet acte d'exclusion ne m'atteint pas, attendu que ni comme prêtre, ni comme évêque je n'ai fait partie de la communion romaine. L'Eglise de Rome s'arroge un pouvoir de discipline universelle sur les autres Eglises, même séparées d'elles. Je ne puis admettre ni reconnaître ce pouvoir. Je sais que le Christ est mort pour sauver tous ceux qui croient en lui, et non pas seulement ceux qui croient dans le pape, évêque de Rome. Ni ma conscience ni ma volonté ne reçoivent aucun trouble d'anathèmes lancés par une puissance humaine dont de nombreuses Eglises, formant la majorité de la Catholicité chrétienne, refusent d'admettre la domination exlusive. Je prie le Christ, chef unique de cette grande Eglise, de pardonner à ceux qui abusent de son nom, de les détacher de l'esprit de secte et de les rattacher enfin à la communion universelle."

Mgr Vilatte assure également les cultuelles provinciales de son aide. Il en visite certaines. Début mars 1907 il effectue une tournée de confirmation à Puymasson (Lot et Garonne). Il envoie des prêtres, certains font partie de son entourage parisien. L'abbé Duhamel par exemple dessert les paroisses de saint Martin du Puits (Nièvre) et Bethmale-Ayet (Ariège). D'autres viennent se rallier à lui. L'abbé Louis Sterlin, ancien aumônier militaire, ouvre une chapelle à Plainville (Oise) et s'intitule "recteur catholique gallican"; il affirme suivre le même culte que le célèbre Père Hyacinthe Loyson. Le 20 juin 1907 l'association cultuelle de Persan (Seine et Oise) le désigne comme curé. L'abbé Paul Fatome, ordonné prêtre en 1905 par l'évêque suisse vieux-catholique Herzog se rallie à Mgr Vilatte en 1907 et dessert les cultuelles du département de la Corrèze, Saint Cyr la Roche et Beyssac.

A partir du dimanche 17 mars Mgr Vilatte recherche un autre local pour la célébration du culte, la chapelle de la rue Legendre devant être mise en adjudication le mois suivant. Il espère obtenir l'église de Saint Louis d'Antin grâce à la formation d'une association cultuelle qui s'est créée dans la paroisse le 16 janvier. Pourtant, le 3 avril, le bureau de l'association, demande en vain au directeur de cabinet de Clémenceau la jouissance de l'édifice cultuel. L'évêque franco-canadien tente de célébrer le culte dans la salle de la Société de Géographie; elle lui est refusée. Elle a pourtant été utilisée à plusieurs reprises par le pasteur Wagner pour un culte public. Le dimanche 14 avril, la cultuelle parisienne célèbre le culte dans un ancien dépôt de vins. Quelques jours plus tard le culte est célébré dans un local du 51 rue Boursault dédié aux Saints Apôtres comme l'ancienne chapelle. Fin avril Mgr Vilatte procède à des ordinations. Dimanche 5 mai c'est un des nouveaux prêtres, Thers, qui célèbre l'office.

En mai-juin l'évêque franco-canadien part en tournée pastorale en Angleterre, de retour à Paris il ordonne prêtre, le 21 juin, Louis-Marie-François Giraud.

Naissance d'une Vocation

Louis-Marie François Giraud naît à Pouzauges en Vendée le 6 mai 1876. Très tôt il fait preuve de la vocation religieuse. Entré à 16 ans comme frère de choeur au monastère cistercien de Fontgombault, dans l'Indre, il y reçoit les quatre Ordres mineurs. Mais au fur et à mesure qu'il s'initie à la théologie, les contradictions du système de pensée catholique-romain lui semblent évidentes. L'obéissance "per um cadaver" à un pape déclaré infaillible depuis 1870 est contraire à l'ancienne constitution de l'Eglise. Le Frère Giraud en prend acte.

En 1905 le monastère est dispersé. L'année suivante les religieux apprennent l'existence de Mgr Vilatte, venu en France à la rescousse du mouvement des cultuelles. Le Frère Louis se place sous sa juridiction. L'archevêque l'ordonne sous-diacre le 14 octobre 1906, diacre le 19 mars 1907, prêtre le 21 juin de la même année.

Il est intéressant de remarquer que comme Mgr Vilatte, Louis-Marie-François Giraud (né en Vendée), est issu de souche Petite-Eglise. Cela peut expliquer deux choses:
- d'une part une sorte d'inclination naturelle pour le gallicanisme et ses valeurs, d'autre part une affinité d'origine avec Mgr Vilatte.

De 1907 à 1908 les fonctions de l'abbé Giraud sont multiples. Nous le voyons se dévouer tant à la paroisse des Saints Apôtres de Paris que dans des tournées pastorales dont le charge Mgr Vilatte pour ranimer la Foi des communautés dispersées. Il devient extrêmement populaire.

Une anecdote:
dans l'une des paroisses gallicanes des extrémistes envoient chaque matin six jeunes costauds pour bastonner les fidèles qui viennent à la messe de l'abbé Ruelle. Une volée de coups de cannes s'abat sur ceux qui rentrent pour les décourager de leurs "superstitions". Arrive l'abbé Giraud qui s'avance calmement entre les casseurs, reçoit stoïquement les premiers coups, puis négligemment prend chaque canne dans sa main puissante et la brise comme une allumette. Quand les six garçons se voient désarmés ils sont saisis d'une frousse intense et n'osent même pas se sauver. L'abbé Giraud en prend alors un par l'épaule et le fait entrer dans l'église. Là il se met à le raisonner avec tant de conviction et d'à propos qu'il en fait un partisan convaincu.

Il ne faut donc pas s'étonner si lors d'une assemblée des cultuelles (26 septembre 1907) l'abbé Giraud est élu évêque. Il est vraiment l'un des prêtres les plus populaires de Mgr Vilatte. Sa modestie et son humilité lui font pourtant repousser l'ordination épiscopale. Il se sent trop jeune, insuffisamment préparé pour une telle charge. C'est simplement en vicaire général qu'il va continuer à parcourir la France.

Cependant, le mouvement des cultuelles se désagrège lentement, beaucoup n'ont plus qu'une existence des plus précaires; il n'est plus question pour elles de faire exercer le culte dans les églises paroissiales qu'elles ont jadis revendiquées avec tant d'enthousiasme. Petit à petit les procès se multiplient, enlevant un par un sous des prétextes divers les églises au clergé gallican. Les manifestations des fidèles en faveur des prêtres de Mgr Vilatte sont durement réprimées par la police. Même le directeur des cultes, le protestant Louis Méjean s'évertue à faire échouer le mouvement, pour que ne soit pas menacée: "la politique d'apaisement avec le pape..."

Henri des Houx se plaint d'Aristide Briand auquel il reproche d'exécuter la volonté de Rome, selon le témoignage des papiers du nonce Montagnini. Il présente de nombreux documents pour montrer que de nombreux préfets et sous-préfets ont freiné par tous les moyens possibles la constitution d'associations cultuelles dissidentes de Rome et se sont transformés en véritables inquisiteurs de la papauté. Découragé, Mgr Vilatte regagne l'Amérique en 1908. Un nouveau séjour en France lui permet d'ordonner prêtre l'Abbé Brandon le 15 août 1911 à Paris, comme en témoigne le document ci-dessous extrait des archives de notre Eglise.

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Le catholicisme gallican ne subsistera que là où les fidèles auront les moyens de faire construire à leurs frais leurs propres édifices religieux.

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Restauration de l'Eglise Gallicane

Après le départ de Mgr Vilatte pour l'Amérique du Nord en mars 1908, l'évêque-élu Giraud vient encore visiter la paroisse d'Ardin, dans les Deux-Sèvres. Nous sommes au mois de mai; l'abbé Bousquet avait créé une cultuelle l'année précédente. Cette association n'existe plus le 1er février 1909. Seules neuf cultuelles fonctionneraient encore à cette date: Culey (Meuse), Puymasson (Lot et Garonne), Bourg-Vilain (Saône et Loire), Bethmale (Ariège), Piedigriggio (Corse), Ancizes (Puy de Dôme), Saint les Fressin (Pas de Calais), Forey (Nièvre) et l'association de la rue Boursault à Paris dédiée aux saints Apôtres qui émigre au n°18 du Passage Elysée des Arts et au n°2 bis de la rue Berthe.

Nous retrouvons l'abbé Giraud en 1911 à Genève comme vicaire de Monseigneur Jules Houssaye - (Abbé Julio) (consacré à l'épiscopat par Mgr Paolo Miraglia le 4 décembre 1904) et desservant la chapelle d'Aïre. Mgr Houssaye qui appréciait fort ses qualités morales et intellectuelles autant que son dévouement total décide alors de l'ordonner évêque. Mgr Giraud relève alors le drapeau du gallicanisme. Il fonde une église à La Mine (1911), une autre à Gazinet (1914), puis placés sous sa juridiction d'autres lieux de cultes s'ouvrent à Tours (1922), Restigné (1923), Digne (1927), Cannes (1935), Bordeaux (1936), Mios (1938), Aix en Provence (1939), Pessac (1941), Paris et Toulouse (1943).


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