Puis ce bonheur fut rompu. Adam et les siens furent chassés de ce séjour paradisiaque, le fil fut brisé qui reliait l'être humain aux régions supérieures et ce fut la grande nuit de la spiritualité.
En feuilletant le livre de la Genèse nous trouvons bien la notion de sacrifices offerts à l'Eternel; mais il faudra du temps - beaucoup de temps - avant qu'il ne soit question de prière...
Exposant un jour comment naissait la prière, le grand prédicateur gallican Bossuet a déclaré dans l'un de ses sermons: "la prière, par laquelle tous dons viennent à l'être humain, nous est, elle-même, donnée."
Comme le Christ-Jésus - lui-même - est un don du Père céleste à l'humanité.
Il en est entre Dieu et l'être humain de ce qui est entre deux personnes qui se livrent à la conversation... Tout au début l'on a cherché ses mots, l'on a hésité sur ce que l'on pouvait se dire ou ne pas se dire. Et puis, au fur et à mesure que l'on s'entretenait ensemble l'élocution est devenue plus facile. Des étapes ont surgi qui marquaient chaque fois une progression de l'intimité grandissante entre les deux interlocuteurs. Par un effet de la Grâce divine l'être humain a pu oublier en partie l'immense handicap que constituait sa petitesse par rapport à Celui auquel il s'adressait.
Ne pas prendre conscience de notre véritable qualité d'enfants de Dieu, c'est rester dans le vieil état de l'homme avant que le Christ ne soit venu lui apporter les lois fondamentales de la prière... Qu'a donc dit le Fils de Dieu ?
- "Tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez fermement que vous l'avez obtenu, et cela vous sera donné" (Marc 11,24).
Mais pour avoir en son coeur une telle attitude, une telle Foi, il faut avoir dépouillé de façon absolue et définitive ce que l'Apôtre Paul appelle: "le vieil homme" (Romains 6,6). La prière efficace se conjugue avec l'éclosion d'un homme nouveau, qui s'est libéré d'une mentalité d'esclave.
Raisonnons en ramenant l'adoption divine au niveau de nos adoptions humaines. Ne serait-il pas odieux pour nous si, après avoir adopté un enfant, avoir voulu l'introduire à part entière dans notre foyer, dans notre vie, dans notre affection, nous nous rendions compte qu'il continue à se conduire en étranger, à nous parler avec des mots embarrassés, à douter que nous soyons vraiment disposés à lui accorder tout ce qu'il voudrait nous demander. Plus encore serions-nous indignés si cet enfant adoptait envers nous une attitude de marchandage, si nous sentions que seul l'intérêt guide ses démarches envers nous, qu'il ne sait converser que pour nous demander.
Quelqu'un a dit que dans la prière tout n'est pas l'affaire des lèvres, l'élan du coeur est tout puissant, et si certains ont obtenu des choses gigantesques de la Divinité, c'est qu'ils avaient d'abord su se faire aimer de Dieu.
Mais on ne se fait pas aimer de Dieu comme on se fait aimer d'une personne humaine. Nos amours humains sont toujours tissés d'une part de faux-semblant, de mensonge. L'on tente de paraître à l'autre sous les dehors les plus favorables, l'on dissimule de son mieux une carence ou un défaut, l'on fait preuve de qualités que l'on a pas toujours. Et cela marche parce que l'autre ne peut connaître de nous que ce que nous voulons bien lui laisser voir.
Il en va différemment de nos rapports avec le "Dieu qui sonde les reins et les coeurs" (Jérémie 17,10). Avec lui nous devons être nous-mêmes, et si nous nous sentons quelque imperfection nous devons commencer à nous l'avouer avant de l'avouer à Dieu. Dans cette démarche, il est clair que le regarder comme notre Père facilitera bien des choses. La prière est "communion", elle est fusion entre le coeur d'un Etre Suprême qui aime l'être humain depuis toujours et celui d'un orant qui se met à découvrir combien il est aimé.
- "Dans cette union intense qu'est la prière, Dieu et l'âme sont comme deux morceaux de cire fondus ensemble" disait le saint curé d'Ars.
Prier en mendiant ou prier en enfant, nous n'avons pas d'autre choix... Dans le premier cas nous recevons l'obole de la pitié, dans le second nous recevons le cadeau généreux de l'amour. Tant que nous n'avons pas compris cela nous ne savons rien de la prière, et nous ne pouvons compter que Dieu et les Forces qui en dépendent déplacent en notre faveur les lois de la nature.
Car, au fond, quand nous prions, c'est bien cela que nous attendons du Tout-Puissant, cette protection contre un accident, cette guérison d'un grand malade. Cette situation était résumée par Tourgueniev quand il écrivait que quel que soit le but de la prière d'un homme, ce qu'il implore c'est toujours le miracle. Notre prière, écrivait-il, se résume en ceci: "Grand Dieu, faites que deux fois deux ne fassent pas quatre."
Dans la phrase d'Evangile (Marc 11,24) citée plus haut, c'est bien de cela dont il s'agit. "Croyez que vous l'avez déjà obtenu" sous entend la possibilité du miracle... Je crois ou je ne crois pas que ces pains vont pouvoir se multiplier, je crois ou je ne crois pas que Jésus va pouvoir changer l'eau de ces jarres en vin, je crois ou je ne crois pas que ce malade peut guérir.
Si nous commençons par ne pas croire tel miracle que nous rapporte l'Evangile ou la vie des Saints, il est évident que nous rapetissons Dieu et, du fait même, empêchons son action en notre faveur.
Le célèbre évêque gallican Mgr Jules Houssaye (plus connu sous le pseudonyme d'Abbé Julio) et consécrateur de Mgr Giraud en 1911, écrit dans la préface d'un de ses livres: "La prière peut tout et elle obtient tout." Belle connaissance des leçons de l'Evangile !
Si nous voulions situer la frontière entre le possible et l'impossible, il nous faudrait partir du principe que cette frontière est différente pour chaque catégorie d'hommes. Il sera possible à l'un de parcourir cette distance en un temps donné et cela sera impossible à un autre. En regardant certains artistes, certains sportifs, certains virtuoses nous avons souvent cette impression qu'ils viennent de dépasser les limites du possible.
Qu'a fait ce jongleur pour faire voltiger ainsi une vingtaine de balles, de quilles ou d'assiettes ? Rien de prodigieux; il était certainement doué au départ, mais surtout, durant des heures, des jours et des années il s'est entraîné.
Il en est ainsi des pouvoirs que développe la prière. Ils ne découlent pas d'un déclenchement automatique, ils sont la résultante d'un patient ensemble de méditations quotidiennes, de concentrations, d'oraisons. L'Apôtre Paul dans ses épîtres nous parle des dons de l'Esprit-Saint, ces dons sont présents au plus profond de l'être de celui ou celle qui prie, mais c'est - en général - petit à petit qu'ils s'épanouissent et deviennent sensibles.
Daniel Pézeril, dans son livre "Pauvre et Saint Curé d'Ars" nous rapporte, par exemple, comment celui-ci découvrit un jour qu'il pouvait savoir à l'avance la date de décès de certaines personnes qui venaient le voir; comment il sut que tel séminariste allait devenir évêque, comment il donna avec exactitude à des personnes qu'il avait à peine entrevues des détails sur leur passé ou leur futur. Un tel don - faut-il parler de voyance, de prophétie, de conseil divin ? Qu'importe la désignation - un tel don n'arriva pas subitement à Saint Jean-Marie Vianney, ce n'est qu'au bout de longues années de prières et de jeûnes, à l'extrémité d'une longue ascèse qu'il vit éclore en lui ces charismes surprenant.
Surprenant, mais pas tellement isolé... Il est parfois possible d'être témoin ou de lire le récit de multiples cas de ce genre chez des personnes pratiquant la prière - qui ne sont pas forcément prêtres - mais pour lesquelles Dieu a fait s'ouvrir sur ce point la limite fixée par lui au possible.
Toujours dans le livre de l'Abbé Pézeril, page 238, nous lisons le stupéfiant témoignage d'Etiennette Poignard; vers 1847, elle vient porter au curé d'Ars une lettre de la part de sa tante, supérieure des religieuses de Thizy. Il y a foule dans la chambre, Etiennette tient sa lettre cachetée à la main, mais ne peut s'approcher du prêtre. Celui-ci la voit et se met à lui donner les réponses aux questions qui sont dans cette lettre qu'il n'ouvrira jamais...
A Bordeaux, la figure du Père Jean Brouillet de l'Eglise Gallicane, celle de Mgr Truchemotte ou encore celles de Madame Mathieu et de Mgr Giraud sont loin d'être oubliées. Les mêmes dons que ceux constatés chez le curé d'Ars purent parfois s'observer chez eux. Du témoignage de Mgr Truchemotte, qui avait bien connu le Père Brouillet - étant son jeune vicaire pendant dix années à la chapelle Saint Jean-Baptiste alors 29 rue de la Brède à Bordeaux - ce Père Brouillet fit preuve de nombreux charismes; lui aussi lisait dans les coeurs, lui aussi devinait des choses du passé et du futur. Il avait rendu - entre autres - la vue à une aveugle: Angèle Parent.
Il est donc bien vrai que chaque Eglise locale, d'une terre, d'un lieu - projection terrestre de l'Eglise éternelle, Une, Sainte, Universelle et Apostolique - possède ses propres charismes, expression de la diversité et de la puissance des dons de l'Esprit-Saint.
Mais le but de ces lignes est moins de rapporter de tels faits que d'essayer de comprendre comment ces dons naissent. Celui qui s'en sent le dépositaire n'a pas prié pour les obtenir, il ne se vantera jamais de les avoir obtenu, il fera son possible pour cacher à tous qu'il est le détenteur de telles grâces.
Il a longuement prié, mais pour engager et maintenir la conversation avec son Créateur, s'il a parfois demandé ce ne fut jamais pour lui-même. Il a - selon l'expression évangélique - "cherché d'abord le royaume de Dieu" (Mathieu 6,33); il a pris conscience que ce Royaume existait, que c'était un plan de l'être, une "longueur d'ondes" (si l'on peut s'exprimer ainsi); il est passé de plus en plus souvent sur cette longueur d'ondes... Cela ne s'est pas fait tout seul, les forces du plan démoniaque se sont émues de le voir ainsi progresser, elles ont multiplié les tentations, des "gardiens du seuil" se sont dressés, il a parfois pris peur, s'est parfois laissé entraîné loin du chemin mystique. Mais il est revenu avec ténacité aux voies de l'oraison, il s'est pris d'un besoin d'aller de plus en plus loin dans l'entretien avec la Force divine qui l'écoutait.
Et puis un jour il a senti que par rapport à son prochain il n'était plus le même: il a touché ce mal et le mal a guéri, il a écouté cette langue étrangère et il l'a compris sans l'avoir jamais apprise, il s'est trouvé transporté d'un point à l'autre par des forces inconnues... Que sais-je encore ? Lisez la Bible où les vies de Saints, ces textes révèlent de tels faits et beaucoup d'autres.
La règle d'or étant que celui qui constate de tels charismes est resté dans la plus grande humilité, dans le plus grand effacement. Et chaque fois qu'il a utilisé de tels dons ce ne fut jamais pour produire un climat de merveilleux, d'insolite, de surprenant, de mirobolant, mais simplement par compassion, pour rendre service à son prochain.
La sainteté ne fait pas de miracles inutiles... Jésus-Christ qui multipliera les pains, les guérisons, les exorcismes refuse avec force de provoquer un signe dans le ciel pour témoigner de sa puissance: "Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu" (Mathieu 4,7 et Luc 4,12) est une phrase profonde qu'il tire du livre du Deutéronome (Deut. 6,16) pour l'opposer à la tentation satanique.
Beaucoup pensent que du moment que l'on prie avec sincérité et foi, tout le reste ne saurait avoir grande importance: diction, tenue, recherche des mots, etc. Tout cela semble facilement appartenir à une vision réductrice de la prière... Il faut bien dire aussi que la société moderne simplifiant les rapports entre les humains, diminuant les formules de politesse, faisant fi de ce que nos pères appelaient "L'Etiquette", a tendance à estomper l'apparat liturgique.
Cependant ce serait erreur d'ignorer à quel point l'assemblée des Anges est - beaucoup plus que la descendance d'Adam - avide d'harmonie et de beauté. C'est pourquoi un bon guide de l'oraison doit inviter l'orant à prendre profondément conscience de cet auditoire invisible, prise de conscience qui va entraîner automatiquement la recherche de formules et de gestes, d'attitudes et de comportements aptes à éveiller dans le monde angélique la bienveillance des puissances attachées à aider l'être humain dans son évolution.
D'où il n'est pas indifférent de parler dans une langue très pure, avec des intonations très justes.... Respecter la cadence des phrases a toujours été considéré par les liturgistes comme une chose de très grande importance. Concevrait-on un avocat qui plaiderait sa cause dans une langue vulgaire et d'un ton monocorde ? Ou bien qui donc enverrait un ambassadeur bredouillant, ignorant du savoir-vivre, mal disposé à trouver l'expression adéquate ? Jésus a souvent dit que les hommes se montrent plus prudents dans les affaires de ce monde que dans les affaires du Ciel (Luc 16,8). Cela devrait nous faire réfléchir avant de prier.
Mais l'on peut aller plus loin encore dans le raisonnement: celui qui se met à prier est le premier auditeur de sa propre prière; il est évident que la richesse des mots va éveiller en lui des états favorables à l'éveil de charismes particuliers. Il faut bien réaliser que des expressions sélectionnées par l'Eglise vont avoir plus que d'autres une répercussion positive sur l'âme.
Enfin il faut considérer que certaines formules employées par ceux qui se livrent à l'oraison, codifiées dans les livres de prières, ont été reçues par Révélation faite par le Ciel à des Contemplatifs qui les ont scrupuleusement retransmises comme de précieux moyens d'ouvrir les vannes de la Providence Divine.
La force de ces phrases clefs est encore accrue par les innombrables répétitions qui en sont faites par des milliers d'orants et cela parfois durant des siècles ou des millénaires.
Ajoutons encore le privilège particulier que tel évêque, ou tel synode va - en vertu du pouvoir de lier et délier - attacher à la récitation de telle ou telle formule de prière.
Qu'il soit possible d'adresser la prière directement au Dieu Très Haut, c'est ce que nul ne peut nier et Jésus, lui-même, en instituant le Notre Père nous montre comment l'on peut établir ce contact direct et familier entre le Ciel et soi.
Mais il est aussi une autre notion de la prière qui passe par une série de relais qui sont les Saints de l'Eglise Triomphante, c'est à dire ceux qui étant déjà dans le Royaume Céleste sont en mesure de s'adresser plus directement à la Force Suprême. Pourquoi ne le feraient-ils pas, mus par la Charité ? Et pourquoi négligerions nous cet appui ?
La médiation des Saints est désignée bibliquement dans le livre de la Révélation: l'Apocalypse de Saint Jean; "Chacun de ces vieillards, est-il écrit, porte en sa main une fiole pleine de parfums qui sont les oraisons des Saints" (Apocalypse 5-6).
Ces vingt-quatre vieillards symbolisent pleinement l'intercession faite en notre faveur par ceux qui sont déjà détenteurs de la palme spirituelle. Devant le trône de l'Agneau divin ils tendent la fiole qui contient telle ou telle prière adressée par leur vertu médiatrice... L'image des parfums pour représenter les prières est bien dans la tradition de la symbolique ancienne. De l'avis de la plupart des Pères de l'Eglise, le nombre vingt-quatre est à prendre dans son sens symbolique, c'est à dire la représentation des grandes figures des 12 tribus d'Israël et la représentation des grandes figures des 12 courants apostoliques de l'Eglise de Jésus-Christ.
Tous prient à travers l'image de l'Agnus dei, à travers la médiation christique, et le grand évêque gallican Bossuet nous précise bien qu'aucune prière n'a d'efficace qu'à travers Jésus:
- "Non ! Ni les patriarches, ni les prophètes, ni les apôtres, ni les martyrs, ni les séraphins même, tout brillants d'intelligence, tout brûlants d'amour; ni la reine de tous les esprits bienheureux, l'incomparable Marie, ne peuvent aborder du trône de Dieu, si Jésus ne les introduit.
Ils prient, nous n'en doutons pas, et ils prient pour nous; mais ils
prient comme nous, au nom de Jésus; et ils ne sont écoutés
qu'en ce nom. Ce pourquoi je ne craindrai pas d'assurer qu'encore que l'Eglise
de Dieu sur la terre et les esprits bienheureux dans le ciel, ne cessent jamais
de prier, il n'y a que Jésus-Christ seul qui soit exaucé; parce
que tous les autres ne le sont qu'à cause de lui."
(Bossuet
- Sermon pour le jour de l'Annonciation - Metz - 1654)
Ainsi nous pouvons nous représenter l'échelle d'or de la prière avec un barreau supérieur qui est le Christ, mais avec toute une série d'échelons qui sont les saints, porteurs de l'oraison, tout le long de la grande montée qui sépare notre condition d'êtres humains d'ici bas de la condition des bienheureux... Chacun des participants de cette chaîne spirituelle se repassant le flacon de cristal contenant le précieux parfum de tout ce que nous avons à dire à la Compréhension Infinie.
La liturgie est à la prière ce que la colonne vertébrale est au corps humain. Elle le soutient, le redresse; mieux encore - bien comprise et pleinement vécue - elle le vivifie... En effet, tout - dans la célébration de la messe - du rythme des phrases en passant par la respiration de l'Assemblée, tout concourt à l'expression de ce que nous pourrions appeler le "Souffle liturgique". Et si nous mettons un S majuscule devant le mot souffle, c'est pour bien souligner que l'Esprit-Saint anime le Souffle liturgique.
Le mot Liturgie se compose de deux mots grecs; l'un qui signifie public, l'autre qui signifie ouvrage. Ainsi se perçoit la signification profonde de ce qui est l'oeuvre de tous, l'ouvrage par excellence, la construction dans l'invisible et dans l'absolu, la sublime architecture de la Cathédrale des Coeurs: le Grand Oeuvre (pour reprendre la célèbre expression du langage des alchimistes).
Oeuvre par tous, en tous et pour tous dont on ne saurait trouver un ensemble de définitions dignes de la décrire. Bien comprise et bien vécue la Liturgie est ce que l'être humain possède de plus précieux puisque c'est par elle qu'il va devenir en mesure d'approcher l'oeuvre même de Celui qui est le Sublime Architecte des Mondes. Liturgie: Action Publique, Service pour Tous. Employons le mot Liturgie au singulier et avec un L majuscule. En effet, il y a une Liturgie dans l'absolu qui englobe toutes nos liturgies particulières (mozarabe, romaine, orthodoxe, gallicane, celtique, copte, anglicane, etc), comme il y a une Eglise dans l'absolu qui englobe toutes les expressions locales de l'Ecclesia.
Le liturgiste est le spécialiste de tout ce qui touche à la célébration des Saints Mystères. Son rôle dans l'Eglise est essentiel puisque c'est lui qui va devoir parler de tout ce qui va permettre à l'Assemblée de vivre sa vie intérieure, de commencer ici-bas le Royaume de Dieu. Le liturgiste est le Gardien des Rites, il a la charge de ne pas laisser s'éteindre le flambeau de la compréhension, de garder la célébration vivante, d'éviter que le cérémonial ne se perdre ou ne se sclérose... Il doit savoir que la Liturgie doit perpétuellement "coller" aux besoins spirituels de la Communauté, ne pas être trop complexe pour qui ne peut pas comprendre, mais être un aliment assez solide pour qui en a besoin.
Le grand danger est qu'un geste ou un mot ne soit plus compris, que tel aspect de l'héritage de la Tradition ne se répercute plus dans la compréhension des fidèles... L'Eglise est ce qu'est sa Liturgie, si l'acte liturgique se sclérose, il faut savoir que l'église locale se sclérosera
Il n'est pas toujours facile à ceux qui ne connaissent pas bien la doctrine chrétienne de réaliser que l'oblation cultuelle doit être à la fois un acte intérieur - parce que "Dieu est Esprit et il faut que ceux qui l'adorent, le fassent en esprit et en vérité" (Jean 4-24) - et à la fois un acte extérieur, car les hommes sont composés de corps, d'âme et d'esprit et qu'ils doivent donc extérioriser cette oblation spirituelle en donnant des marques publiques, visibles, sensibles de la disposition de leur coeur envers le Tout Puissant. La Liturgie est donc indispensable en ce qu'elle consiste à permettre aux êtres humains de se réunir dans les marques extérieures qu'ils doivent donner à Dieu de leur vie religieuse.
La Bible nous parle du "péché des enfants d'Héli" (1 Samuel 2-17) qui était très grand parce qu'ils détournaient les hommes du Sacrifice. Ce péché n'est-il pas commis chaque fois que des prêtres ou des théologiens minimisent la richesse liturgique en privant de cette manne ceux qui leur font confiance ?
Quand nous voyons la richesse liturgique des temps anciens réduite à un culte froid et sans profondeur, quand nous voyons négliger les gestes et les couleurs, les multiples aspects du symbole, nous pouvons penser que se répercute le péché des enfants du prêtre Héli.
Elles sont essentielles. Elles sont aussi l'aboutissement de l'acte liturgique par excellence qu'est la messe. Sans Communion - est-il besoin de le préciser - le chrétien resterait sur sa faim...
En employant les termes: "Voici la coupe de la Nouvelle Alliance" - Jésus-Christ précise bien l'importance de ce qu'il tend aux Apôtres. D'anciennes alliances ont existé entre le Ciel et les hommes: l'arc en ciel au temps du patriarche Noé, la circoncision au temps d'Abraham, l'arche d'alliance au temps de Moïse peuvent être étudiées comme autant de signes donnant aux hommes la clef d'une époque sur le plan d'un véritable traité entre Dieu et l'humanité.
Mais voici qu'une alliance plus parfaite se conclut. Jusqu'ici, nous est-il enseigné dans les paraboles comme celle de la vigne (Luc 20,9-15), le Maître n'a envoyé que des serviteurs. Maintenant il envoie son Fils. D'où l'on peut conclure que si cette coupe se situe dans le sillage des antiques signes d'alliance, elle en diffère par une valeur essentielle; les précédents pactes n'ont été signés que par des hommes inspirés par Dieu, le pacte nouveau est signé par Dieu lui-même, qui donne à la Nouvelle Alliance cette signature du saint Graal, du calice du Salut.
"Faites ceci en mémoire de moi", dit Jésus à la Cène, mais ce qu'il est en train de célébrer, ne l'oublions pas, est déjà un mémorial. A l'époque de Jésus la Pesha (Pâque juive) est depuis des siècles un rite codifié, sa célébration rituelle comprend principalement la manducation de l'agneau pascal et la bénédiction des trois coupes. On chantait la première partie du Hallel, c'est à dire les psaumes 113 et 114 après la bénédiction de la seconde coupe; ces psaumes louent l'Eternel et célèbrent sa bonté pour les plus pauvres et les plus déshérités, ils célèbrent également sa toute puissance miraculeuse sur l'univers entier. La seconde partie du Hallel, c'est à dire les psaumes 115 à 118 était chantée après la troisième coupe appelée: coupe de bénédiction. La méditation des psaumes 113 à 118 est certes une excellente préparation à la compréhension du Mystère de la Foi.
La Pesha, c'est le passage, la traversée du peuple de Dieu à travers le désert, c'est aussi le passage de l'être humain à travers la mort. Dans les deux cas il s'agit de partir d'un lieu d'esclavage pour accéder à une Terre Promise...
La coupe était déjà un signe de bénédiction, elle devient la coupe de la Nouvelle Alliance.
Après la bénédiction de la troisième coupe, le célébrant de l'ancien rituel de la Pâque juive disait cette prière: "Notre Dieu et Dieu de nos pères, souviens-toi du Messie, le Fils de David, ton Serviteur"... Il est facile de comprendre combien cette prière préparait ce qu'allait dire un jour le Messie enfin venu: "Faites ceci en mémoire de moi".
Si je réunissais quelques amis pour célébrer un évènement connu de l'Histoire, ce serait une commémoration, nous évoquerions ce qui s'est passé à cette époque et - peut-être - en tirerions-nous quelques leçons.
Commémoration de la prise de la Bastille ou du baptême de Clovis, commémoration de l'invention de l'imprimerie ou de la première traversée de l'Atlantique en avion. L'homme aime beaucoup commémorer.
Mais quand Jésus dit: "Faites ceci en mémoire de moi", il s'agit de bien autre chose... L'Eglise va revivre ce qui s'est passé à la Cène, elle va le revivre non point historiquement, mais opérativement puisque c'est l'Eternel fait homme qui agit et établit sa présence: "Quand vous serez deux ou trois réunis en mon nom, je suis au milieu de vous" (Mathieu 18,20) ... Le Christ opère donc cette présence, elle devient perceptible pour le mystique capable de: "discerner le Corps du Christ". On parle ainsi en théologie de "Présence Réelle" du Christ dans le sacrement de l'Eucharistie.
Repas fraternel dans lequel on rompt le pain comme le firent les disciples après la multiplication miraculeuse sur la montagne, repas fraternel dans lequel on partage le vin comme le firent les compagnons du Seigneur après le changement miraculeux de l'eau en vin à Cana, puis repas mystique dans lequel ceux qui communient reçoivent le Précieux Corps et le Précieux Sang du Christ, la Communion a encore une troisième dimension hors de l'espace et du temps...
Elle est participation au repas de noces de l'Agneau qui se déroule dans la Jérusalem céleste... Le livre de l'Apocalypse nous montre l'Epoux (Jésus-Christ) qui célèbre ses épousailles avec l'Epouse (l'Eglise). Qu'est-ce que l'Eglise ? Saint Augustin nous dit qu'elle est "l'assemblée des bons et des justes, depuis Adam jusqu'au dernier homme"... Ainsi nous pouvons considérer chaque être humain répondant à la définition ci-dessus comme une cellule fragmentée - dans l'espace et dans le temps - mais qui va peu à peu s'unir aux autres cellules pour - après la résurrection - former un tout: l'Epouse. Ce tout va s'unir à l'Epoux qui est la deuxième personne de la Trinité divine, le Christ.
En fait cette union, puisqu'elle se situe hors de l'espace et du temps peut être considérée comme virtuellement déjà faite... Et chaque messe ici-bas apparaît alors comme une projection fragmentaire du gigantesque acte d'union du Christ et de l'Eglise. "Bienheureux ceux qui sont conviés au banquet de noces de l'Agneau" (Apocalypse 19,9) - "Et l'Esprit et l'Epouse disent: Viens !" (Apocalypse 22,17).
Qui négligerait cet aspect prophétique de la Communion passerait à côté d'une de ses valeurs essentielles.
Il serait dommage de terminer cette étude sur la prière sans donner à nos lecteurs le texte d'une prière... Le texte ci-dessous figurait sous l'indication: "Puissante Oraison Mystérieuse" sur le carnet personnel d'une célèbre sainte gallicane: Alphonsine Mathieu. Mgr Truchemotte l'avait recopié scrupuleusement. Elle est publiée ici pour la première fois et nous avons la conviction assurée qu'elle sera d'une grande utilité à de nombreux lecteurs.
"A tes enfants éprouvés par les difficultés et les pièges de ce monde cruel, accorde, Seigneur Notre Dieu, les oasis de repos, de détente et de protection qui furent de tout temps les dons secrets de ta Providence.
Ceux qui partirent un jour sous ton inspiration du lieu appelé: "les eaux amères" campèrent sous ta conduite et celle de ton serviteur Moïse dans ce lieu cent quarante quatre fois béni où ils trouvèrent douze sources d'eau claire et soixante-douze palmiers.
Ainsi ton Eglise, Seigneur Jésus-Christ, fut fondée par la prédication des douze Apôtres et des soixante-douze exorcistes que le Seigneur envoya deux par deux au devant des besoins des humains.
Par le Nom cent quarante quatre fois béni d'Eloïm et par les trente-six couples d'exorcistes qui l'utilisèrent efficacement contre les serpents et contre les scorpions du domaine infernal, sauve-moi Seigneur et prends pitié de moi.
Que ce nom privilégié d'Eloïm agisse une fois de plus... Place devant mes pas, Seigneur, cet oasis de ta Providence, désaltère-moi de son eau limpide et nourris-moi du fruit de ses palmiers.
Permets-moi, Seigneur, de trouver là ton refuge, loin des difficultés, des épreuves et des tentations. Je te le demande par le secours de ta Grâce en ton Nom infiniment saint, Toi, Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père et l'Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen."
Note:
Celui qui voudra bien comprendre les sources
bibliques de cette très belle invocation en trouvera la source dans le
livre des Nombres (33,9).