1. L'an 325

C'est ainsi que se désignent encore aujourd'hui les chrétiens issus de la prédication et de l'apostolat de l'Apôtre Thomas aux Indes.

Une ancienne et fort vénérable tradition attribue à cet apôtre l'évangélisation et la fondation d'une Eglise dans la partie sud-ouest de l'Inde actuelle.

L'Eglise Gallicane de Gazinet doit aux chrétiens de Saint Thomas son intégration à l'arbre généalogique de l'Eglise Universelle, c'est à dire la succession apostolique, tout au moins au début de son Histoire. Quelque part ces lignes sont une façon de leur rendre hommage; c'est aussi l'occasion de faire connaître à nos lecteurs l'originalité de cette famille spirituelle: "Il y a beaucoup de demeures dans la Maison de mon Père" (Jean 14,2).

La Mission de Thomas

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Selon le livre des "Actes de Saint Thomas" (récit romantique et apocryphe des oeuvres de Saint Thomas aux Indes - écrit vers 154-222 ap. J.-C. par Bar Disan, de l'Eglise d'Edesse - Asie mineure), alors que les Apôtres étaient réunis dans l'Eglise primévale de Jérusalem les Douze divisèrent le monde connu en plusieurs parties et se partagèrent les nations et régions à visiter et à évangéliser. Le sort désigna Thomas pour les Indes, la légende veut qu'il ait refusé ce lot. Tous étaient satisfaits de la part qui leur était échue sauf Thomas. Les Onze essayèrent de le convaincre, lui rappelèrent l'histoire de Jonas (cf. livre de Jonas, Bible) qui refusait d'obéir à Dieu et de partir prophétiser aux habitants de Ninive; rien n'y fit, Thomas restait inflexible, aussi inflexible que lorsqu'il refusait de croire en la résurrection de Jésus le soir du jour de Pâques.

Finalement le Sauveur lui apparut dans une vision nocturne pour le missionner, lui indiquant qu'il pourrait faire route avec le marchand Abbanès, ambassadeur du roi Gundaphar (personnage historique ayant régné sur une partie de l'Inde durant le premier siècle après Jésus-Christ, des pièces de monnaie portent son nom). Thomas finit par accepter.

Il est attesté que l'Inde était connue des hébreux longtemps avant la naissance du Christ. Les portugais ont "découvert la route des Indes" en 1498 (Vasco de Gama), mais la Bible nous révèle que du temps du roi Salomon le commerce des épices existait déjà entre la Syrie et cette région du monde (1 Rois 9,26), (1 Rois 10,11), (1 Rois 10,22). Par ailleurs, lorsque Nabuchodonosor envahit Jérusalem au VIème siècle av. J.-C. une première colonie juive émigra aux Indes, s'installa et fit souche. En l'an 70 de notre ère, lorsque la ville de Jérusalem fut détruite par le général romain Titus un grand nombre de juifs émigrèrent encore vers le pays de mission de l'Apôtre Thomas. Ceci nous amène à conclure qu'historiquement, il est tout à fait possible que Saint Thomas ait voyagé jusqu'aux Indes. L'Apôtre Paul a certes accompli de grands voyages missionnaires, mais en empruntant les routes terrestres et maritimes du gigantesque empire romain; en dehors de ces limites, d'autres routes et d'autres contrées demeuraient possible d'accès, car balisées et connues depuis longtemps déjà.

D'autres sources permettent d'arriver à cette conclusion. Il est par exemple mentionné historiquement qu'un canal artificiel navigable fut construit par Ptolémée II Philadelphe (roi d'Egypte - 309-246 av. J.-C.) pour relier le Nil avec la mer Rouge (tous les efforts pour le conserver en bon état furent abandonnés au VIIIe siècle ap. J.-C.) bien avant le fameux et moderne canal de Suez. Les phéniciens et les juifs établirent des colonies sur la côte du Malabar à différentes périodes. Le nom Malabar désigne la région d'évangélisation de Saint Thomas - côte sud-ouest de l'Inde - Malayalam en hindou - se dit Kerala aujourd'hui - 40000 km² de superficie - Malabar est une forme arabisée du même mot. Les colons Juifs vinrent comme négociants à la recherche d'épices, de bois de santal, de girofles, pierres précieuses et ivoire. Certains étaient arrivés lors de la persécution en Galilée au IIème siècle avant J.-C. On les connaissait sous le nom de "juifs-noirs".

Au Danemark - sur la partie nord d'une île danoise - près des ruines du monastère d'Æbelholt jadis consacré à l'Apôtre Thomas, se trouve l'église de Sønder Jernløse, on peut y contempler les vestiges de deux peintures murales (le seul endroit dans ce pays): la première révèle Jésus ordonnant à Thomas de partir aux Indes; la seconde montre Thomas à bord du bateau qui le conduit aux Indes, Abbanès le marchand est occupé par les contraintes de la navigation. Sur l'inscription on peut lire: "Thomas part avec Abbanès à bord du navire".

Thomas aux Indes

L'Apôtre serait arrivé à Kodungallur (Cranganoor), Kerala, le 21 novembre 52. Il annonça d'abord l'Evangile à ses frères hébreux, mais il eut plus de succès auprès des keralites. Il baptisa de nombreuses personnes appartenant à la haute caste hindoue, dont des membres de la famille royale qui formèrent la première communauté chrétienne des Indes.

L'Histoire rapporte que Thomas fonda sept Eglises dans la province du Kerala: Cranganoor, Palayoor, Parur, Kokkamangalam, Quilon, Niranam et Nilackal. La légende veut qu'il ait accompli un miracle dans chacun de ces sept centres.

Selon le mode habituel adopté par tous les Apôtres, chaque Eglise locale était administrée par un groupe de prêtres et de diacres, placés sous l'autorité d'un évêque. Thomas se conforma à la règle en instituant par imposition des mains un clergé local.

Après 20 ans de mission l'Apôtre fut martyrisé (transpercé d'une lance) à Mylapore (près de Madras) le 3 juillet 72, alors qu'il priait dans une grotte de montagne.

Saint Grégoire de Tours en 590 rapporte que le corps de Saint Thomas est d'abord resté à Mylapore dans un monastère richement orné puis, après un long intervalle de temps fut ramené dans la cité d'Edesse en Asie mineure. Saint Ephrem, le grand docteur de l'Eglise syriaque confirme cette tradition. Saint Jean Chrysostome, Saint Grégoire de Naziance (IVème siècle), Saint Jérôme, le célèbre historien Eusèbe en 338, tous attestent la présence de Thomas aux Indes.

Intervention de l'Eglise Syrienne

En 325 eut lieu le premier grand concile oecuménique de la chrétienté à Nicée. Le concile accorda au Patriarche d'Antioche de Syrie juridiction sur l'Asie mineure, l'Inde et la Chine. Un évêque représentait l'Eglise Indienne au Concile: Mar Jean. Il signa les décrets du concile en donnant son titre: "prélat et métropolite de Perse, évêque de la Grande Inde".

Cependant, la situation des chrétiens de Saint Thomas devenait préoccupante. Un riche marchand syrien, Thomas Cana, remarqua lors d'un voyage à Kerala qu'un grand nombre de personnes portaient des croix raides et arrondies sur leurs cols. Après quelques investigations il découvrit qu'ils étaient "Nazaranees", convertis à la foi chrétienne depuis plusieurs générations par Saint Thomas l'Apôtre. Mais maintenant ils n'avaient plus de guide spirituel et erraient comme des étrangers dominés par les hindous de caste, leur condition était pathétique. Etant un chrétien loyal et convaincu, de retour à Damas, Thomas Cana plaida leur cause auprès du Patriarche d'Antioche qui décida l'envoi d'une mission destinée à soutenir cette Eglise.

Vers la même époque, l'évêque de la ville d'Edesse eut un songe qui lui révéla l'état déplorable des chrétiens de Saint Thomas. Mar Joseph - c'était son nom - réunit des prêtres, des diacres et d'autres missionnaires pour aller secourir l'Eglise du Kerala (Malabar).

Un groupe de 400 personnes conduit par Mar Joseph et Thomas Cana se prépara à partir vers l'Inde pour s'y établir. Ils désiraient aussi y prospérer. Tous ceux qui souhaitèrent participer au voyage devaient s'engager à:
1) Ne plus avoir de relations avec leur pays d'origine.
2) Etre fidèles aux dix commandements et aux sept sacrements.
3) Ne pas échouer dans leur entreprise.

L'expédition arriva par la voie des mers au port de Cranganore le 3 mars 345. Thomas Cana fut reçu par le roi Cheruman Perumal, rajah du Malabar, qui accepta les présents des syriens et offrit l'hospitalité de ses terres aux immigrants. Le groupe des 400 personnes se composait de 72 familles qui purent s'installer dans 72 maisons et jardins avec leurs dépendances. Le roi donna à Thomas Cana une ville appelée Mahadevarpattanam pour construire une église. Les syriens reçurent le titre de "Mapla", qui signifie "cher fils" ou "cher enfant". Il est à noter que les souverains du Malabar étaient très tolérants, ils respectaient les autres religions et les accueillaient avec bienveillance.

Les chrétiens de Saint Thomas adoptèrent ces frères venus s'expatrier pour eux, la liturgie syriaque fut introduite dans le culte indien. Désormais l'Eglise du Malabar quittait un relatif isolement et bénéficiait de la protection spirituelle du patriarcat syrien d'Antioche. L'Eglise eut quelques craintes avec l'arrivée de l'islam dans les siècles suivants, mais peu de documents historiques couvrant cette époque sont parvenus jusqu'à aujourd'hui. Tout se transmettait de façon orale. Seul un manuscrit découvert en 1985 à Kuravilangad et daté de 1158 ans donne quelques précisons sur l'origine de la région du Kerala (Malabar), l'organisation de la société, l'agriculture, l'histoire de Thomas Cana et les privilèges reçus du rajah Cheruman Peruval (La nouvelle de la découverte de ce manuscrit a été publiée dans "The Indian Express" du 14/7/1985).

L'arrivée des Portugais

En 1498 le navigateur portugais Vasco de Gama "découvre la route des Indes". Il aborde la côte du Kerala. Au siècle suivant la couronne royale portugaise établit son pouvoir politique et spirituel dans l'Inde du Sud. Les missionnaires jésuites débarquent pour effectuer des conversions massives. Ils constatent avec étonnement qu'une Eglise autochtone vivante et indépendante, bien constituée dans son administration sacerdotale existe déjà. Mais l'Eglise de Rome veut s'imposer à Kerala, elle se prépare à y appliquer sa politique et ses principes d'hégémonie universelle, comme elle tentera de le faire quelques années plus tard avec les chrétiens d'Ethiopie.

Les chrétiens de Saint Thomas accueillent tout d'abord avec joie ces frères en Christ venus du bout du monde, leur culture religieuse est imprégnée de tolérance et de respect d'autrui. Plusieurs religions coexistent de façon pacifique à Kerala: juifs, chrétiens, bouddhistes, hindouistes, musulmans.

La marche forcée vers la "communion avec Rome" orchestrée par "Saint François Xavier" et ses successeurs a raison de la résistance des chrétiens de Saint Thomas. Un "synode" tenu à Diampur le 20 juin 1599 voit l'Eglise du Kerala "promettre obédience et soumission au Pontife romain". Cette Eglise a aussi ses martyrs: Thomas Paremmakel, l'un de ses évêques, est assassiné par les portugais.

A la suite du "synode", il n'y a plus d'épiscopat indien. L'Eglise du Kerala est gouvernée par des évêques portugais. Il est évident que cette situation est méprisante et humiliante pour les chrétiens de Saint Thomas. Une révolte éclate en 1653 connue sous le nom de "The Coonen Cross Pledge". L'indépendance de l'Eglise est redemandée. Les communautés souffrent de l'absence d'évêque indien pour les guider dans leur spiritualité, elles connaissent de sérieuses difficultés liées au refus du pouvoir et de l'oppression romaine. Un évêque orthodoxe syrien, Ahathalla, est même assassiné par les portugais.

Les communautés les plus attachées à l'indépendance et à la liberté de l'Eglise du Kerala souhaitent la restauration de la succession apostolique, c'est à dire espèrent la consécration d'un évêque indien dans la succession des Apôtres. Elles se tournent vers d'autres Eglises soeurs pour leur demander de l'aide, une nouvelle fois (après plus de mille ans d'intervalle) le Patriarche d'Antioche répond présent. Il délègue l'archevêque métropolitain de Jérusalem Mar Gregorios qui voyage aux Indes en 1665 et consacre un évêque indien en la personne de Marthoma I.

Les Temps Modernes

En 1795 les anglais s'emparent du Malabar (Kerala). Une autre occupation commence, celle de l'empire britannique. En 1806 le marquis de Welleysley, gouverneur général des Indes pour la couronne d'Angleterre envoie le Révérend Claudius Buchanan, prêtre anglican, effectuer des recherches sur l'Eglise des chrétiens de Saint Thomas.

Les missionnaires anglicans s'attachent à venir en aide à l'Eglise indienne, ils permettent l'ouverture d'un séminaire dans la ville de Kottayam en 1815. Mais leurs efforts ne sont pas "désintéressés", ils tentent d'imposer la théologie anglicane (protestante) aux séminaristes indiens.

Vers la fin du XIXème siècle l'Eglise des chrétiens de Saint Thomas se partage en plusieurs obédiences:
- Eglise Orthodoxe Indienne
- Eglise Orthodoxe Malankaraise
- Eglise Syro-Malabar (catholique-romaine); le Pape Léon XIII établit 3 diocèses en 1896 et 3 évêques indiens sont consacrés par Rome.
- Eglise de Marthoma (protestante).

D'après les documents que nous avons pu consulter, les deux Eglises orthodoxes semblent être les seules à avoir conservé l'héritage bimillénaire des pratiques cultuelles et liturgiques de leurs pères.

Aujourd'hui la population du Kerala se compose de 30 millions d'habitants: - 25% de chrétiens, 10% de musulmans, 65% bouddhistes - hindouistes.

Le Lien avec l'Eglise Gallicane

Cet article serait incomplet s'il oubliait de mentionner que l'Eglise Gallicane de Gazinet doit aux chrétiens de Saint Thomas son intégration à l'arbre généalogique de l'Eglise Universelle, c'est à dire la succession apostolique, tout au moins au début de son Histoire. Nous l'avons écrit en introduction à cet article, essayons maintenant de l'expliquer.

Qu'est-ce que la succession apostolique ?

Pour qu'un évêque soit validement consacré il faut qu'il reçoive l'imposition des mains d'un autre évêque dont la lignée de succession remonte sans interruption jusqu'à l'un des apôtres institués par Jésus-Christ. Ainsi l'évêque consacré est établi comme successeur des apôtres et habilité à accomplir toutes les fonctions sacrées liées à sa charge: enseigner, sanctifier, gouverner.

Le lien avec l'Eglise Gallicane ?

Mgr Giraud, le premier patriarche de notre Eglise (1876-1950), fut ordonné prêtre par Mgr Vilatte le 21 juin 1907 puis consacré évêque dans sa succession le 21 juin 1911. Mgr Vilatte fut à l'origine du réveil du courant gallican en France (mouvement des cultuelles) dans les années 1906-1908. Consacré évêque dans l'Eglise des chrétiens de Saint Thomas (Eglise Orthodoxe Malankaraise) le 29 mai 1892 à Colombo, Joseph-René Vilatte oeuvra par la suite au Canada et aux Etats-Unis et termina sa vie en France.

Photo de Mgr Vilatte en plein écran cliquer ici.

Une page web est consacrée à Mar Gregorios, co-consécrateur de Mgr Vilatte en 1892.

Hasard ou volonté de la Providence ? Depuis le patriarcat de Mgr Truchemotte la succession apostolique de l'Eglise Gallicane passe désormais par Bossuet, l'immortel défenseur des libertés de l'Eglise Gallicane au XVIIème siècle.

Pour en Savoir Plus

L'ensemble des documents ayant servi à préparer cet article sont consultables sur le réseau Internet. Mis à part le livre de Jacques de Voragine (La Légende Dorée) - qui évoque le séjour de l'Apôtre Thomas aux Indes - (mais inexploitable sur un plan historique, car la fantaisie le dispute à l'imaginaire), nous n'avons rien trouvé d'autre sur ce sujet. L'encyclopédie Universalis aborde peut-être le fond de cette tradition, reste à savoir en quels termes.

Donc, pour nos lecteurs qui veulent en savoir plus, nous indiquons les adresses suivantes consultables sur l'Internet:

Eglise Orthodoxe Malankaraise:
http://www.malankara.org
e-mail: malankara@malankara.org

Eglise Orthodoxe Indienne:
http://www.indian-orthodox.org
e-mail: editors@indian-orthodox.org

Société de Saint Thomas:
http://www.dci.dk/engelsk/thomas/soc_thom.html
http://www.dci.dk/engelsk/thomas/the_apos.html
http://home1.inet.tele.dk/moebjerg
e-mail: moebjerg@post1.tele.dk

Eglise Syro-Malabar:
http://www.kerala.org/religion/christian/contribs/kerala-catholics.html
e-mail: ecchat0@ecc-uky.campus.mci.net

Ressources sur l'Histoire du Malabar, l'Eglise Syrienne d'Antioche, le concile de Nicée, l'ancienne cité d'Edesse, Thomas Cana, le "Palm Leaf Manuscrit", etc.
http://www.thamara.com/knanaya/

Le livre des "Actes de Saint Thomas" (ainsi que la plupart des livres apocryphes de la Bible - disponibles en version complète)
http://wesley.nnu.edu/noncanon.htm
e-mail: webadmin@wesley.nnc.edu

Eglise de Marthoma:
http://www.marthomachurch.org
e-mail: webmaster@marthomachurch.org


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