Le 12 avril 1704 mourait Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, célèbre pour l'élévation spirituelle de ses sermons et tenant une place immense dans la littérature française du XVIIème siècle.

A l'occasion du 300ème anniversaire de sa mort il peut être utile de rappeler son rôle historique de défenseur du gallicanisme. Le titre "d'immortel défenseur des Libertés de l'Eglise Gallicane" lui a parfois été donné. Il rédigea en effet la célèbre "Déclaration du clergé gallican sur le pouvoir dans l'Eglise" (1682).

Aux côtés de Louis XIV, Bossuet jouait virtuellement le rôle de chef spirituel de l'Eglise Gallicane. En conflit avec Rome au sujet du droit de Régale (perception royale du revenu ecclésiastique des évêchés et abbayes), Louis XIV convoque en synode national l'Assemblée extraordinaire des évêques de France. Il leur demande de rappeler dans une déclaration solennelle les grands principes des Libertés de l'Eglise Gallicane.

Bossuet, qui vient d’être nommé évêque de Meaux et qui est le personnage le plus marquant de cette assemblée, est chargé d’en rédiger le texte.

En voici le résumé:

Les Quatre Articles de 1682

1) Les princes ne sont pas soumis à l’autorité de l’Eglise dans les choses temporelles.
2) L’autorité du pape est limitée par celle des conciles généraux.
3) L’autorité du pape est limitée par les lois et coutumes du roi et de l’Eglise Gallicane.
4) L’opinion du pape n’est pas infaillible, à moins qu’elle ne soit confirmée par l’Eglise.

Le 19 mars 1682, la déclaration est soumise à l’Assemblée du clergé de France et approuvée par l’unanimité de ses évêques... Ce qui en dit long sur l’importance du sentiment gallican à l'époque !

Les "Quatre Articles de 1682" sont aussitôt érigés en loi d'Etat et enseignés dans toutes les écoles. Les titulaires d'un grade universitaire de théologie promettent, sous serment, de les respecter. C'est une véritable charte pour l'Eglise Gallicane. Elle fait suite à la Pragmatique Sanction de Bourges de Charles VII (1438) et à l'enseignement théologique de la très gallicane Sorbonne à Paris.

Elle repose sur une longue tradition d'indépendance de notre vieille Eglise nationale, déjà défendue par Pierre d'Ailly et Jean Gerson sur les bases définies par les conciles de Constance (1414) et de Bâle (1431): limitation des pouvoirs du Pape à un rôle d'impulsion, d'arbitrage et d'unité, réaffirmation - conformément à la règle de l'Eglise universelle et indivise (catholique et orthodoxe) du premier millénaire - de la supériorité du concile (assemblée de tous les évêques) sur le Pape.

Elle anticipe ce que devrait être l'Eglise du troisième millénaire, une Eglise plus démocratique et participative, non une monarchie absolue de droit divin telle que celle définie par le concile romain de Vatican 1 en 1870.

Paradoxalement, c'est sous le règne de Louis XIV - monarque absolu lui aussi - que cette charte est adoptée. Mais le gallicanisme du Roi était plus politique que théologique. Il s'agissait moins pour lui de défendre un idéal que de fabriquer une machine de guerre à l'encontre de Rome.

Bossuet n'ignorait rien de la politique du Royaume de France mais, en bon théologien, il a dans ses définitions ramené le débat au niveau des principes, des vérités théologiques.

Il connaissait le passé actif de la tradition gallicane, ses maîtres - gallicans eux aussi - l'avaient bien formé.

Ecclésiologie Gallicane

Bossuet ne pouvait ignorer la Pragmatique Sanction, ordonnance royale promulguée par Charles VII en 1438 avec l'assentiment de ses théologiens et qui limitait déjà, au profit du pouvoir royal, les droits de la cour de Rome en matière de nomination aux évêchés et aux abbayes, de perception des revenus ecclésiastiques, d'appels, d'excommunications ou d'interdits. Le concile général y était reconnu supérieur au pape, les élections des évêques et des abbés étaient rétablies. Par ce texte, Charles VII avait déjà donné à la France un statut de pur esprit gallican.

Mais tous ces décrets ne furent pas reconnus par Rome qui les condamna.

Cependant, ces condamnations ne paraissent pas avoir beaucoup ému les gallicans d'alors. Ainsi en 1461, Louis XI accorde à Pie II l'abrogation de la Pragmatique; mais le Parlement de Paris (haut lieu de résistance gallicane) refuse d'enregistrer ses lettres. En 1472, c'est un concordat véritable qui est conclu entre Louis XI et Sixte IV; mais le Parlement, qui se pose en défenseur des anciens canons, refuse encore l'enregistrement de ce concordat qui reste lettre morte.

En 1545, au concile de Latran, le cardinal de Lorraine déclare publiquement que l'Université de Paris lui a enseigné la suprématie du concile général sur le Pape, et qu'il ne peut moins faire que de défendre cette doctrine en fils soumis à sa mère éducatrice. Et il ajoute : "Jamais un évêque de France n'admettra la déclaration du concile de Florence sur la prééminence du pape".

Malgré l'opposition résolue de Rome, la Pragmatique Sanction de Bourges demeure en vigueur en France jusqu'au Concordat de Bologne signé en 1516 par François 1er et Léon X; et au-delà, elle ne cesse d'inspirer la politique religieuse en France, jusque et y compris sous la Révolution et l'Empire.

La Succession de Bossuet

La Révolution française donne naissance à l'Eglise Constitutionnelle. Rappelons que ses membres étaient élus par le peuple, curés et évêques, et prêtaient serment à la République, non au Pape. La Constitution Civile du clergé édictée en 1790 reprend certains principes de l'Eglise Gallicane.

Un être exceptionnel d'esprit gallican y participe: l'Abbé Grégoire, élu par le peuple évêque de Blois (ses cendres reposent aujourd'hui au Panthéon à Paris). Précurseur dans de nombreux domaines, Grégoire obtient de la Convention l'abolition complète de l'esclavage et se prononce formellement à la tribune pour l'abolition de la peine de mort. Il vote la fin de la royauté mais refuse de voter la mort du roi, souhaitant que Louis XVI soit appelé le premier à profiter du bienfait de l'abolition de la peine capitale. Il se bat aussi pour la culture, sauve des monuments, multiplie des bibliothèques, fait établir des jardins botaniques.

L'Empire napoléonien joue un étrange double jeu. Il inscrit le gallicanisme et les quatre articles de Bossuet dans ses catéchismes, mais signe un concordat avec le Pape par lequel Napoléon se fait même sacrer Empereur. L'ajout de 77 "articles organiques" au Concordat signé en 1802 maintient, malgré tout, une certaine forme d'esprit gallican: les "quatre articles de 1682" y sont toujours enseignés dans les séminaires.

Mais le concile romain de Vatican 1 (1870) s'efforce de signer l'arrêt de mort du gallicanisme en définissant le double dogme de "l'infaillibilité et primauté universelle de droit divin du pape". En vain Monseigneur Dupanloup évêque d'Orléans s'est-il écrié que cette prétention est: "la plus grande insolence qui se soit jusqu'ici perpétrée au nom de Jésus-Christ". En vain fait-on remarquer que toute l'Eglise a jusqu'ici cru et enseigné le contraire, en vain rappelle-t-on que même l'Apôtre Pierre a chuté dans la Foi en reniant le Christ, en vain relit-on dans les vieux bréviaires à la leçon de Saint Léon la condamnation pour hérésie du Pape Honorius, rien ne fait dévier l'Eglise Romaine de sa volonté.

Dans le monde entier des catholiques réagissent, leur conscience se refusant de faire du pape une espèce de divinité à la façon d'un pharaon d'Egypte. On rappelle le mot de Saint Bernard: "tu n'es pas le seigneur des évêques, mais l'un d'eux." Et quand l'infaillibilité pontificale est proclamée, l'on se rassemble en communautés pour continuer: "l'Ancienne Eglise"...

Vers le Mouvement de Gazinet

A Bordeaux, installé dans la chapelle Saint Jean-Baptiste de l'Abbé Junqua se condense le noyau de ce qui deviendra, après la loi de 1905, le mouvement de Gazinet. Poursuivi et persécuté, l'Abbé Junqua termine sa vie dans la misère en 1899. Le Concordat de 1802, en ne reconnaissant que les cultes catholiques-romains, protestants et israélites condamnait par avance Pierre-François Junqua et ses fidèles à la clandestinité.

Six ans plus tard, la loi de séparation du 9 décembre 1905 met fin au carcans du Concordat napoléonien. La République reconnaît désormais la liberté de conscience et de culte. En autorisant la création d'associations cultuelles elle permet l'existence de notre association cultuelle Saint Louis de Bordeaux, fondée à Gazinet en octobre 1916 par Louis Giraud.

L'Abbé Giraud, ordonné prêtre par Mgr Vilatte en 1907 avait déjà tenté avec celui-ci de fédérer ce qui restait en France du courant gallican. Le mouvement des cultuelles, qui regroupe environ 200 cultuelles catholiques non romaines entre 1906 à 1908 connaît d'abord un certain essor.

Mais petit à petit les procès se multiplient, enlevant un par un sous des prétextes divers les églises au clergé gallican. Les manifestations des fidèles en faveur des prêtres de Mgr Vilatte sont durement réprimées par la police. Même le directeur des cultes, le protestant Louis Mejean s’évertue à faire échouer le mouvement, pour que ne soit pas menacée: "la politique d’apaisement avec le pape..."

Découragé Mgr Vilatte regagne l’Amérique en 1908. Le mouvement des cultuelles se désagrège lentement, beaucoup n’ont plus qu’une existence des plus précaires. Il n’est plus question pour elles de faire exercer le culte dans les églises paroissiales qu’elles ont jadis revendiquées avec tant d’enthousiasme.

Le catholicisme gallican ne subsiste que là où les fidèles ont les moyens de faire construire à leurs frais leurs propres édifices religieux.

Une Profession de Foi

A Gazinet, commune de Gironde, l'association cultuelle Saint Louis fédère sous l'autorité de Mgr Giraud (devenu évêque en 1911) la renaissance de l'Eglise Gallicane. Le journal Le Gallican est créé en 1921. Mais il manque à l’Eglise Gallicane une affirmation de ses positions doctrinales. Une profession de Foi est donc promulguée. Une première ébauche est éditée vers 1930. Elle ne devient définitive qu’après plusieurs remaniements, et ce n’est qu’après la guerre qu’en novembre 1945 elle est largement diffusée.

Elle contient les "Quatre Articles de Bossuet", la déclaration du concile de Constance disant que le pape doit être soumis à l’Eglise et non l’Eglise soumise au pape, la partie étant inférieure au tout.

Elle rappelle l’essentiel de la Foi catholique : "ce qui a été cru toujours, partout et par tous", selon ce qu’a dit Saint Vincent de Lérins, doctrine contenue dans les Symboles des Apôtres, de Nicée-Constantinople et de Saint Athanase.

Mais l’originalité de la Profession de Foi de Gazinet réside dans une série de positions dont certaines seront reprises par le pape Jean XXIII, lors du concile Vatican deux.

L’abandon de la confession tribunal de la pénitence pour une forme plus fraternelle de confidence - non obligatoire - du malade spirituel au médecin de l’âme.

L’abandon des "classes" pour les cérémonies. A l’époque il y avait des mariages et des enterrements de première, seconde ou troisième classe dans les paroisses.

Le bannissement des excommunications.

Une liturgie en français (rite de Gazinet), plus accessible à tous et rénovée sur les bases de l'ancien rite des Gaules.

La décentralisation de l’Eglise.

La Communion sous les deux espèces. Jésus n’a-t’il pas dit: "Buvez en tous".

L’élection des évêques par le clergé et les fidèles.

Le rétablissement du mariage des prêtres et des évêques.

Bref, sous l’épiscopat de Mgr Giraud le gallicanisme se révèle non seulement comme la défense des Libertés Gallicanes chères à Bossuet, mais aussi comme une façon d’envisager l’application des leçons de l’Evangile d’une façon beaucoup plus humaine

Continuité

Trois générations plus tard, l'exercice du culte gallican se poursuit en Gironde et bien au-delà: en Tarn et Garonne, Loire, Portugal, Cameroun, Iles Canaries, etc. Le siège de l'Eglise et de la cultuelle Saint Louis est aujourd'hui à Bordeaux: chapelle primatiale Saint Jean-Baptiste, 4 rue de la Réole, 33800 Bordeaux.

La paroisse Saint Jean-Baptiste existe sans discontinuité depuis le 24 juin 1936. Fondée historiquement par l'Abbé Junqua en 1872, elle fut continuée par le Père Jean (Monseigneur Brouillet) 1936, puis par le Père Patrick (Monseigneur Truchemotte) 1960. Depuis 1987 le Père Thierry (Monseigneur Teyssot) assure le service permanent du culte gallican (messes, baptêmes, mariages, communions, funérailles, bénédictions) en la chapelle saint Jean-Baptiste.

L'Eglise Gallicane d'aujourd'hui, sans doute, est peu importante numériquement. On peut compter ses fidèles, ses sympathisants, ses clercs, ses lieux de culte... Et après ? L'essentiel demeure pour elle de demeurer indépendante et libre. C'est en cela que malgré sa faiblesse matérielle, qu'elle ne songe d'ailleurs pas à masquer, réside toute sa force d'attraction en puissance.

Aussi, si Dieu le veut, avec le concours de Sa Grâce, elle peut espérer conquérir au Christ les masses hostiles ou indifférentes. Les fondateurs de l'ancienne Eglise Gallicane furent des missionnaires. Ceux de la nouvelle doivent également l'être.

Si nous n'étions pas elle, où serait-elle ? Qui, à part nous, se mobilise encore autour de la Pragmatique Sanction de Bourges, des Quatre Articles de 1682, pour que soit maintenue cette liturgie gallicane typique, ces coutumes antiques, ces dévotions très particulières; tout ce qui fit l'identité d'une Eglise fondée aux temps où se répercutait encore le vibrant écho de la Voix du Christ commandant de "baptiser les nations en son nom" ?

Ouvrons la préface de la réédition de 1845 du livre de Bossuet: "la Défense de l'Eglise Gallicane", nous y lisons ces lignes de Monsieur de Genoude:

"Commençons par établir que nous ne disons pas l'Eglise Française, mais l'Eglise Gallicane, pour indiquer que cette Eglise, née dans les Gaules, existait avant les Francs, et que par conséquent elle est indépendante des pouvoirs politiques qui se sont établis après elle dans ce pays. Elle a conquis sa puissance spirituelle sur les Romains, comme les Francs ont conquis leur présence temporelle. La religion catholique n'était pas religion d'Etat avant Constantin et l'Eglise était déjà fondée dans les Gaules."

Une dernière remarque en guise de conclusion; hasard ou volonté de la Providence, la succession apostolique de l'actuelle Eglise Gallicane - celle qui établit les évêques dans la succession des Apôtres à travers le rite bimillénaire de l'imposition des mains - passe par l'évêque Bossuet, l'immortel défenseur des libertés de l'Eglise Gallicane.


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