Dans la première moitié du XVIe siècle apparut en Europe (essentiellement en France et dans les pays du Nord) un élément nouveau du costume civil masculin : le collet à rabat. Il consistait à rabattre le col blanc de la chemise sur le col du vêtement de dessus ; cest de cette action que vient le nom de « rabat ».
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la mode du rabat se développa aussi bien à la Cour chez les gentilshommes quà la ville chez les bourgeois, les hommes de Loi, de Lettres, dÉglise et les Réformés. Le rabat de cette époque était de dimension modeste et de couleur blanche (voir le portrait de Saint François de Sales).
Dans les années 1590, sa forme évolua : ses pointes sécartèrent. Sous le règne de Louis XIII (1610-1643), ce modèle continua à subsister (voir le portrait de Saint Vincent de Paul), toutefois il en apparut un nouveau qui sallongea autour du cou et sur les épaules (voir les portraits des cardinaux Richelieu et Mazarin).
Dans les années 1660, le rabat fut progressivement remplacé par la cravate quadopta Louis XIV. Passé de mode, il disparut des Cours européennes.
Dès lors, il ne subsista quen France où il ne fut plus porté que par les hommes de Loi, de Lettres et dÉglise. Chez ces derniers, il évolua encore : il sallongea par devant en forme de deux languettes réunies par la base et bordées dun liseré blanc. Il devenait une pièce détoffe à part entière quon attachait autour du cou et qui nen débordait plus comme à lorigine. Il était en étoffe de laine ou de soie, ou en gaze transparente chez les prélats de Cour comme celui de Mgr Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), le grand défenseur des Libertés de lÉglise Gallicane.
Sous le règne de Louis XV (1715-1774), il subit une dernière évolution. Tout dabord, il changea de couleur : il devint noir sans que lon sache pourquoi. Pour mieux se démarquer de celui (blanc) des gens de Robe ? Ensuite, sa dimension diminua nettement : il ne faisait plus le tour du cou comme au temps du « Grand Bossuet ». Enfin, il nétait plus aussi précieux quau Grand Siècle : les languettes étaient en soie ou en étamine bordées dun petit liseré blanc de toile.
Il est à noter que seuls les membres du clergé séculier français (les prêtres, les évêques, etc.) ladoptèrent. Ceux du clergé régulier (les moines, les jésuites, etc.) conservèrent le costume religieux traditionnel de leur Ordre ou de leur Congrégation. Toutefois, parmi le clergé régulier il faut signaler quelques exceptions : le rabat noir des Sulpiciens (Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice) et le rabat blanc des Lasalliens (Frères des Écoles Chrétiennes) ; ces derniers le portent encore aujourdhui !
Sous lAncien Régime, les prêtres le portaient en toute occasion : sur la soutane seule ou sur le surplis pendant les confessions et les processions. Les évêques, eux, le portaient sur la soutane ou la mozette. Tous le portaient aussi bien en France quà létranger et même à Rome au grand étonnement des membres de la Curie chez qui cette pièce détoffe était totalement inconnue !
La règle était moins claire sagissant de son usage durant la Messe. Au XVIIe siècle par exemple, des évêques condamnaient son port durant la Messe (sur la chasuble du célébrant) quand dautres le recommandaient.
Au XIXe siècle, lusage voulait quon le quitte à la sacristie avant daller dire la Messe. Ne pas le porter en public était considéré comme inconvenant. Cest ce que lon peut lire dans un ouvrage intitulé Politesse et convenances ecclésiastiques (2e édition, Paris, 1872, page 68, n° 41) rédigé par un Supérieur de Grand Séminaire :
« Rabat. - Il paraît que le rabat nétait primitivement que le collet de la chemise qui se ramenait ou se rabattait sur les vêtements de dessus. Peu à peu, ce replis sest allongé et a fini par constituer une partie distincte de lhabillement. Les magistrats, quand ils sont en costume, les ecclésiastiques et plusieurs Ordres de Frères portent le rabat. Il est pour nous de cet ornement comme de la ceinture. Sans faire partie essentielle du costume ecclésiastique, il est tellement consacré par lusage que ce serait en France une bizarrerie de paraître en public sans le porter. »
Durant toute sa vie sacerdotale, le Saint Curé dArs a porté le rabat. Non par conviction mais par tradition car, rappelons-le, à son époque son port était neutre comme du reste sous la Révolution où il était aussi bien porté par les prêtres jureurs que par les réfractaires. Hormis durant la Messe, le Curé dArs le portait en toute occasion : sur sa soutane ou sur son surplis ; cest ce que montrent toutes les gravures de lépoque et son célèbre buste que réalisa (à son insu) le sculpteur Émilien Cabuchet.
Daprès des témoignages de lépoque, nous savons que les rabats du Curé dArs étaient aussi usés que sa soutane. Il ne servait alors à rien à quelque personne fortunée, émue par lindigence du Saint Curé, de prier ce dernier daccepter une soutane neuve ni même un rabat neuf ! Ainsi était le Saint Curé dArs. Une âme délite qui nacceptait des offrandes que pour ses pauvres et son église! À sa mort, ses rabats, usés par le vent, la pluie et les journées et les nuits dapostolat, servirent naturellement à confectionner des reliquaires.
Le 4 août 1859 dans le presbytère dArs, cest en soutane, surplis, étole et rabat quon lhabilla sur son lit de mort. Cest ainsi quon le déposa dans une châsse en 1905 à loccasion de sa béatification, et en 1925 dans lactuelle châsse en bronze doré offerte par les prêtres de France pour sa canonisation. Cest devant cette même châsse que, chaque année, des centaines de prêtres du monde entier célèbrent la Messe et où des centaines de milliers de pèlerins se recueillent, certains ne manquant pas dêtre interloqués par la présence de cette « curieuse » pièce détoffe noire sur la dépouille du Saint Curé.
Au début du XIXe siècle, lépiscopat de lÉglise de France était encore majoritairement gallican. À la fin du XIXe siècle, il est presque devenu entièrement ultramontain. Cest dans ce contexte de guerre larvée entre Gallicans et Ultramontains quil nous faut resituer lhistoire du rabat.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, son port, qui comme nous lavons vu était neutre jusque-là, fut instrumentalisé par certains ultramontains français. Lhistoire du diocèse de Moulins est à ce titre révélateur. Monseigneur de Dreux-Brézé (1811-1893) y fit régner une véritable « terreur ultramontaine ». Très largement influencé par les travaux liturgiques de son ami Dom Prosper Guéranger (1805-1875), il supprima, sans discussion, le Missel néo-gallican dAncien Régime de son diocèse quil remplaça par le Missel romain ! Il imposa aussi les modes romaines en matière de costume ecclésiastique ! Ainsi les grosses chaussures des prêtres comme celles que portait le Saint Curé dArs furent interdites ; désormais il fallait mettre des boucles dargent aux souliers comme cétait lusage à Rome ! Les soutanes à queue des prêtres (excentricité typiquement gallicane) furent elles aussi interdites ! La prononciation française du latin fut proscrite ; il fallait dorénavant le prononcer à la mode romaine. Enfin, sensible aux idées du « mouvement archéologique » qui redécouvrait et senthousiasmait pour lart médiéval, le prélat fit remplacer toutes les chasubles gallicanes de son diocèse par des chasubles néo-gothiques !
Et le rabat dans tout cela ? Dans ses tournées pastorales, Mgr de Dreux-Brézé fit la chasse au rabat gallican ; cet « insolent rabat », ce « torchon gallican », cette « guenille gallicane » comme il lappelait lui-même et quil considérait, ni plus ni moins, comme le dernier symbole visible des fruits de lÉglise Gallicane! Dans son roman anti-ultramontain Le Curé de Campagne (Paris, Librairie internationale, tome 2, 1867, p. 311), lAbbé Jean-Hyppolyte Michon (1806-1881), figure gallicane bien connue de notre Église, fait allusion aux réformes vestimentaires de lévêque de Moulins.
En voici lextrait : « La longue queue traînante de la robe ecclésiastique fut supprimée et réservée uniquement à lévêque. Défense, sous peine de suspense, de porter la soutane à queue. Le rabat fut prohibé sous les mêmes peines : il rappelait trop lancienne Église Gallicane ; et on ne le porte pas à Rome. Par grâce, Sa Grandeur autorisait, au cou de ses prêtres, une petite cravate blanche sous le collet de la soutane : cétait plus virginal. »
Tous les évêques ultramontains français sinspirèrent, à des degrés divers, des réformes radicales de Mgr de Dreux-Brézé, à commencer par son adoption du Missel romain. À Rome, on apprécia bien évidemment le zèle des évêques ultramontains français. On raconte que le Pape Pie IX (1792-1878), celui qui proclama les funestes dogmes du Concile du Vatican I, nhésitait pas à se moquer publiquement de la « bavette » des français à chaque fois que lun deux se présentait au Vatican avec un rabat autour du cou !
Si les idées ultramontaines triomphèrent en France durant la seconde moitié du XIXe siècle, les adversaires du rabat échouèrent cependant à romaniser jusquau cou le clergé français ! Tout dabord, et cela ne surprendra personne, parce que les derniers représentants du courant gallican, tels lArchevêque de Paris Mgr Georges Darboy (1813-1871) et lévêque dOrléans Mgr Félix Dupanloup (1802-1878), restèrent attachés et fidèles au rabat de leurs pères. Ensuite, parce que parmi les principaux chefs du courant ultramontain en France, il se trouva toujours des « amis » du rabat tels lévêque de Poitiers Mgr Louis-Édouard Pie (1815-1880) et lArchevêque de Bourges Mgr Charles-Amable de La Tour dAuvergne-Lauraguais (1826-1879) qui fut lun des plus chauds partisans de lInfaillibilité pontificale !
Avant dévoquer la première génération de Gazinet, il convient de dire quelques mots des grands ancêtres de notre Église. Tout dabord de lAbbé Hyacinthe Loyson (1827-1912), le fondateur-restaurateur de lÉglise Gallicane en 1879. LAbbé Loyson ne le porta jamais. Rappelons quavant sa rupture avec Rome il appartenait au clergé régulier comme prêtre de lOrdre des Carmes Déchaux. Monseigneur Joseph-René Vilatte (1854-1929), lui non plus ne le porta jamais. Enfin, Mgr Julien-Ernest Houssay (1844-1912) labandonna après sa rupture avec Rome alors quil le portait du temps de son vicariat parisien (une photographie de lépoque en témoigne).
Sa restauration viendra avec la première génération gazinetoise sous limpulsion de Mgr Louis-François Giraud (1876-1950). Il sagit là dune véritable adoption de cur car rien ne prédisposait Mgr Giraud à ladopter, lui lancien moine trappiste de lAbbaye Notre-Dame de Fontgombault !
À une époque, les années 1930, où le port du col romain était rendu obligatoire dans tous les Grands Séminaires français, à Gazinet, des Gallicans anti-infaillibilistes restauraient son usage ! Les archives photographiques de notre Église en témoignent.
Pour voir la photo en plein écran cliquer ici
Monseigneur Jean Brouillet (1880-1963), dont nous avons fêté le 6 avril dernier le 50e Anniversaire de la Naissance au Ciel, fut lun des derniers prêtres de notre Église à le porter.
Pour voir la photo en plein écran cliquer ici
Nous pensions que lusage du rabat avait totalement disparu dans notre Église aujourdhui. Cétait sans compter sur un prêtre gallican qui fait encore de la résistance en la matière : il sagit de lAbbé Laurent Eplé, le recteur de la chapelle Notre-Dame-dAfrique du Muy, une grande figure de notre Église sil en est !
Lors du dernier Synode de notre Église, le bon Abbé Eplé sest proposé de nous confectionner un rabat ! Quil en soit ici chaleureusement remercié.
Frère Christophe-André