Les Evangiles et les Actes des Apôtres nous révèlent que le Christ et ses disciples se sont heurtés à des oppositions acharnées partout où se portait leur prédication. Le chrétien sait que cette "résistance à l'Evangile" et à ses valeurs peut venir des dispositions humaines des auditeurs, mais il y a parfois autre chose...

La Bible nous permet de prendre conscience qu'il existe des "puissances supérieures" capables d'organiser un véritable barrage à l'action évangélisatrice; elles sont heureusement contrebalancées par l'Esprit-Saint et les serviteurs fidèles du Royaume de Dieu.

Instinctivement, on préfère admettre qu'il n'y ait pas dans notre univers de personnages invisibles remplis d'intentions détestables qui cherchent à entraîner les hommes au mal. Certains théologiens dénient même toute existence personnelle aux forces du mal, leur représentation dans les textes bibliques serait selon eux purement imaginative et destinée avant tout à symboliser les inclinations mauvaises de la nature humaine. Nous allons essayer à travers cet article de lever un coin du voile sur cette réalité en nous appuyant sur les textes des Evangiles et du Nouveau Testament.

Le Combat du Christ

Durant sa mission publique, Jésus s'est heurté à l'hostilité farouche de ceux qui ont obtenu finalement sa crucifixion et sa mort. L'Evangile de Jean rapporte ces controverses permanentes avec ces adversaires. Les textes de Marc, Mathieu et Luc montrent également nombre d'épisodes où Jésus est épié, critiqué, accusé.

Nous devons souligner que ces luttes du Christ avec des ennemis visibles sont l'expression d'un combat plus fondamental avec un ennemi invisible. N'oublions pas que le ministère public du Seigneur est inauguré par la grande tentation du désert. Cette quarantaine de lutte avec le diable, cette rencontre solitaire avec l'adversaire par excellence que rapporte Mathieu (chap. 4,1-11) s'est ensuite prolongée dans l'activité au milieu des foules.

Bien souvent Jésus exorcise des personnes tourmentées par des forces malignes, lorsqu'il envoie les soixante-douze disciples en mission il leur communique ce don; ceux-ci une fois revenus expriment leur joie: "Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom !" La réponse du Seigneur confirme cette réalité: "Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair" (Luc 10,17-18).

Mais remarquons le bien, c'est "en son nom" que cette victoire est remportée. Elle annonce bien sur les victoires futures qui marqueront la prédication des Apôtres et la vie de l'Eglise, de cette Eglise dont Jésus a dit à Pierre que "les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle" (Mathieu 16,18).

Néanmoins, la partie n'est jamais gagnée d'avance, Jésus ayant expliqué à ses disciples dans les paraboles du semeur et de l'ivraie (Mathieu 13,18-30) que l'ennemi cherche à empêcher par tous les moyens possibles la croissance du Royaume de Dieu. Systématiquement, celui-ci organise l'opposition à la personne et à l'oeuvre du Seigneur. Même lorsque les tentations concernent des personnes elles sont en fait dirigées contre le Christ.

Au moment où Simon, qui vient de recevoir le nom de Pierre, cherche à détourner Jésus de sa Passion, il ignore qu'il est influencé par Satan, mais Jésus discerne aussitôt cette emprise: "Arrière de moi, Satan" (Mathieu 16,23).

Lors de la Cène, le Seigneur révèle aux disciples le déchaînement de puissance satanique qui s'applique à détruire l'oeuvre entreprise: "Simon, Simon, voici que Satan t'a réclamé pour te cribler comme le froment" (Luc 22,31).

La trahison de Judas est tout particulièrement attribuée à cet ennemi: "Après la bouchée que Judas reçut de Jésus, Satan entra en lui" (Jean 13,27). Le diable, après avoir pris possession de Judas va donc diriger sa conduite; ceci peut expliquer qu'après avoir trahi le Seigneur Judas soit pris de remords et se laisse aller ensuite au désespoir du suicide.

En dépit des apparences, le Seigneur annonce qu'il va remporter la victoire. Sa prière garantit la persévérance de la foi de Pierre (Luc 22,32). Surtout, il prédit son triomphe sur le "prince de ce monde": "Maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes" (Jean 12,31-32). Notons bien au passage cette expression: "prince de ce monde", qui désigne Satan et en dit long sur le pouvoir du mal ici-bas; à comparer avec la réponse de Jésus au gouverneur romain Ponce-Pilate lors de la Passion: "mon royaume n'est pas de ce monde" (Jean 18,36).

La Passion est caractérisée par l'intervention de Satan, "car le prince de ce monde vient" (Jean 14,30). Au moment de son arrestation, Jésus ne se contente pas seulement de regarder ceux qui viennent avec des épées et des bâtons se saisir de lui. Après s'être étonné de ce déploiement de force pour arrêter quelqu'un dont on pouvait s'emparer à n'importe quel moment dans les jours précédent il révèle: "C'est votre heure, et la puissance des ténèbres" (Luc 22,53). C'est l'heure en effet où, selon le dessein du Père, la puissance des ténèbres, c'est à dire Satan, a pouvoir pour agir et faire de lui un prisonnier.

La victoire du Christ éclate là où les Apôtres ne l'attendent plus, dans le passage de la mort à la résurrection. Le combat final contre cet adversaire invisible se joue dans cet ultime moment. Alors qu'humainement parlant il semble que tout soit perdu, alors que les Apôtres fuient - "je frapperai le berger et les brebis seront dispersées" (Mathieu 26,31) - alors que les plus farouches passions de l'homme tissent leur tunique de haine et de mort - "crucifie-le" (Jean 19,15), "que son sang retombe sur nous et nos enfants" (Mathieu 27,25) - le jour du matin de Pâques une nouvelle extraordinaire va bouleverser le destin de l'humanité: le Christ est ressuscité ! "Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit." (Jean 12,24), avait prophétisé Jésus. Soulignons aussi que Jésus demande le pardon du Père pour ses adversaires humains en plaidant leur ignorance: "Ils ne savent ce qu'ils font" (Luc 23,34).

Une Fausse Paternité

"Vous avez pour père le diable et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Depuis le commencement, ce fut un homicide: il n'était pas établi dans la vérité parce qu'il n'y a pas de vérité en lui; lorsqu'il profère le mensonge, il le tire de son propre fond, parce qu'il est menteur et père du mensonge" (Jean 8,44).

Remarquons bien que Jésus incrimine l'ascendant du diable sur ceux qui ont eu dans leur coeur l'intention de le mettre à mort. Cette volonté provient de celui qui "depuis le commencement est un homicide". Cette vérité de l'Evangile nous renvoie au mystère du péché originel, au rôle du serpent dans la faute d'Adam et Eve. Ce péché a reçu pour sanction la mort et c'est ainsi que dès l'origine de l'humanité le diable reçoit le titre d'homicide.

Plus loin dans la Bible le livre de la Sagesse évoque à la fois la Création et le drame de la Chute: "Dieu a créé l'homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature; c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde: ils en feront l'expérience, ceux qui lui appartiennent !" (Sagesse 2,23-24).

Le diable s'efforce de détruire dans l'homme la ressemblance avec le Créateur, l'image de la nature divine; c'est le contraire de l'amour, c'est la voie du mensonge; ceux qui se laissent dominer par lui subissent l'aliénation de leur intelligence. Elle reste fermée à l'esprit de l'Evangile et s'enfonce dans le péché.

Pour le Christ le péché est un esclavage, c'est la servitude absolue: "Tout homme qui commet le péché est esclave" (Jean 8,34). Jésus explique la servitude du péché par une dépendance à l'égard du démon: "Moi je dis ce que j'ai vu chez mon Père, et vous, vous faites ce que vous avez entendu auprès de votre père" (Jean 8,38). Le contact avec le Christ, l'acceptation de sa Parole et la mise en pratique de son message nous délivrent du mal et nous font recouvrer la liberté, la "sainte liberté des enfants de Dieu" (Romains 8,21). La liturgie de la messe gallicane de Gazinet l'exprime dans un paragraphe qui suit la prière de consécration.

En dénonçant la servitude qui caractérise le péché Jésus ne se contente pas de la réduire à des passions ou inclinations humaines, il dévoile une tyrannie bien plus terrible, celle de l'antique adversaire de la race humaine, qui est à l'origine du péché d'Adam et Eve et continue son oeuvre destructrice dans la suite des temps. Depuis le péché originel jusqu'aux péchés contemporains il y a continuité. Cette influence essentielle que révèle le Christ montre la réalité du péché dans toute sa gravité. Au-delà du psychisme humain et de l'arrière plan psychologique, une responsabilité supérieure à celle de la liberté humaine apparaît.

Il convient aussi de remarquer que les adversaires de Jésus furent à ce point égarés par le "père du mensonge" qu'ils en vinrent à accuser le Seigneur d'être lui-même possédé par un démon en (Jean 8,48).

Le Point de Vue de Paul

Saint Paul est certainement celui des Apôtres qui a su le mieux exprimer par écrit la réalité du combat du Christ contre Satan. Il évoque le drame de la Rédemption comme la lutte suprême du Christ avec les puissances du mal. Il perçoit le mystère de la croix en y discernant une sagesse de Dieu qui est folie pour les hommes; il déclare que cette sagesse "aucun des princes de ce monde ne l'a connue; s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire" (1 Cor. 2,8).

On peut en déduire que la crucifixion est aussi l'oeuvre des "princes de ce monde" et apercevoir par là les limites de l'intelligence de Satan. Malgré toute son astuce il se révèle incapable de comprendre le plan providentiel du salut, en particulier la valeur de la souffrance et de la mort du Sauveur. En suscitant la crucifixion il a provoqué sa propre défaite.

La prophétie annonçant que le "prince de ce monde allait être jeté dehors" (Jean 12,31) s'accomplit dans la mort et la résurrection du Christ. Saint Paul développe ce thème en soulignant que les princes de ce monde ont perdu leur pouvoir durant la nuit pascale: "Il a dépouillé les Principautés et les Puissances, et les a publiquement livrées en spectacle, en les traînant dans son cortège triomphal" (Col. 2,15).

Mais que signifie ce "jeté dehors" dont parle Jésus, ou encore en quoi consiste cette perte de pouvoir des princes de ce monde mentionnée par Saint Paul ? Dans le fait qu'une puissance nouvelle a été donnée à l'être humain par le Christ, dans le mystère de la mort et de la résurrection du Sauveur. Les Pères de l'Eglise ajoutent que Satan fut en partie "lié" par Jésus à travers le drame rédempteur. Il doit être libéré avant les temps de la fin selon ce qu'écrit Saint Paul en (2 Th. 2,1-12) et le livre de l'Apocalypse en (20,1-3).

L'Apôtre Paul décrit ailleurs l'effet de l'oeuvre rédemptrice: ceux qui étaient morts par suite des fautes et des péchés en vivant "selon le prince du pouvoir de l'air, cet esprit qui agit maintenant dans les fils de la désobéissance" (Eph. 2,2) ont été sauvés par grâce et vivent de la vie du Christ. Il s'agit de revêtir le Seigneur à travers le baptême et - dans la Foi, l'Espérance et l'Amour - être guidé par son Esprit; réalité vivante dont chaque croyant peut personnellement donner témoignage.

Le "prince du pouvoir de l'air" ? A notre époque une telle expression est étrange. Le cosmos ne parle plus à l'homme d'aujourd'hui, sinon pour l'y faire braquer ses télescopes et y envoyer ses fusées. Le langage de Saint Paul nous laisse percevoir d'autres réalités, entre la représentation imaginative antique et la réalité de mystères qui dépassent notre entendement.

En tout cas l'Apôtre ne se contente pas de cette explication puisqu'il parle de l'esprit qui pousse les hommes au mal, "incrédules, dont le dieu de ce monde a aveuglé la pensée afin qu'ils ne voient pas resplendir l'Evangile de la gloire du Christ, qui est l'image de Dieu" (2 Cor. 4,4).

Il y a donc - pour lui - d'un côté ceux qui sont libérés de la domination de Satan en adhérant au Christ, et de l'autre ceux que le "dieu de ce monde" empêche d'accueillir l'Evangile. Retenons bien l'expression "dieu de ce monde", à rapprocher avec celle de "prince de ce monde" déjà évoquée par Jésus. Pour mieux la comprendre relisons cet extrait d'un livre qui se trouve au bout de la Bible, le livre de l'Apocalypse: "Et il y eut une guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon et ses anges combattirent, mais ils ne furent pas les plus forts, et leur place ne fut plus trouvée dans le ciel. Et il fut précipité, le grand dragon, l'antique serpent, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui" (Apoc. 12,7-9).

Ainsi se comprennent mieux les révélations de Saint Paul sur la présence des forces du mal ici bas, aussi l'Apôtre ajoute: "Revêtez l'armure de Dieu pour pouvoir résister aux manoeuvres du diable. Car ce n'est pas contre la chair et le sang que vous avez à lutter, mais contre les puissances de l'air" (Eph. 6,11-12) - "Ne donnez aucune prise au diable" (Eph. 4,27). Par les fautes contre la charité le diable cherche à pénétrer les coeurs humains, et c'est à juste titre que l'Apôtre met en garde les chrétiens, car la fourberie du serpent est redoutable (2 Cor. 11,3).


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