Quelle différence entre la "femme revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles" telle qu'elle est décrite au chapitre 12 du livre de l'Apocalypse, et "l'humble servante du seigneur", dans son village de Nazareth (Luc 1,38).

Au-delà de la jeune fille enceinte qui dut s'enfuir dans les montagnes pour éviter la lapidation physique voulue par la loi de Moïse pour celles qui avaient "fauté",
au-delà des scrupules et du dépit amoureux de Joseph qui ajoutèrent encore au chagrin de la fiancée pourtant "bénie entre toutes les femmes" (selon la formule employée par l'Archange Gabriel),
au-delà du refuge de la crèche, de la pauvreté des époux lors de la présentation de l'enfant au Temple, de l'exil en terre égyptienne, de la fugue de Jésus à douze ans,
au-delà encore du chagrin de la veuve éplorée assistant impuissante à la fin tragique d'un enfant trop vite devenu homme, prophète et Dieu,
au-delà enfin d'une vie qui résume la plupart des grandes épreuves humaines subies par une femme dont l'effacement et la discrétion devraient - non pas nous faire détourner le visage - mais plutôt attirer notre attention sur la sensibilité, la présence et l'influence de Marie dans la vie de Jésus; (d'ailleurs en y regardant bien, même si Marie apparaît très peu dans la vie publique de son fils, on devine sa présence et son influence; ainsi elle est l'âme du premier miracle, celui de Cana.)
Les reflets et les lueurs de cet être sont sans pareil.

La Foi populaire ne s'y est pas trompée. Elle a su très vite, d'instinct, l'importance gigantesque de Marie dans le Royaume de Dieu, beaucoup plus vite que les théologiens de toutes sortes.

Marie se découvre aux humbles qui à toutes les époques partagent ses épreuves, trempent comme elle leur âme dans le creuset de la grande aventure humaine parfois si amère, et néanmoins sans jamais laisser leur coeur se dessécher.

Au-delà de tout cela, de la trace visible laissée par le récit de sa vie, il y a le parfum de son âme. Une âme dont les frontières nous échappent totalement si nous ne savons dilater notre coeur et nos entrailles pour nous laisser pénétrer par les reflets de sa vivante et secrète présence.

Vouloir atteindre Marie par la prière suppose en effet une communion d'âme à âme. Cela, des millions d'être humains en ont fait, en font et en feront encore l'expérience au cours de leur existence. Il suffit simplement à travers le filet doux des mots de la prière, de laisser peu à peu son âme s'élever jusqu'à la rencontre mariale, toute de compassion, de tendresse, de douceur, de finesse aussi. C'est un peu découvrir un autre univers.

Loin du feu dévorant de l'amour christique, brûlant et ravageur, l'amour marial reflète un je ne sais quoi tout en demi-teinte, doux et apaisant, que seule l'expérience de l'oraison peut rendre à peu près palpable.

Le peuple chrétien saura très vite sentir cela.
Il est vrai que l'intuition, la prière et la contemplation précèdent toujours le dogme, la doctrine et la théologie. A la crèche, les bergers ont toujours une longueur d'avance sur les mages !

Marie y sera toujours sensible, et il n'est pas étonnant de constater dès les premiers siècles du christianisme une multiplication des apparitions mariales.

Là où son souvenir est évoqué, sa présence est suscitée. Quant aux Voyants, gens comme elle, au coeur généreux, d'une grande simplicité, très souvent des enfants.

Au début de mon ministère j'avoue avoir été surpris de découvrir chez certains fidèles une piété mariale que je trouvais trop exagérée. Pourtant, avec le recul des ans, j'ai petit à petit découvert Marie. Ce n'est pas se couper du Christ que de la prier. Ce serait les opposer tous deux, les mettre en "concurrence".

Marie représente autre chose, un autre chose complémentaire et indissociable de Jésus.

Les Pères de l'Eglise nous disent que "Marie reflète la lumière christique comme la lune reflète la lumière du soleil".

La phrase est belle, poétique, surtout incroyablement vraie.

"Prie pour nous maintenant et à l'heure de notre mort" disons-nous en achevant de réciter le "Je vous salue Marie". Ainsi quand l'être humain quitte ce monde, il doit d'abord rencontrer Marie. Son âme ne saurait être assez pure pour supporter une rencontre en face à face avec le Christ. La lumière de Seigneur ne peut être reçue que par des âmes suffisamment préparées à cela. Alors Marie intervient, apaisante et maternelle, elle nous prépare au deuxième grand voyage, nous habitue peu à peu à la lumière si éclatante et brûlante de son fils.

Il en est de même dans la vie courante, le chrétien peut ressentir un besoin très fort de prier Marie, par une sorte d'affinité intérieure, parce qu'il se sentira plus près d'elle à certains moments, plus proche de sa sensibilité. Le visage du Christ impressionne et éloigne parfois les âmes qui ont besoin d'une grâce plus proche de la commune faiblesse.

Et parce que je crois tout cela inscrit dans le grand Livre de la Vie, je ne m'étonne pas de constater que les religions pré-chrétiennes aient elles aussi senti la présence de la Vierge Eternelle:
Virgo partira des druides gaulois, Isis qui va enfanter chez les égyptiens, déesse de la Compassion en Inde.
Le courant prophétique a soufflé sur toute la terre, et çà et là, tous les peuples ont arraché au feu des étoiles quelques parcelles de Vérité.

C'est en ce sens qu'au-delà du personnage humain de Marie, un être gigantesque se profile à l'horizon du monde spirituel. Cet être conçu sans la tâche du péché originel m'interroge. La liturgie de l'Eglise, lors des fêtes mariales, nous donne à méditer en premières lectures des extraits du livre de la Sagesse. C'est ouvrir de merveilleuses perspectives de méditation que d'associer Marie à la Sagesse ! Ecoutez plutôt:
"Elle est un effluve de la puissance de Dieu, une émanation toute pure de la Gloire du Tout-Puissant; aussi rien de souillé ne s'introduit en elle. Car elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tâche de l'activité de Dieu, une image de sa Bonté" (Sagesse 7,25-27).

Ces lignes tirées de la Bible appartiennent à l'Ancien Testament. La jeune fille de Nazareth paraîtra plus tard.

Environ dix-neuf siècles après son passage, Lourdes va nous éclairer encore davantage. L'Apparition se fait connaître à Bernadette comme "l'Immaculée Conception".

Elle ne dira pas, je suis "Marie l'Immaculée Conception", ni encore je suis la "Vierge Immaculée". Non ! L'apparition va beaucoup plus loin que le personnage humain de Marie. Elle nous fait remonter comme le faisait remarquer Mgr Patrick Truchemotte dans "La Dorine et les Secrets de Lourdes", à "un être venant de ce que la Genèse exprime dans la Bible par le mot Bereschit: en tête ou en premier, ou au commencement... Dans le principe".

La Conception Immaculée ! Voyons, serait-ce la pensée divine de la création, une idée vivante devenue personne, avant que le mal ne vienne souiller le chef d'oeuvre ? Car "par le péché" nous dit l'Apôtre Paul, "la mort est entrée dans le monde" (Rom. 5,12).

Je me remémore l'extrait du livre de la Sagesse:
"Emanation toute pure de la Gloire du Tout-Puissant; aussi rien de souillé ne s'introduit en elle, car elle est un reflet de la lumière éternelle".
On se prend à rêver, à confondre et à embrasser dans un seul regard la Sagesse, l'Esprit-Saint, l'Immaculée Conception...

Rien d'étonnant alors si à l'autre bout de la Bible, dans le fameux livre de l'Apocalypse, cette femme apparaît dans le ciel, sous l'oeil du Voyant de Pathmos, "revêtue du soleil, la lune sous ses pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles" (Apoc. 12,1).

Les symboles du soleil et la lune nous renvoient à la pensée des Pères de l'Eglise que je citais tout à l'heure. Quant aux douze étoiles, les symbolistes y verront l'absolu de la connaissance dans la plénitude de l'Esprit-Saint.

L'étoile de la connaissance du bien et du mal cachée dans la pomme de la Genèse avait valu la chute de nos premiers parents.
(sur le pourquoi de la pomme en Eden, il suffit de couper ce fruit par le milieu. Il est facile d'y voir, dessiné par les pépins, cette forme d'étoile à cinq branches représentant la quintessence, l'essentiel à savoir).
Cette étoile redeviendra bénéfique pour l'humanité à la crèche en indiquant la présence du Christ.

Dans la vie éternelle, ce n'est plus une, mais douze étoiles que nous apercevons sur la couronne de la Vierge. Les portiers savent que le chiffre douze marque toujours un achèvement dans le symbolisme, la réalisation complète.
On pensera aux douze coups de minuit, aux douze signes du zodiaque, au douze mois de l'année, à la lame douze des tarots, etc.

Compte-tenu de ce que nous disions tout à l'heure, il n'est pas étonnant de constater que la Vierge apparaît sous la forme qu'elle désire:
yeux bleus à Lourdes, yeux noirs à Fatima, vierges noires de certains sanctuaires.

L'Immaculée Conception n'est pas prisonnière d'un moule. Elle sait se met à la portée de tous les peuples de la terre.


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