Arcachon, une rue, une plaque sur le musée-marin rappellent le souvenir de l'Abbé Xavier Mouls, fondateur et bienfaiteur de la cité de 1854 à 1869. En lisant cet article vous réaliserez qu'il s'agit du strict minimum.

En comparaison du flot d'énergie, de la créativité et de la générosité de celui qui a imaginé puis créé cette toujours florissante station balnéaire, fleur du bassin aquitain, vous vous poserez sans doute la question du pourquoi ?

Pourquoi cette conspiration du silence ourdie contre l'Abbé Mouls ? Qui sont les fossoyeurs de son histoire et de sa mémoire ? Pourquoi tant d'acharnement à vouloir faire disparaître toutes traces de son passé ?

Nous allons tenter de répondre à ces questions. Disons tout de suite que son refus du dogme de l'infaillibilité papale défini par le Vatican en 1870 et son adhésion aux thèses gallicanes y sont pour beaucoup. Mais avant d'aborder le sujet, commençons par rendre hommage au créateur et fondateur d'Arcachon.

La Genèse

Né en 1822 à Belmont sur Rance, dans l'Aveyron, Xavier Mouls est ordonné prêtre en 1846 à l'âge de 24 ans. En 1848 il est envoyé en Aquitaine où il est nommé vicaire à La Teste, commune du bassin d'Arcachon. Le jeune prêtre découvre alors un paysage totalement différent de son Aveyron natal; une lande sauvage envahie par le sable, les marécages, la mer. Il reste une année dans cette paroisse. Il dessert aussi régulièrement un petit village de pêcheurs qui porte le nom d'Arcachon. Une centaine de personnes y vivent. Sans doute est-ce vers cette époque où, partageant le quotidien de ses pauvres paroissiens, il ébauche le rêve d'une future station balnéaire sur les bords du rivage sauvage d'Arcachon.

Xavier Mouls est un homme plein d'énergie et d'initiative. Le 7 juin 1849, alors qu'il est nommé curé de Cazaux - autre village de pêcheurs situé à quelques lieues de La Teste sur les bords d'un lac - il décide avec les villageois de démonter pierre par pierre l'église en ruine pour en reconstruire une nouvelle au centre du village. Cinq mois plus tard le nouvel édifice est achevé. Son jeune curé s'installe dans le presbytère.

L'ancienne église de Cazaux

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Prêtre bâtisseur, Xavier Mouls est ensuite nommé en août 1852 curé de Montigaud (à une dizaine de kilomètres de Clérac, village qui aujourd'hui abrite une chapelle gallicane desservie par l'auteur de cet article); à Montigaud il construit un magnifique clocher et restaure le pèlerinage de Notre Dame de la Vergne. Mais les souvenirs et les beautés du rivage sauvage d'Arcachon ne le quittent pas, il élabore son projet d'une belle et vaste station balnéaire. Pendant ce temps, l'un de ses amis, Lamarque de Plaisance, devient maire de La Teste. C'est une aubaine providentielle pour l'abbé Mouls. Mais pour créer une commune autonome à Arcachon et s'y faire nommer curé il lui faut des appuis politiques puissants et des idées bien construites. Xavier Mouls va s'efforcer de les exposer en hauts lieux.

Fondation

Notre jeune abbé fait connaissance des deux frères directeurs de la Compagnie de Chemin de Fer, les Péreire, très proches de Napoléon III. Il leur fait miroiter qu'ils peuvent bâtir une fortune immense en étant les premiers à investir dans une ville nouvelle. Il leur expose son projet. L'abbé sait également obtenir l'attention bienveillante de l'Impératrice en publiant, alors qu'il est curé de Montigaud, une brochure dans laquelle il associe le nom du village aux ancêtres de l'Impératrice, les Montijo. Si l'on ajoute à cela le fait que l'archevêché et la préfecture de Bordeaux le tiennent en particulière estime et sympathie on aboutit logiquement à la date du 15 avril 1854. Un décret impérial précise que: "L'église Notre Dame d'Arcachon, section de La Teste, canton de La Teste (Gironde) est érigée en succursale". Xavier Mouls en est nommé curé.

Chapelle des marins où Xavier Mouls fut nommé comme premier curé

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Cet événement considérable commence à détacher le petit village d'Arcachon de la commune de La Teste. Aux frères Péreire, l'abbé confie prophétiquement:
"Ces rives autrefois désertes seront populeuses, et reine de la contrée, la ville d'Arcachon unie à celle de La Teste qui lui donna le jour, sera désormais composée de trois cités distinctes qui se prêteront un mutuel secours: la cité d'hiver dans sa forêt embaumée; la cité d'été, avec ses coquettes villas se mirant pour les baigneurs dans le cristal des eaux; et enfin la cité industrielle et commerciale se développant à l'est d'Arcachon."

Le projet de l'abbé se développe ainsi:
- Une gestion autonome, en vue de la création de la commune.
- Une ligne de chemin de fer pour desservir la future cité.
- Une gare, un buffet, des constructions neuves groupées pour recevoir des familles et leurs domestiques, des animations variées, des traditions annuelles, un développement économique, des oeuvres sociales de charité et un grand soutien spirituel pour tous.

Vers la Réalisation

Sitôt installé comme curé d'Arcachon Xavier Mouls se met à l'ouvrage. Il a 32 ans. Donnant la mesure de ses multiples talents il devient alors selon les circonstances architecte, publiciste, impresario, journaliste, ouvrier, urbaniste, écrivain, administrateur, machiniste. C'est un actif pur, qui donne l'exemple d'un travail personnel intense.

Dans sa paroisse il est partout et incontournable. Il galvanise les énergies, organise des fêtes pour financer ses projets. Le 8 août 1854 il crée la première procession nautique qui deviendra une véritable institution arcachonaise. L'archevêque de Bordeaux vient en personne bénir la foule et les bateaux. Le 20 septembre 1854, le ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics Pierre Magne visite le site. L'abbé obtient de lui des études pour l'amélioration des passes qui séparent l'entrée du Bassin d'Arcachon de l'océan.

Trois ans plus tard la gare est inaugurée, la cité grandit et se développe. Un décret impérial du 2 mai 1857 érige en commune autonome le secteur d'Arcachon. L'ami de Xavier Mouls, Mr. Lamarque de Plaisance, est élu maire.

La fréquentation des notables et des puissants n'empêche pas l'abbé de rester l'ami des humbles. Il n'oublie pas ses pauvres paroissiens des débuts, alors qu'il était jeune vicaire à La Teste. Il organise une société de secours mutuel permettant aux marins de subsister en cas de maladie.

Son esprit est toujours en mouvement, à l'affût de nouvelles idées. Ainsi il s'intéresse à une innovation, la culture de l'huître. Une première étude avait été réalisée sur le sujet par M. Costes en 1854. Le 28ème congrès scientifique de France choisit Arcachon pour se réunir en septembre 1858. Xavier Mouls y fait un brillant exposé sur la culture de l'huître qui attire l'attention des scientifiques. Quelques mois plus tard elle est alors officiellement reconnue et va se développer pour devenir la grande spécialité du Bassin d'Arcachon.

L'Apothéose

Le 10 octobre 1859, sur le parvis de l'église Notre Dame d'Arcachon qu'il a fait construire, l'abbé Mouls, fondateur de la cité, est félicité et décoré de la légion d'honneur (distinction qu'il est le seul à recevoir) par L'Empereur en personne accompagné par sa famille et les plus hautes notabilités de l'Empire. C'est la consécration et la récompense suprême pour l'abbé.

Les visiteurs affluent, le nombre des habitants grossit. Arcachon devient la ville à la mode. L'été 1861 voit passer dans la cité 100000 visiteurs. C'est l'abondance et la prospérité.

Xavier Mouls est partout à la fois et s'occupe de tout. Il publie des études sur les huîtres, le pèlerinage de Notre Dame d'Arcachon, sur les dunes, sur le port d'Arcachon. Un orphelinat manquait dans la région, il se débrouille pour trouver une demeure capable d'accueillir 300 enfants sans famille. Il fonde encore une société de sciences naturelles et archéologiques, un orphéon musical pour distraire mais aussi pour jouer lors des grandes occasions. Son sacerdoce semble n'être qu'une activité parmi d'autres, pourtant il fait bâtir trois églises en Arcachon. Des difficultés financières surgissent lors de la construction de la quatrième; oecuménique avant l'heure il autorise et aide trois riches négociants appartenant à l'Eglise Réformée à édifier un temple protestant. Sa vision du sacerdoce est sans doute catholique dans le sens originel du terme, c'est à dire universel...

En 1863 il fonde la société scientifique avec observatoire, aquarium, laboratoire de recherche et musée.

Bâtiment actuel de la Société Scientifique, inchangé depuis l'époque

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Des savants renommés descendent à Arcachon, le physiologiste Paul Bert, l'astronome Le Verrier. Des sommités dans les domaines médicaux et météorologiques sont sollicités par l'abbé Mouls. Arcachon devient ville de santé pour être classée plus tard station climatique. Durant l'été c'est le célèbre compositeur Charles Gounod qui joue sa musique sur les nouvelles orgues de Notre Dame d'Arcachon. En octobre Napoléon III effectue une visite éclair accompagné de son ami Emile Péreire. Les dunes de sable achetées par les frères Péreire sont métamorphosées par de nombreuses et belles villas. Un casino de style mauresque est inauguré. Tout est fait à Arcachon pour se distraire: salons de lecture, théâtre, soirées musicales, bals, etc.

L'Abbé Mouls âgé d'une quarantaine d'années

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En 1865, au nom de la société scientifique dont il est le président il organise - sous le patronage de l'Empereur, avec l'aide et les puissants moyens de plusieurs ministres - une exposition internationale de pêche et d'agriculture qui regroupe à Arcachon 600 exposants venus d'Amérique, d'Asie, d'Europe et d'Afrique. C'est un succès retentissant. Le rayonnement de la cité arcachonaise dépasse les frontières de la France, sa renommée atteint le bout du monde.

La Disgrâce

Comme tous les personnages publics, les créateurs, les actifs et tous ceux qui oeuvrent en pleine lumière, l'abbé Mouls devait susciter jalousies et critiques de la part de ceux qui, comme le révèle l'Evangile: "disent, mais ne font pas." Critiquer est facile, c'est à la portée du premier venu. Faire et construire demande d'autres talents. Il faut imaginer, créer, se battre, mobiliser son courage et son énergie.

A partir de 1865 un clan anti-Mouls se manifestait en Arcachon. La personnalité de l'abbé faisait de l'ombre et ses adversaires étaient décidés à entamer une guerre des nerfs jusqu'à élimination du curé. Calomnies dans les journaux locaux, jalousies de la part de confrères, de grands de ce monde ou de médiocres, le péché d'envie secrète à foison haine et médisance. Il est parfois sans limite, toujours vil et venimeux. Des siècles avant l'abbé Mouls Monsieur de Lafontaine faisait remarquer que c'est la manière employée par les poux pour venir à bout du lion. Une usure lente, sournoise, faite de ragots et de dénigrements incessants. Tels furent les moyens utilisés par ceux qui voulurent abattre l'abbé.

En juin 1865 Xavier Mouls avait soutenu la candidature à la mairie d'Héricard de Thury. Une certaine presse locale l'avait alors incendié. En 1869, le nouveau maire démissionnait, épuisé par l'esprit d'opposition et de dénigrement rencontré durant son mandat. Un mois plus tard Xavier Mouls était démis de ses fonctions de curé et nommé chanoine titulaire à la cathédrale Saint André de Bordeaux. L'archevêché le remerciait...
"J'ai prêché des retraites, des carêmes et donné des missions dans un bon nombre de paroisses et dans plusieurs diocèses. J'ai bâti quatre églises, trois presbytères et contribué puissamment, vous le savez, à la fondation de notre chère ville d'Arcachon. Mais hélas ! Quand j'ai vu que celui qui, dans ses discours solennels, et dans ses lettres pastorales, m'avait appelé "l'apôtre du diocèse", l'homme puissant en paroles et en oeuvres m'abandonnait injustement et me rejetait comme on jette, après s'en être servi, une écorce de citron..." (abbé Mouls - lettre à Héricard de Thury - revue historique du pays de Buch n°13.

Le Proscrit

Durant le mois de juin 1869, après qu'il eut annoncé en chaire le jour de la Fête-Dieu qu'il était nommé chanoine titulaire à la cathédrale Saint André de Bordeaux, Xavier Mouls disait à ses paroissiens: "Personne ne pourra me séparer de vous. J'ai fait Arcachon. Je veux y mourir." Il s'installe alors dans une villa non loin de l'église où ses fidèles se réunissent désormais pour entendre la messe.

Presbytère de Notre Dame - habitation de xavier Mouls de 1854 à 1869

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L'arrivée des "Oblats de Marie", religieux nommés par l'archevêché en remplacement de l'abbé Mouls ne se fait pas sans heurts avec la population locale. Les arcachonais défendent leur curé. Des boules puantes sont lancées lors des offices, des vitraux sont cassés. La tension monte dans la ville. Afin de "rétablir l'ordre" le cardinal Donnet interdit de séjour le premier curé...

Chassé de sa ville, relégué comme un vulgaire malfaiteur par le maître tout puissant du diocèse, cardinal et sénateur de l'Empire, Xavier Mouls s'installe à Bordeaux au 7 rue d'Albret. C'est sans doute vers cette époque qu'il fait la connaissance de l'abbé Pierre-François Junqua. Le fait est qu'en mars 1872 les domiciles des deux prêtres sont perquisitionnés par la police qui leur reproche d'être les auteurs du roman: "Les Mystères d'un Evêché".

Pour résumer nous pouvons dire que ce roman dénonçait les abus de pouvoir des princes de l'Eglise de l'époque. Le dogme de l'infaillibilité du pape venait d'être défini à Rome l'année 1870, la puissance des seigneurs ultramontains atteignait son apogée. Mouls et Junqua s'étaient soulevés contre cette offense à l'esprit de l'Evangile, fidèles en cela aux principes des libertés de l'Eglise Gallicane.

Xavier Mouls avait même tenté en 1871 de contacter le ministre des cultes - Jules Simon - lorsque l'Assemblée Nationale s'était réunie à Bordeaux pour l'alerter, le sensibiliser à la création d'une Eglise catholique indépendante de tradition gallicane. Mais il aurait fallu qu'un membre éminent de l'épiscopat français le parraine et le soutienne. Hors en plein XIXème siècle, alors que le pape de l'infaillibilité - Pie IX - avait en 1864 dans le Syllabus condamné la liberté religieuse et la démocratie, aucun évêque, même le très gallicanisant Mgr Dupanloup - celui-la même qui en 1870 avait déclaré que "le nouveau dogme de l'infaillibilité était la plus grande insolence qui se soit jusqu'ici perpétrée au nom de Jésus-Christ" - n'oserait se lancer dans une telle aventure en consacrant un évêque indépendant au nez et à la barbe du Vatican. La partie était trop risquée. Oser perdre ses privilèges, un train de vie princier, mieux encore, des habitudes de conscience... Il y avait de quoi faire réfléchir même le plus gallicanisant des évêques de France.

Aussitôt après les perquisitions de mars 1872 Xavier Mouls partit en Espagne, à San Sebastian. Le chemin de l'exil le fit ensuite aboutir en Belgique. Il s'installa à Bruxelles. Le 18 avril 1872 le journal belge "Le Temps" annonçait sur le ton de la polémique: "Le chanoine Mouls, le dissident de Bordeaux, qui s'est séparé de l'Eglise catholique en même temps que l'abbé Junqua, vient d'arriver à Bruxelles où il veut fonder une Eglise nouvelle. M. Mouls est vêtu d'habits bourgeois. Il porte le ruban de la Légion d'Honneur." Le "Bien Public" de Gand poursuivait sur un ton plus féroce: "Ces deux saltimbanques ont pris pour théâtre de leurs jonglerie l'ancienne chapelle des Dames de Berlaimont, rue du Manège. Ils ont comme auditoire des commis voyageurs, des bourgeois philosophes, des communeux, quelques juifs, un rabbin". A l'inverse, le journal "Les Nouvelles" faisait état d'une foule énorme. Le journal d'Anvers titrait lui sur "l'hérésie gasconne transportée à Bruxelles".

Après le tapage médiatique des premiers jours les passions s'éteignirent. L'abbé Junqua repartit à Bordeaux affronter le tribunal, son confrère et ami Xavier Mouls restait en Belgique.

A Arcachon, une grande partie de la population regrettait son curé. Malgré sa condamnation par contumace aux Assises de la Gironde les humbles n'étaient pas dupes, n'oubliant pas les mérites, la bonté et les nombreuses qualités de coeur de leur premier curé. Le Ciel non plus n'oubliait pas - si j'ose dire - en témoigne le curieux charisme de guérison développé par l'abbé Mouls en Belgique. "Ceux qui croiront en moi", disait Jésus, "des fleuves d'eau vive couleront de leur sein" (Jean 7,38). "Voici les signes qui les accompagneront, ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris" (Marc 16,18). Dans la province du Hainaut où il résidait alors, de nombreux malades venaient le consulter des villages alentour. Il se rendait même au domicile des particuliers qui en faisaient la demande, pour bénir leur maison et porter les sacrements aux malades. La mère de Ghislain Gambier, impotente depuis une dizaine d'années fut complètement guérie par les prières de l'abbé Mouls.

L'Abbé Mouls dans les dernières années de sa vie

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Au début du mois de juillet 1878, l'abbé rentre indisposé de Bruxelles. Il meurt subitement après deux ou trois jours, sans souffrances. C'était un après-midi, vers cinq heures du soir, un cinq juillet, en la demeure de Ghislain Gambier, ouvrier tourneur en fer de son état, fils de la malade sauvée par les prières de l'abbé Mouls. "Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ! S'il est roi d'Israël, qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui" (Mathieu 27,42). La vie d'un saint n'est jamais sans quelques similitudes avec le drame du Calvaire... Chassé comme un malfaiteur de sa ville d'Arcachon par le puissant cardinal Donnet, opprimé, outragé, humilié, Xavier Mouls avait ensuite accompli durant neuf années son chemin de croix. Implacables, ses ennemis ne reculèrent pas après sa mort. Il fut le premier enterré civilement à Chapelle Lez Hairlaimont, commune de Belgique. Une foule énorme venue de partout accourut pour l'occasion: malades guéris par ses prières, personnes reconnaissantes, amis qui ne l'avaient point oublié. Une fois le cercueil enterré, aucun signe extérieur ne vint marquer son emplacement. Quelques années après, les ossements furent dispersés afin de laisser la place à de nouvelles inhumations. "Heureusement", comme l'écrit Victor Hugo, "Dieu sait où retrouver l'âme" (Les Misérables - fin du premier livre).

Le Fondateur Inconnu

Dans la ville d'Arcachon qu'il avait fondée, des consignes strictes furent données par la mairie et ce, en parfait accord avec le palais archiépiscopal de Bordeaux pour anéantir jusqu'au souvenir de l'existence même de Xavier Mouls.

Son successeur à la cure de Notre Dame d'Arcachon - l'abbé Delpeuch - fut l'auteur d'un livre extraordinaire de 400 pages qui réussit le tour de force de ne pas citer une seule fois le nom de Mouls... Le cardinal Donnet dut apprécier en fin connaisseur.

La société scientifique d'Arcachon effaça de sa mémoire le nom de son illustre fondateur. Cette qualité fut attribuée au docteur Gustave Hameau, qui pourtant n'en avait été élu président qu'en 1867... Le docteur Gustave Fleury, président de la société scientifique d'Arcachon vers le milieu du XXème siècle consacra une brochure de réhabilitation à la mémoire du curé fondateur le 14 février 1954. Il fut l'un des premiers à s'indigner de cette conspiration du silence ourdie contre l'abbé Mouls:

- "Mouls ? Inconnu dans la paroisse Notre Dame. Inconnu dans les communes d'Arcachon et de la Teste. Inconnu à la primatiale et dans l'archidiocèse de Bordeaux. Inconnu dans les établissements où il fit ses études secondaires et cléricales. Inconnu à Belmont où il naquit et fut baptisé. Inconnu partout ! En vérité, au début de ce siècle, les fossoyeurs de la mémoire de Mouls pouvaient se féliciter: ils avaient fait du bon travail."

Un buste sur la place de la mairie: tel fut le voeu énoncé par le docteur Fleury lors de l'assemblée générale de la société scientifique de 1954... Et, sous ce buste, une plaque: Xavier Mouls, Fondateur d'Arcachon, 1854-1869.

Mais contre ce projet continue à se braquer le dernier carré de ceux qui depuis plus d'un siècle poursuivent la mémoire de l'abbé Mouls de leur haine: "Il est des morts qu'il faut qu'on tue" écrivait le docteur Fleury.

Bien après l'abbé Mouls, d'autres pharisiens - les méthodes ne changent guère - faisaient interdire par l'occupant nazi l'Eglise Gallicane et confisquer ses biens. Ils croyaient avoir gagné la partie. Mais vint la Libération, et avec elle la renaissance de l'Eglise Gallicane pour qui le souvenir de l'abbé Mouls ne s'est pas effacé.

Extraits de l'Hommage du Docteur Fleury

- "... C'est une figure singulière et singulièrement attachante que celle de l'abbé Mouls. Il arrive en Arcachon le 1er mai 1854 comme curé de la nouvelle paroisse, une paroisse créée depuis quinze jours. Il a 32 ans. C'est un solide gaillard, haut en couleur, grand, bien découpé, une carrure d'athlète, une allure jeune, un visage mâle, intelligent, le regard droit et franc. Il parle net et clair et facilement. Il ne mâche pas ses mots. Il dit ce qu'il veut dire avec une rudesse qui n'exclut pas une bonhomie volontiers familière voire cordiale. Une bouteille de vin ne lui fait pas peur et joyeusement il sait trinquer avec ses ouailles, toujours prêt, à l'occasion à donner un coup de main aux travailleurs qui apprécient sa vigueur musculaire, son entrain et sa bonne humeur. Cultivé, large d'esprit, actif, jovial, habile, sincère, volontaire, charitable, d'un abord facile, optimiste de caractère, de moeurs impeccables, il est d'emblée sympathique à tous avant d'acquérir très vite une popularité incroyable. De lui partout au pays on dit avec une pointe d'admiration: "Ça, c'est un homme ..."

- "... C'est l'histoire, belle comme une légende, instructive parce que profondément humaine, exaltante parce qu'elle montre ce que peut une volonté au service d'une idée, l'histoire d'un homme exceptionnel qui, au prix de luttes incessantes, par son intelligence, sa persévérance, son astuce, son courage et ses larmes, a non seulement fondé Arcachon, mais l'a édifié sur des bases indestructibles ..."

- "... Un homme d'église doublé d'un prodigieux homme d'action, un chef à la fois étonnant psychologue et orateur puissant, une imagination ardente inséparable d'un sens pratique avisé, une vaste conception des ensembles réunie à une exacte vision des détails, une claire et ferme volonté alliée à une souplesse ecclésiastique, bref, une force, arrivant toujours à vaincre et à convaincre, voilà, Messieurs, ce qui fut à l'origine d'Arcachon ..."

- "... Cependant, on ne peut éternellement garder la lumière sous le boisseau. De si loin qu'elle arrive ou si enfermée qu'elle soit dans les oubliettes, la vérité finit toujours par surgir et se révéler avec une puissance qui n'appartient qu'à elle. "De toutes choses, dit Montaigne, les naissances sont faibles et tendres: pourtant faut-il avoir les yeux ouverts aux commencements." Ceux de nos concitoyens qui se penchèrent sur un passé récent connurent, avec une évidente clarté, que l'abbé Mouls avait provoqué la naissance de la commune d'Arcachon, guidé ses premiers pas, et que pendant dix ans rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. Des esprits curieux, chroniqueurs et journalistes, nous parlèrent de l'existence passionnante de notre héros, que la vie a d'abord comblé pour le meurtre ensuite cruellement ..."

** Extraits du discours du Docteur G. Fleury - Président de la Société Scientifique d'Arcachon - prononcé le 14 février 1954.

Le seul témoignage que la ville d'Arcachon lui a accordé - une petite rue longeant Saint Louis des Abatilles

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** Nous remercions tout particulièrement Madame MOULS Christiane - photographe à Arcachon et parente de l'abbé Mouls - pour les documents de travail qui ont permis la rédaction de cet article, et pour les photos qui servent à l'illustration.

Contact:
Studio Photo Mouls
252 boulevard de la Plage
33120 ARCACHON

L'actuelle église de Cazaux - celle construite en 1849 par l'abbé Mouls et ses paroissiens - à la force des bras et des mains

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